« Sans naturellement méconnaître la nature des faits qui ont été reprochés aux policiers, ce jugement, dans la mesure où il condamne chacun des sept fonctionnaires à une peine de prison ferme, peut légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné. Notre société ne doit pas se tromper de cible : ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire. »
Ainsi s’exprime Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, aussitôt rejoint par la totalité des élus UMP de Seine-Saint Denis : les sénateurs Philippe Dallier et Christian Demuynck ainsi que les députés Éric Raoult, Patrice Calméjance et Gérard Gaudron.
« Soutien et solidarité » avec les sept policiers condamnés, ont même ajouté les cinq parlementaires UMP. Que cinq élus et un ministre de l’Intérieur désavouent ouvertement une décision de Justice, voilà qui est assurément critiquable, et les voix n’ont pas manqué, d’Elisabeth Guigou à Martine Aubry, pour le critiquer. Elles ont cruellement manqué, en revanche, pour souligner que sur le fond, au-delà de cette question de principe, la déclaration ministérielle exprime, avec un cynisme et une décomplexion rarement atteintes, une conception de la police plus que critiquable.
Car de quoi parle-t-on ? D’une peine de six à douze mois de prison, pour des policiers qui, en produisant de manière délibérée et concertée un faux témoignage sur un accident causé en réalité par un des leurs, ont fait accuser un innocent et lui ont fait encourir la prison ferme à perpétuité – avec, au passage, un tabassage en règle pendant la garde à vue [1].
Quelques mois de prison pour avoir tenté de faire emprisonner à vie un innocent : nous sommes encore loin d’une impitoyable Loi du Talion, assez loin même de la peine maximale prévue par la loi pour un « faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité agissant dans l’exercice de ses fonctions » (quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende [2]), et c’est pourtant dans ces quelques mois de prison que le ministre de l’Intérieur voit une sévérité « disproportionnée ».
C’est ce jugement qui, toujours selon le ministre, « se trompe de cible » puisque, selon ses mots toujours, « ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire ». Ce qui revient à dire ceci : que les sept flics ripoux soutenus par les cinq élus pourris ne sont ni des criminels ni des délinquants. Ce qui revient à dire ceci : que tabasser, mentir, accuser à tort, faire emprisonner à vie un innocent n’est, lorsqu’on est policier, ni un crime ni un délit.
Voici donc en résumé à quelle réforme du vocabulaire nous sommes invités :
– un policier est par définition, donc quoiqu’il fasse, le contraire d’un délinquant ou d’un criminel ;
– il s’en suit qu’un jugement qui condamne un policier est par définition disproportionné et mal cadré [3].
Ce langage, la pensée qu’il véhicule, et la très réelle impunité policière qu’il vient soutenir [4], ni Martine Aubry ni Elisabeth Guigou ne s’en inquiètent – Elisabeth Guigou va au contraire jusqu’à « comprendre l’émotion » des policiers qui ont manifesté pendant trois heures devant le Palais de Justice.
La responsable socialiste s’oppose en somme au ministre Hortefeux, mais dans sa langue. Elle aussi réforme le vocabulaire, en faisant d’une action politique particulièrement radicale (manifester en uniforme devant un tribunal) une simple « émotion », et en décrétant « compréhensible » un corporatisme particulièrement détestable (puisqu’il va jusqu’à soutenir collectivement, publiquement, syndicalement, les pires ripoux).
Dans une autre langue, je conclurai en disant que c’est bel et bien un comportement criminel qui a été sanctionné, et que le ministre, les parlementaires et les syndicats qui s’en offusquent se posent donc en complices – ce que fait aussi, à un degré moindre, l’opposante socialiste qui critique les uns mais comprend les autres.