Janvier 1999. Parution du Que sais-je ? Violences et insécurité urbaines, de Alain Bauer et Xavier Raufer.
Les auteurs parlent de "zones où, souvent sans partage, règnent des délinquants toujours plus jeunes, toujours plus violents, toujours plus récidivistes". Ils y opposent le "réalisme" du plan "Sécurité et liberté" d’Alain Peyreffite (1980) à "l’aveuglement idéologique" des gouvernements qui ont suivi. Ils dénoncent aussi "la croyance à l’adage médical trompeur : prévenir vaut mieux que guérir", et vantent les mérites de la "tolérance zéro".
Ils expliquent également qu’ "au-delà de toutes les théories d’inspiration sociologique, l’origine la plus certaine du crime, c’est le criminel lui-même" ; ce qui ne les empêche pas de soutenir que les "facteurs ethniques" sont décisifs dans la formation de "quartiers sensibles".
Ils saluent enfin l’hebdomadaire Marianne comme l’un des rares médias lucides sur "la montée de la violence". L’hebdomadaire, à son tour, salue les deux auteurs, et les sollicite régulièrement comme "experts". Ils sont également reçus par la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, où ils dénoncent le "tabou" de "l’origine ethnique des délinquants". En octobre 2000, l’ouvrage en est à son quatrième tirage.
Sur ce livre, cf. la critique de Laurent Mucchielli, sur ce site, dans la rubrique "Etudes de cas".
Janvier 1999. Parution du livre posthume de Christian Jelen, La guerre des rues, La violence et les " jeunes ".
L’auteur, journaliste au Point, collaborateur occasionnel de l’hebdomadaire Marianne et familier de la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, y fait un éloge appuyé de Jean-Pierre Chevènement ainsi que de l’appel "Républicains n’ayons plus peur". Il fait également l’ éloge de la politique américaine de "tolérance zéro".
Ses principales thèses :
– Il y a une " progression foudroyante de la petite et moyenne délinquance", qui "ne s’explique pas seulement par la crise économique et sociale" ;
– "Les causes principales sont ailleurs " : dans "la couardise des pouvoirs publics", dans la "culture de l’excuse" répandue par "les sociologues" et "la gauche mondaine", et surtout dans l’immigration, qui "constitue le terrain essentiel de la délinquance".
Ce livre est cité comme une source sérieuse dans l’hebdomadaire Marianne et dans un article de l’universitaire Michel Winock pour la revue L’Histoire.
27 janvier 1999. Réunion du Conseil de Sécurité Intérieure. Le Premier Ministre Lionel Jospin annonce la création de " centres de placement immédiat strictement contrôlés ", destinés à "éloigner" les mineurs " multirécidivistes ".
Le syndicat majoritaire à la Protection Judiciaire de la Jeunesse dénonce une " détention provisoire qui ne dit pas son nom ".
15 février 1999. Interrogé sur les "bavures" policières mortelles, le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement déclare qu’il y en a "très peu".
Février 1999. Lancement du mouvement Stop la violence.
Créé par des jeunes en réaction à l’assassinat du jeune Stéphane Coulibaly, il est encadré par le journaliste Christophe Nick et l’élu socialiste David Assouline. Nova-magazine et L’événement du jeudi publient le manifeste du mouvement, qui s’adresse aux jeunes eux-mêmes et met l’accent sur la " responsabilité individuelle ". Aucune revendication n’est adressée aux autorités, mise à part la demande d’un supplément d’autorité et de " coups de pieds au cul ".
Ce texte reçoit une large couverture médiatique et un accueil très favorable du Premier Ministre Lionel Jospin. Le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement déclare : " Ce texte est réellement parfait ".
Le Réseau Voltaire rompt le consensus en accusant le Parti socialiste de manipulation : dans un communiqué, il rappelle que le 12 décembre 1998, le PS avait tenu un Congrès à l’Assemblée Nationale, et que David Assouline y avait plaidé pour une implantation plus importante du Parti socialiste chez les jeunes des banlieues, autour du thème de la lutte contre la violence.
