1. Le niveau des pensions baissera et pénalisera les salariés
En dépit des promesses répétées de ne pas baisser le niveau des pensions, la réforme
envisagée par le gouvernement aura les mêmes conséquences que celles de 1993 et de 2003 :
une baisse considérable du taux de remplacement des pensions par rapport aux salaires. Le
recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans en 2018 et l’augmentation de la durée
de cotisation à 41,5 ans en 2020 rendront beaucoup plus difficiles les conditions de départ.
Puisque l’âge moyen de cessation d’activité est inférieur à 59 ans et que les deux tiers des
salariés sont déjà hors emploi à 60 ans, ceux qui conserveront un emploi devront travailler
plus longtemps, les autres sombreront dans la précarité ne pouvant cotiser malgré l’obligation
qui leur est faite.
Le projet accentue encore l’injustice en repoussant à 67 ans l’âge auquel on pourra
partir à taux plein sans décote. Ainsi, le gouvernement ne tient aucun compte du fait que, à 60
ans, l’espérance de vie en bonne santé est moitié moindre que celle de l’espérance de vie tout
court. C’est à se demander si, voulant trouver une « solution démographique » à un problème
qui ne l’est pas, on ne cherche pas en haut lieu à interrompre la tendance à l’allongement de
l’espérance de vie.
2. Les inégalités ne seront pas réduites mais aggravées
Tout se conjugue pour perpétuer les discriminations dont sont victimes les femmes.
Actuellement, les femmes perçoivent une retraite qui ne représente en moyenne que 62% de
celle des hommes en incluant les dispositifs de solidarité et 53% sans ces derniers. Petits
salaires, carrières discontinues, petites retraites et âge plus tardif de départ pour ne pas subir
de décote, aucun de ces handicaps ne sera atténué par la réforme en cours.
En effet, les dispositifs de majoration ont été rognés pour les femmes fonctionnaires en 2003
(6 mois au lieu d’un an par enfant) et pour les salariées du privé en 2009 (1 an au lieu de 2 par
enfant, la seconde année pouvant être partagée avec le père). La possibilité d’inclure pendant
le congé de maternité un trimestre d’indemnités dans le calcul du salaire de référence pour la
retraite sera très loin de compenser les dégradations précédentes. Le projet de réforme va
également pénaliser les mères fonctionnaires en supprimant, à partir de 2012, leur droit à une
retraite anticipée quand elles ont trois enfants.
3. Les carrières longues et la pénibilité sont largement ignorées
L’aggravation des inégalités va aussi se produire par le biais des mesures portant sur les
carrières longues et la pénibilité qui concernent avant tout les salariés ayant passé leur vie
avec des salaires faibles ou très faibles.
Le dispositif de la loi de 2003 avait permis aux salariés ayant commencé à travailler tôt
de partir avant 60 ans : 100 000 par an en avaient bénéficié. Le gouvernement ayant jugé que
c’était trop, avec la nouvelle réforme, il leur faudra attendre deux ans de plus, et le nombre de
bénéficiaires sera diminué de moitié dès 2011.
Le Medef peut être satisfait du traitement de la pénibilité : elle ne sera prise en
considération qu’au cas par cas, laissant au salarié le soin de faire la preuve médicale que son
travail a été pénible. La pénibilité du travail est ramenée à la question du handicap physique
puisqu’il faudra un taux d’incapacité au moins égal à 20% pour que cette notion soit
reconnue.
Sachant que les individus restent en bonne santé en moyenne jusqu’à 63 ans, le choix est fait
de les faire travailler pratiquement jusqu’à cet âge, les privant ainsi des quelques bonnes
années dont ils pourraient jouir.
4. Les fonctionnaires y perdront beaucoup
Augmenter le taux de cotisation des fonctionnaires de près de 3 points signifiera une
baisse de salaire déguisée, alors que, à qualification égale, les retraites du privé et du public
sont comparables. Et, contrairement aux assurances données par le gouvernement, son projet
de loi concerne les cheminots (régimes spéciaux) sur tous les points appliqués à la fonction
publique. La seule différence réside dans la date d’application, « seulement » à compter de
2017, car il faut attendre que la contre-réforme de 2007 soit appliquée totalement avant d’aller
plus loin.
5. Une machine à produire du chômage
Reculer l’âge de départ à 62 ans entraînera une hausse du chômage et des déficits
sociaux tant que le nombre d’emplois offerts n’augmentera pas. Dans une période de chômage
tel que nous le connaissons, ces mesures sont absurdes car, si les seniors sont maintenus au
travail, l’entrée des jeunes dans la vie active sera retardée d’autant. D’ailleurs, l’INSEE vient
d’établir une corrélation entre l’augmentation du taux de chômage des jeunes et
l’augmentation du taux d’emploi des plus de 55 ans.
