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Du programme électoral du parti Nazi à celui du Front National

Une simple histoire de mots à recontextualiser

par Philippe Blanchet
10 décembre 2015

Bien entendu les situations sont singulières, et les tragédies historiques ne se reproduisent jamais à l’identique. Il reste que, à force de dire que « ça n’a rien à voir » et d’insister sur les différences entre le parti nazi et le Front national, entre les années 1930 et le début du 21ème siècle, on occulte les airs de famille qui, eux, sont nombreux. Pour reprendre une formule d’Emmanuel Terray, il est clair qu’aujourd’hui « la présence de certaines personnes sur notre sol est constituée en "problème", et tous les esprits "raisonnables " s’accordent pour estimer que ce problème exige une solution ». Du problème juif aux problèmes immigrés, Rom et musulmans : il est bon aussi d’insister sur les analogies. D’autres comparaisons, avec le racisme esclavagiste et colonial, sont d’ailleurs tout aussi instructives. Philippe Blanchet, dans le texte qui suit, se focalise sur les mots du parti nazi et ceux du Front National, et l’exercice auquel il nous invite fait froid dans le dos. Précisons qu’il ne vise en rien, dans notre esprit, à ajouter à la culpabilisation des abstentionnistes, qui sont loin d’être les responsables de la montée du Front national, comme nous le rappelons depuis maintenant quinze ans dans nos textes sur la lepénisation des esprits et le racisme qui vient d’en haut.

On a déjà tout dénoncé des dérapages d’élus et autres membres du FN qui révèlent le fond de son idéologie : un nationalisme xénophobe dont on n’a condamné (y compris au tribunal) que les excès les plus visibles. Mais sans oser s’attaquer, au moins en justice, à l’ensemble du projet du FN, qui contrevient gravement à la plupart des principes fondamentaux de la Constitution française et surtout des grands textes de protections des droits et libertés, de lutte contre les discriminations, ratifiés par la France.

Pour mieux percevoir cette base idéologique, voici un exercice simple et rapide. Il suffit de prendre le programme électoral du Parti National Socialiste allemand en 1920 (plus connu sous le nom de parti nazi), et de l’adapter au contexte d’aujourd’hui en France. Le texte de ce programme est donné ci-dessous.

Pour faire l’exercice, quelques règles d’équivalences suffisent. Remplacez :

« Grande Allemagne » par Grandeur de la France,

« Allemand(s) » ou « allemand » par Français ou français

« traités de Versailles et de Saint-Germain » par traités européens

« notre surpopulation » par surpopulation des étrangers

« sang allemand » ou « race germanique » par Français de souche

« non citoyen » ou « non Allemand » par immigré ou étranger

« Reich » par République

« guerre » par guerre économique

« länder » par régions ou départements

« droit romain » par droit européen

« conception matérialiste du monde » par conception internationaliste du monde

« armée nationale » par police municipale armée

« esprit judéo-matérialiste » par esprit judéo-internationaliste et surtout par esprit islamiste

« juif » par musulman

« intérêt général » par intérêt des Français et « intérêt particulier » par intérêt des immigrés

« réserver l’allemand aux Allemands » par imposer le français à tous

A quelques points près, on y retrouve alors grosso modo le projet du FN. Et il y a bien sûr tout ce qui n’a même pas besoin d’être modifié : tout le reste. On dira que certains passages pourraient avoir été écrits par des partis moins radicalisés, comme la droite traditionnelle voire aujourd’hui le PS : oui, parce qu’ils se sont « droitisés » et rapprochés de cette extrémisme. Mais c’est l’addition du tout, l’effet de cumul, qui est plus inquiétant encore.
Et on sait ce que, une fois les Nazis au pouvoir, la mise en œuvre de ce programme et de ce qui le sous-tendait a donné.

Les déclarations des têtes de listes FN contre les « associations communautaristes et celles qui aident les étranger, comme le planning familial », le délire islamophobe comparable au délire antisémite des nazis, les menaces explicites contre les opposants, les politiques déjà mises en œuvre là où le FN l’a pu (dans diverses communes), tout cela montre en plus comment son programme se concrétiserait.

Après tout ça, on pourra pas dire qu’on n’a pas prévenu.

Programme électoral du Parti National Socialiste (Nazi) allemand de 1920

1. Nous exigeons la constitution d’une Grande Allemagne, réunissant tous les Allemands sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

2. Nous exigeons l’égalité des droits du peuple allemand au regard des autres nations, l’abrogation des traités de Versailles et de Saint-Germain

3. Nous exigeons de la terre et des colonies pour nourrir notre peuple et résorber notre surpopulation.

4. Seuls les citoyens bénéficient des droits civiques. Pour être citoyen, il faut être de sang allemand, la confession importe peu. Aucun Juif ne peut donc être citoyen.

5. Les non-citoyens ne peuvent vivre en Allemagne que comme hôtes, et doivent se soumettre à la juridiction sur les étrangers.

6. Le droit de fixer la direction et les lois de l’État est réservé aux seuls citoyens. Nous demandons donc que toute fonction publique, quelle qu’en soit la nature, ne puisse être tenue par des non citoyens. Nous combattons la pratique parlementaire, génératrice de corruption, d’attribution des postes par relations de parti sans se soucier du caractère et des capacités.

