Ce genre d’article qui se croit, j’imagine, inoffensif et humaniste porte en lui une violence immense, qu’on peut nommer éradication énonciative. Il me fait disparaître dans l’ellipse et, par la même occasion, me jette en pâture, en m’érigeant implicitement en problème – tout cela, naturellement, comme si cela allait de soi.
Houellebecq console paraît-il, il offre au lecteur une reconnaissance de ses problèmes, de ses angoisses... Mais qui peut aujourd’hui en France trouver une quelconque consolation dans le fait de voir les musulmans ou les femmes – et bien entendu les femmes musulmanes – désigné.e.s comme problèmes ou sources d’angoisse ? Il est écrit par exemple :
« On s’y reconnaît. »
Mais qui est ce « on » ? Puis-je me reconnaître dans ces récits où des hommes blancs s’inquiètent avec une ironie pas drôle du pouvoir exorbitant d’êtres qui, dans la vie réelle, sont continuellement discriminés et stigmatisés ? Puis-je appartenir à ce « on », le même sans doute que celui que l’hebdomadaire Marianne, le même jour, apostrophe en ces termes vigoureux mais fraternels :
« Immigration : Et si on disait la vérité » ?
Je ne suis pas dans le « on » ce coup-ci, comme les femmes en France n’étaient pas dans l’ « universel » du « suffrage » ainsi qualifié entre 1848 et 1944, comme les Noirs et tous les non-blancs n’étaient pas comptés parmi les « hommes » dont on « déclarait » les « droits ».
Bref : l’article de Libération généralise, universalise, un point de vue hyper situé socialement – c’est-à-dire aussi racialement et sexuellement – et parle du « présent » en général, si bien qu’étant exclu du « on », je me retrouve aussi exclu du temps.
Je ne puis donc pas être consolé par ces romans mais en outre, comme ces derniers me désignent comme objet d’angoisse, source de problème, j’ai même de quoi être angoissé moi-même par leur succès.