Avril 1999. Parution du livre de Julien Dray, État de violence.
Le député socialiste évoque une " montée de la violence entre pauvres " et fait l’éloge des BAC (Brigades Anti-Criminalité, créées par Charles Pasqua), comparant leur action (souvent violente, et mal perçue par l’ensemble des jeunes des cités, des éducateurs et des associations) à celle des casques bleus de Sarajevo...
Il souligne également "les réussites de la tolérance zéro", et propose la création d’"internats d’excellence scolaire" pour les parents qui veulent "soustraire leurs enfants à certaines mauvaises fréquentations", de "comités de voisins" munis de téléphones portables et alertant la police, et de centrales téléphoniques permettant les dénonciations anonymes.
Mai 1999. Parution du livre de Jean-Marie Bockel, La troisième gauche.
L’auteur, maire socialiste de Mulhouse, se réclame de Tony Blair et de la doctrine de la "tolérance zéro" : il propose la mise sous tutelle des allocations familiales et un couvre-feu individuel de 19h à 7h du matin pour les "grands délinquants". Le livre reçoit un accueil complaisant dans Libération et surtout dans Le Monde : Michel Noblecourt y salue le " souci républicain d’assécher le terrain de l’extrême droite ". Cette méthode n’empêchera pas l’extrême droite de devancer le candidat Jospin au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Elle permettra tout au plus à Jean-Marie Bockel de se voir décerner la légion d’honneur, en janvier 2003, par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy.
Mai 1999. Parution du livre de Christophe Soullez, Les violences urbaines.
Dans cet ouvrage, publié dans une collection grand public (Les essentiels Milan), l’auteur, diplômé en droit pénal et en "violences urbaines" à l’Institut des hautes études en sécurité intérieure, adopte le ton de l’expertise et de l’évidence ("tout le monde reconnaît désormais que...", "on a pu observer que...") pour énoncer les thèses sécuritaires les plus infondées.
En résumé : il y a une "extension rapide" des "violences urbaines" ; les banlieues sont des "zones criminelles" ou des "zones de moindre droit" ; les auteurs des violences sont des personnes "de plus en plus jeunes", dont les trois principales caractéristiques sont : l’"incohérence du raisonnement", les "sentiments exacerbés", et une "origine ethnique" souvent lointaine, qui creuse un "fossé culturel" entre eux et le reste de la jeunesse.
Pas un mot n’est dit, en revanche, sur la forte corrélation entre origine sociale et incarcération, ni sur la discrimination, ni sur les crimes policiers. L’auteur mentionne seulement le "racisme supposé" que les jeunes délinquants invoquent pour se "justifier" et ainsi se "décharger de leur propre responsabilité" ; et lorsqu’il évoque les émeutes, c’est pour les rattacher à "la protection d’un bizness", ou à la "mort" d’un jeune par "accident" lors d’une "course-poursuite avec la police". Les mots "homicide", "coups de feu mortels", ou même "bavures" ne sont pas prononcés.
Parmi les facteurs de la "violence urbaine", hormis la "pluri-ethnicité", l’auteur mentionne également un "déficit d’autorité", qui engendre un "manque de repères" et des personnalités "destructurées".
Ce diagnostic débouche tout naturellement sur des solutions particulièrement répressives : après avoir fait l’éloge du "partenariat" et des polices municipales, Christophe Soullez affirme que les "crises" doivent être "gérées comme des catastrophes naturelles", et il préconise une "réponse énergique, ferme et rapide" .
ll faut désormais "rétablir la peine" : "L’impunité doit cesser d’être la règle et la sanction l’exception".
Il convient de remettre en cause l’ordonnance de 1945 protégeant le mineur de l’incarcération (car elle "n’est plus adaptée à la jeunesse actuelle").
Il faut également instaurer la détention préventive pour les mineurs, la responsabilité pénale pour les mineurs de plus de 13 ans, et des "dispositions coercitives" afin de "responsabiliser les parents" et leur faire "prendre conscience de leur rôle d’adultes".