7. Nous exigeons que l’État s’engage à procurer à tous les citoyens des moyens d’existence. Si le pays ne peut nourrir toute la population, les non-citoyens devront être expulsés du Reich.

8. Il faut empêcher toute nouvelle immigration de non-Allemands. Nous demandons que tous les non-Allemands établis en Allemagne depuis le 2 aout 1914 soient immédiatement contraints de quitter le Reich.

9. Tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.

10. Le premier devoir de tout citoyen est de travailler, physiquement ou intellectuellement. L’activité de l’individu ne doit pas nuire aux intérêts de la collectivité, mais s’inscrire dans le cadre de celle-ci et pour le bien de tous. C’est pourquoi nous demandons :

11. La suppression du revenu des oisifs et de ceux qui ont la vie facile, la suppression de l’esclavage de l’intérêt.

12. Considérant les énormes sacrifices de sang et d’argent que toute guerre exige du peuple, l’enrichissement personnel par la guerre doit être stigmatisé comme un crime contre le peuple. Nous demandons donc la confiscation de tous les bénéfices de guerre, sans exception.

13. Nous exigeons la nationalisation de toutes les entreprises appartenant aujourd’hui à des trusts.

14. Nous exigeons une participation aux bénéfices des grandes entreprises.

15. Nous exigeons une augmentation substantielle des pensions des retraités.

16. Nous exigeons la création et la protection d’une classe moyenne saine, la remise immédiate des grands magasins à l’administration communale et leur location, à bas prix, aux petits commerçants. La priorité doit être accordée aux petits commerçants et industriels pour toutes les livraisons à l’État, aux Länder ou aux communes.

17. Nous exigeons une réforme agraire adaptée à nos besoins nationaux, la promulgation d’une loi permettant l’expropriation, sans indemnité, de terrains à des fins d’utilité publique - la suppression de l’imposition sur les terrains et l’arrêt de toute spéculation foncière.

18. Nous exigeons une lutte sans merci contre ceux qui, par leurs activités, nuisent à l’intérêt public. Criminels de droit commun, trafiquants, usuriers, etc. doivent être punis de mort, sans considération de confession ou de race.

19. Nous exigeons qu’un droit public allemand soit substitué au droit romain, serviteur d’une conception matérialiste du monde.

20. L’extension de notre infrastructure scolaire doit permettre à tous les Allemands bien doués et travailleurs l’accès à une éducation supérieure, et par là à des postes de direction. Les programmes de tous les établissements d’enseignement doivent être adaptés aux exigences de la vie pratique. L’esprit national doit être inculqué à l’école dès l’âge de raison (cours d’instruction civique). Nous demandons que l’État couvre les frais de l’instruction supérieure des enfants particulièrement doués de parents pauvres, quelle que soit la classe sociale ou la profession de ceux-ci.

21. L’État doit se préoccuper d’améliorer la santé publique par la protection de la mère et de l’enfant, l’interdiction du travail de l’enfant, l’introduction de moyens propres à développer les aptitudes physiques par l’obligation légale de pratiquer le sport et la gymnastique, et par un puissant soutien à toutes les associations s’occupant de l’éducation physique de la jeunesse.

22. Nous exigeons la suppression de l’armée de mercenaires et la création d’une armée nationale.

23. Nous exigeons la lutte légale contre le mensonge politique conscient et sa propagation par la presse. Pour permettre la création d’une presse allemande, nous demandons que :

a. Tous les directeurs et collaborateurs de journaux paraissant en langue allemande soient des citoyens allemands.

b. La diffusion des journaux non-allemands soit soumise à une autorisation expresse. Ces journaux ne peuvent être imprimés en langue allemande.

c. Soit interdite par la loi toute participation financière ou toute influence de non-Allemands dans des journaux allemands. Nous demandons que toute infraction à ces mesures soit sanctionnée par la fermeture des entreprises de presse coupables, ainsi que par l’expulsion immédiate hors du Reich des non-Allemands responsables. Les journaux qui vont à l’encontre de l’intérêt public doivent être interdits. Nous demandons que la loi combatte un enseignement littéraire et artistique générateur d’une désagrégation de notre vie nationale, fermeture des organisations contrevenant aux mesures ci-dessus.

24. Nous exigeons la liberté au sein de l’État de toutes les confessions religieuses, dans la mesure où elles ne mettent pas en danger son existence ou n’offensent pas le sentiment moral de la race germanique. Le Parti en tant que tel défend le point de vue d’un christianisme positif, sans toutefois se lier à une confession précise. Il combat l’esprit judéo-matérialiste à l’intérieur et à l’extérieur, et est convaincu qu’un rétablissement durable de notre peuple ne peut réussir que de l’intérieur, sur la base du principe : l’intérêt général passe avant l’intérêt particulier.

25. Pour mener tout cela à bien, nous demandons la création d’un pouvoir central puissant, l’autorité absolue du parlement politique central sur l’ensemble du Reich et de ses organisations, ainsi que la création de Chambres professionnelles et de bureaux municipaux chargés de la réalisation, dans les différents Länder, des lois-cadre promulguées par le Reich.
Les dirigeants du Parti promettent de tout mettre en œuvre pour la réalisation des points ci-dessus énumérés, en sacrifiant leur propre vie si besoin est.