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De Dakar à Evry

Retour sur un discours vallsien

par Christophe Gaudier
11 novembre 2013

Bien que les uns aient provoqué une large indignation et que les autres emporteraient plutôt l’adhésion, il y a comme un air de famille entre les propos tenus par Sarkozy à Dakar et ceux que Valls a tenus dernièrement sur les Roms, en particulier le 7 septembre dernier à Evry – et si les seconds paraissent acceptables, c’est peut-être parce que la critique des premiers n’a pas toujours été menée à son terme, qu’elle en est restée à son contenu sans en examiner les fondements.

Ce qui, à juste titre, avait suscité la réprobation dans le discours de Dakar, c’était avant tout ce qui était exposé sur la nature de « l’Homme Africain », et la vision totalement négative qui en était donnée. Pour autant, ce discours s’appuyait sur des fondements largement admis – et qui à ce titre n’ont que peu été relevés. Ce qui en définitive pose problème dans le discours de Dakar, ce n’est pas tant le développement outrageusement raciste et colonialiste qu’il contenait sur la « Nature » de « l’Homme Africain » que ce sur quoi il se fondait : l’idée somme toute largement répandue que les peuples auraient une « Nature », une « Mentalité » qui leur serait propre et qui les rendrait plus ou moins aptes à certaines choses, qu’ils auraient de par cette « Nature » ou cette « Mentalité » vocation à vivre à certains endroits plutôt qu’à d’autres, à exercer certaines activités plutôt que d’autres. Or, les propos de Manuel Vals sur les Roms ont le même fondement essentialiste, et cet essentialisme là qui met la « Nature » là où il y a de l’Histoire, qu’on le veuille où non, ne peut conduire qu’au racisme.

Ainsi donc les Roms auraient par nature un mode de vie incompatible avec celui de la majorité des Français, et à quelques exceptions près, qui resteront individuelles, il est illusoire de penser qu’ils pourraient s’intégrer à notre société : ils n’ont donc pas vocation à vivre en France [1].

Il est évident pour tout un chacun que vivre dans des « campements », dans des conditions d’hygiène pour le moins douteuses, se livrer à des activités marginales, voire illégales, est peu compatible avec les modes de vie communément pratiqués dans la France du vingt-et-unième siécle. Mais pour autant, les bidonvilles qui ont existé jusqu’au milieu des années 1970 l’étaient-ils ? Et qui oserait prétendre aujourd’hui que les immigrés algériens, portugais, marocains ou autres qui y vivaient s’y étaient installés poussés par un mode de vie qui leur étaient propre ?

Le même tout un chacun sait bien que si ces immigrés vivaient dans de telles conditions, c’est qu’ils y étaient contraints, tout comme il sait que lorsque la situation est devenue inacceptable pour tous, y compris les « Français de France », elle a été résolue par la construction de logements.

Oui mais les Roms, ce n’est pas la même chose ! Ce sont des nomades !

Ah bon ? Et depuis quand ?

Nous confondons la littérature, les mythes issus du Moyen-âge revus par les romantiques, les peurs collectives et je ne sais quoi encore, avec la réalité d’aujourd’hui. Le personnage du Bohémien, du Tzigane, de Walter Scott à Apolinaire en passant par Hugo, n’a rien à voir avec le Rom installé dans sa cabane le long du périphérique. Il faut le dire et le redire : nulle part en Europe les Roms ne sont nomades, et ce non pas depuis une date récente mais depuis plusieurs siècles – à tel point que l’on peut légitiment douter qu’ils l’aient été un jour. Qu’ils aient migré pour une raison ou une autre à certains moments dans leur histoire, ou plutôt dans celle des peuples de l’Europe, n’est pas douteux – mais cela n’en fait pas pour autant des nomades [2].

Et qu’est-ce donc que ce peuple, pour autant qu’il existe en tant que tel, qui après s’être tenu tranquille pendant des siècles, serait aujourd’hui poussé par on ne sait quel atavisme, pris d’une soudaine agitation qui le contraindrait à l’errance ? Ce n’est tout simplement pas crédible : les Roms ne sont en réalité qu’un aspect des flux migratoires au sein de l’Europe – et rien ne les distingue des autres migrants si ce n’est qu’ils sont traités différemment. Quant à leur fameux « mode de vie », pour incompatible qu’il soit avec ceci ou cela, il n’est en définitive que la conséquence du traitement particulier dont cette immigration est victime.

Quant à l’idée que les solutions appartiendraient en fin de compte à la Roumanie et à la Bulgarie, elle repose sans l’avouer sur deux présupposés.

Le premier, qui ne s’applique pas qu’aux Roms, est la non-reconnaissance d’un droit à migrer, qui fait que dans le même temps où l’on voudrait fermer les frontières à certains, on voudrait également que des états prennent toutes les dispositions possibles pour empêcher leurs ressortissants d’en sortir.

Le second est que, bien qu’on ait admis que les Slovaques et les Tcheques, Les Serbes, Les Croates, les Monténégrins, les Bosniaques et les Macédoniens pouvaient ne pas avoir envie de vivre ensemble, il nous semble légitime de vouloir imposer aux Roms de vivre avec les Roumains, les Bulgares ou les Hongrois. Il y a là une inconséquence logique : si l’on admet que les Roms sont un peuple à part des Roumains, des Bulgares, des Hongrois, et c’est bien ce que nous faisons en les traitant différemment, au nom de quoi devrions-nous les condamner à vivre avec ces peuples sans se demander si ils en ont vraiment envie ?

Notes

[1A ce stade, il se pose quand même une question : il semble que cette incompatibilité des modes de vie s’étende à l’ensemble de l’Europe, mais où donc les Roms auraient vocation à vivre ?

[2Est-il besoin de rappeler que l’existence en France d’une communauté de « gens du voyage » est à bien des égards une exception européenne sur laquelle il conviendrait également de s’interroger ?