Cette réforme des retraites est aussi néfaste que le sont les politiques de l’emploi
menées depuis trente ans. On prétend dynamiser l’emploi en aggravant les conditions
d’emploi et de salaires. C’est l’effet inverse qui se produit : la dévalorisation du travail sous
tous ses aspects entraîne déqualification, précarité, détérioration de la santé et, au bout du
compte, atonie de l’activité économique et donc dégradation des comptes sociaux. La réforme
des retraites est une déclinaison de cette spirale descendante.
6. Une répartition des richesses globalement inchangée qui n’assure pas le financement des retraites
Le gouvernement a beau faire la sourde oreille, il a été contraint de dire qu’il fallait
trouver de nouvelles sources de financement. Mais les nouvelles sources qu’il a trouvées lui
ont été soufflées par le patronat. Sur les 32,2 milliards de déficits prévus en 2010, il compte
prélever 3,7 milliards sur les revenus du capital. Le reste sera pris aux salariés. Le passage de
40 à 41% du taux de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu et l’augmentation d’un point
des prélèvements sur les cessions d’actifs sont anecdotiques.
Sur le moyen terme, les mesures d’âge et de durée de cotisation feraient entrer dans les
caisses de retraite 20,2 milliards en 2020 et la baisse des pensions des fonctionnaires 4,9
milliards. Dans le même temps, 1,4 milliard serait transféré de l’assurance chômage aux
caisses de retraite, en dépit de la faiblesse des indemnités chômage et du maintien prévisible
du sous-emploi à un haut niveau. Salariés et chômeurs contribueraient donc à hauteur de 26,5
milliards sur les 45 milliards nécessaires.
Le comble de la réforme est qu’elle n’assure pas l’équilibre tant souhaité puisqu’il
manquera 15 milliards en 2020. Comment pourrait-il en être autrement puisque la classe
bourgeoise ne veut pas que l’avantage qu’elle a acquis depuis 30 ans lui soit enlevé, à savoir
l’extraordinaire détournement de la valeur ajoutée à son profit.
7. Satisfaire les marchés financiers
La baisse des revenus du travail est l’une des causes majeures de la crise déclenchée en
2007. Celle-ci a provoqué un accroissement considérable des déficits publics et sociaux.
Maintenant, l’enjeu est de savoir qui va payer les pots cassés de cette crise. Les marchés
financiers, bras armé des possédants, entendent faire plier les États dont les systèmes sociaux
sont considérés comme trop avantageux pour les salariés et les populations aux revenus
modestes. Jour après jour, tous les membres du gouvernement dissertent sur la nécessité de
rassurer les marchés financiers. Tel est l’objectif premier des plans d’austérité draconiens qui
s’installent dans tous les pays européens, du plus faible, la Grèce, au plus fort, l’Allemagne, et
cela avec l’appui ou sous les injonctions du FMI.
8. Une réforme insuffisante pour la Commission européenne
La Commission européenne prépare un Livre vert sur les retraites qui recommandera de
relever l’âge de départ à la retraite pour que les individus ne passent pas plus d’un tiers de leur
vie d’adulte en retraite. On n’en attendait pas moins d’une Commission qui a toujours dans
ses tiroirs le projet d’augmenter la durée hebdomadaire du travail jusqu’à 65 heures.
9. Une réforme qui laisse dans l’ombre la capitalisation
Le document d’orientation présenté à la mi-mai par le gouvernement estimait nécessaire
« d’encourager les dispositifs d’épargne retraite ». Il annonçait « des mesures permettant à
davantage de Français de compléter leurs pensions de retraite en recourant à des dispositifs
d’épargne-retraite ». Dans le projet de réforme, le soin mis pour éviter toute allusion à cette
volonté est suspect, d’autant plus que l’UMP et le Medef sont très favorables au régime par
capitalisation. Il faudra s’attendre dans les semaines à venir et lors de la présentation du texte
au Parlement à quelques surprises en la matière.
10. Un projet à rebours de l’histoire
Derrière les retraites, ce qui est en jeu, c’est la place du travail et du temps libéré dans la
vie, la place des travailleurs et des retraités à qui il n’est reconnu que le devoir d’exister
comme subordonnés à l’exigence du capital. Ce qui est en jeu aussi, c’est le type de
développement humain qui est promu : à la nouvelle contre-réforme des retraites correspond
un modèle d’où est exclue la possibilité d’utiliser les gains de productivité pour réduire la
durée du travail et gagner du temps libre, et dans lequel la société est vouée à jamais au
productivisme.