L’auteur préconise enfin de systématiser et de durcir les procédures pour outrages à représentant de l’autorité, et de mieux sanctionner "les attroupements", en "repensant" la notion de "responsabilité collective"...
29 mai 1999. Manifestation du mouvement Stop la violence.
Malgré une intense campagne publicitaire de plusieurs grands médias (Canal+, Le Monde, Libération, Nova-mag, L’événement du jeudi, Le Parisien...), la mobilisation est un échec : à peine un millier de manifestants. Le jour même, Libération annonçait plus de 10000 personnes.
Les jeunes dirigeants du mouvement publient alors un nouveau texte, plus radical, dénonçant toutes les formes de violence : brutalité policière, racisme, compétition scolaire, chômage, précarité. Avant de disparaître progressivement des médias.
Juin 1999-décembre 1999. Période de relative "accalmie".
La guerre du Kosovo, puis les peurs liées à la "crise de la vache folle" occupent le devant de la scène médiatique, au détriment du "sentiment d’insécurité" lié à la "jeunesse des banlieues".
Décembre 1999. Le tribunal administratif de Caen confirme l’exclusion (pourtant illégale) de deux collègiennes voilées.
Cette décision de justice, contraire à l’avis du Conseil d’État, selon lequel le port d’un insigne religieux n’est pas un motif suffisant pour un renvoi, reçoit le soutien de la ministre des écoles : Ségolène Royal déclare que les "convictions" des professeurs sont "prioritaires" sur celles de l’élève, car les professeurs "transmettent les valeurs de la république".
Janvier 2000 Publication d’un témoignage de Véronique Vasseur, ancienne Médecin-chef à la prison de la Santé.
Le scandale provoqué par ce témoignage impose pendant quelques semaines la question des conditions de détention dans l’agenda médiatique. Une commission parlementaire va enquêter en prison, bientôt suivie par le sénateur socialiste Louis Mermaz, qui rend un rapport sur les centres de rétention pour étrangers en situation irrégulière, intitulé Les geôles de la République. Un consensus se forme entre les partis de gouvernement, une partie importante de l’opposition de droite et les éditorialistes des grands médias, autour de l’idée que les conditions de détention ne sont pas dignes "d’un pays démocratique comme la France".
Juin 2000. Vote de la loi Guigou sur la présomption d’innocence.
Votée à l’unanimité, à la suite des débats sur la prison et l’emprisonnement provoqués par le livre de Véronique Vasseur, cette loi vise notamment à réduire le nombre des détentions préventives et à mieux garantir les droits des gardés à vue.
Décembre 2000. Vote de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain.
Cette loi s’attaque directement au " problème des ghettos " et propose comme solution une meilleure promotion de la " mixité sociale " : désormais, toute commune devra avoir 20% de logement social sur son territoire. Les Maires des communes riches (notamment ceux de la banlieue Ouest de Paris) s’opposent violemment à cette loi, et expriment ouvertement leur peur de voir arriver " chez eux " des populations pauvres et immigrées. Ces réactions caricaturales permettent à la gauche de gouvernement d’afficher une posture " sociale " et un discours offensif contre l’égoïsme des " riches ".
Les limites de cette loi apparaissent toutefois rapidement, notamment lorsque le maire de Neuilly, un certain Nicolas Sarkozy, prévient qu’il payera l’amende prévue par la loi plutôt que de construire des logements sociaux sur son territoire.
Par ailleurs, cette loi n’apporte aucune réponse au problème crucial de l’attribution des logements sociaux : aucune mesure n’est prévue pour empêcher les bailleurs et les élus locaux d’éloigner les candidats les plus précaires, au profit des " classes moyennes ".
Ce texte est extrait de :
Pierre Tévanian, Le ministère de la peur. Réflexions sur le nouvel ordre sécuritaire, paru aux éditions L’esprit frappeur en novembre 2003.