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Des leçons

Pour en finir avec un élément de langage de plus en plus central dans la propagande lepéniste et le commentaire lepénisé

par Pierre Tevanian
20 juin 2024

C’est un petite musique récurrente, quasi-systématique désormais dans les prises de paroles d’un Bardella ou d’une Le Pen, mais aussi de leurs lieutenants, mais aussi des commentateurs autorisés qui, une nouvelle fois, reprennent en guise d’analyse les éléments de langage que lui adresse le parti fasciste). Une petite musique et des éléments de langage qu’on retrouve sans surprise dans les enquêtes auprès de l’électorat qui, pour le coup, apprend bien. Pas vraiment nouvelle de ce côté-là de l’échiquier politique, la dénonciation de la morale mais aussi, plus spécifiquement, des « leçons » et des « donneurs de leçons » est en revanche devenue comme jamais omniprésente et incontestée, en d’autres termes hégémonique, à un point qui mérite qu’on s’y arrête.

Il serait plus que temps, y compris dans nos rangs et entre nous (au sens le plus large que ce nous peut avoir en l’occurrence : à gauche, et même au-delà chez tous les démocrates soucieux d’un minimum d’humanité, d’ordre et de paix dans le vivre-ensemble), dans les prises de parole publique comme dans la réflexion stratégique en interne, de déconstruire radicalement cet élément de langage à visée péjorative (et qui constitue en lui-même une leçon).

La dénonciation indignée ou ricanante des « leçons » et de ceux qui les « donnent » est en effet centrale dans le narratif et la stratégie de séduction RN, et la déconstruire signifie concrètement : ne pas laisser passer, ne pas laisser prononcer cette formule – « donner des leçons » – sans couper la parole, pour rappeler que :

1. L’expression d’un jugement différent voire opposé est ni plus ni moins une leçon que l’expression de son propre jugement, et si par conséquent Bardella n’aime pas les leçons en général, et en particulier qu’on dise aux gens pour qui ou contre qui voter, ledit Bardella doit commencer par se taire.

2. Sur le fond, ricaner ou s’indigner de l’acte-même de « donner des leçons » est révélateur non seulement d’une haine de l’enseignant et du service public d’éducation, structurante dans le discours fasciste, anciennement mais plus que jamais ces derniers mois (dans l’appareil comme dans l’électorat), mais aussi, au-delà, d’une anthropologie, d’une vision du monde où l’humain n’est pas fondamentalement un être perfectible, qui a besoin dès le berceau et jusqu’à la tombe d’être éduqué, qui gagne à se remettre en question et apprendre jusqu’au terme de son existence. Une vision du monde qui piétine le droit de donner des leçons et le droit de les recevoir, qui sont deux droits fondamentaux pour la pensée, l’éthique et une démocratie saine [1].

Une vision du monde où la pensée campe sur un « Chez-soi » et sur un « Une-fois-pour-toutes » adossés à telles ou telles « racines », sans s’ouvrir à l’altérité et à la remise en question éthique. Une vision du monde qui peut encore être refusée, avec le modèle de société qui l’accompagne, si, par la parole publique, par l’action politique, par le vote le 30 juin et le 8 juillet, nous sommes assez nombreux à lui adresser ... une leçon !

Notes

[1Quant à l’argument « social » de Jordan Bardella, selon lequel Kylian Mbappe ferait partie des nantis hors-sol, loin « des réalités et des difficultés de nos compatriotes », notons que même si les revenus du footballeur sont en effet faramineux, au moins c’est pour un véritable travail, et de qualité, ce qui le rapproche plus du « réel » du monde du travail que cet apparatchik sur-payé qui n’a jamais terminé un cursus ni exercé un quelconque métier de sa vie, ne fait que montrer ses dents, serrer des pognes et parler dans des micros, et est un fumiste absentéiste notoire au Parlement européen.