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État d’urgence démocratique !

Pour un Front populaire antifasciste

par Pierre Tevanian
1er juillet 2024

Après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, alors que les forces de mort sont maintenant à quelques jours de prendre les commandes, nous republions la tribune de Pierre Tevanian, parue dans Blast le 14 juin. Il ne reste que quelques jours, mais quelques jours lors desquels nous pouvons éviter le pire : en allant voter pour les candidat-es du Nouveau Front Populaire, ou, moins enthousiasmant mais tout aussi nécessaire, pour ceux et celles, quels qu’ils soient, qui affrontent le Rassemblement national, et convaincre dans son entourage de faire de même. Bref, en rappelant inlassablement le principe, simple, basique, qui ne souffre d’aucune exception, ce principe qui a amené Macron au pouvoir et qu’il n’a pourtant cessé de piétiner : le front républicain contre l’extrême-droite.

Nous sommes nombreux à avoir alerté en vain depuis des années sur le travail de légitimation, d’intégration et de cooptation du Rassemblement national dans « l’arc républicain » mené à haute intensité par le pouvoir macroniste tout au long de ses deux mandats, à coup de clins d’oeil répétés (hommages rendus à Maurras , Pétain ou Napoléon, entretiens à répétitions à Valeurs Actuelles, octrois de vices-présidences au Parlement), et surtout de campagnes anti-voile ou anti-woke » et de lois Darmanin, rassemblant toujours LREM, LR et le RN contre un ennemi commun : la « racaille sociale », généralement chômeuse, gréviste, basanée ou de confession musulmane, et la « racaille politique », généralement labellisée LFI, CGT, SUD ou « antifa ».

Ce travail intense et ininterrompu de remplacement du « Front républicain » antifasciste (associant gauche et « droite républicaine » contre la menace de l’extrême droite) par un « Arc républicain » intégrant l’extrême droite (jusqu’à en faire le coeur vivant de la coalition, celui qui donne le « la » et décide des mots d’ordre) et rejetant l’essentiel des forces de gauche dans le rôle d’ennemi principal menaçant, aura culminé cet hiver avec la marche triomphale du RN dans une manifestation censée s’opposer à l’antisémitisme, puis dans le vote par une majorité LREM-LR-RN des lois les plus xénophobes depuis Vichy, ré-inscrivant dans la législation la « préférence nationale ».

Il y eut ensuite la parenthèse Manouchian, durant laquelle l’antiracisme, l’antifascisme et l’esprit de résistance furent célébrés au passé, dans la maison des morts, avant d’aller offrir sur un plateau d’argent les clés de Matignon, là où gouvernent les vivants, au parti qui fut fondé par les bourreaux dudit Manouchian.

Non sans avoir mis à l’agenda, quelques semaines plus tôt, l’abrogation du droit du sol à Mayotte.

Il faut bien l’avouer : le 9 juin, ce président, dont on croyait mesurer avec exactitude et sans illusions le niveau de bassesse, aura su une fois de plus nous surprendre – dans l’abject.

Fidèle à lui-même et à une longue tradition gouvernementale (mais aussi patronale), l’apprenti sorcier qui fait office de président se pare des plus grandes vertus, à commencer par le « courage », mais un « courage » revisité, re-signifié, « disrupté », qui ne signifie plus la capacité à endurer la souffrance et affronter le danger sans céder à la peur, mais la capacité à infliger à d’autres la souffrance et sur-exposer les autres au danger, sans céder à la moindre pitié, la moindre compassion ou la moindre empathie.

Car il faut le dire et le répéter : ni la personne de Macron ni sa caste sociale n’ont grand-chose à perdre dans le misérable jeu de quitte ou double qui vient d’être engagé. Au pire le président perdra les élections et cohabitera sans la moindre difficulté avec un pouvoir lepéniste qui ne touchera aucun de ses cheveux blonds et aucun de ses privilèges de classe. C’est bel et bien avec la vie des autres, et plus précisément des autres les plus autres (j’entends : les plus basanés et les moins catholiques, les moins friqués et les moins burnés), que cet irresponsable individu a décidé de jouer au poker.

Face à une telle « stratégie du chaos », qui court-circuite toutes les forces vives de la démocratie et du progrès social, et même toutes les institutions démocratiques (lesquelles impliquent du temps pour préparer des candidatures, des coalitions, des campagnes), nous n’avons pas beaucoup de choix.

C’est en résistance qu’il faut entrer, et chaque seconde est précieuse.

Au vu de l’accord de principe qui a été signé et de la campagne unitaire, ou presque, qui s’en est suivie, il semble que les appareils politiques de la gauche parlementaire, pour la première fois depuis longtemps, soient à la hauteur des circonstances. À nous tou.tes maintenant de faire tenir ce Front Populaire antifasciste, de faire campagne et de voter, quel que soit le candidat, EELV, LFI, PC, PS ou autre, en oubliant la somme plus ou moins grande de ce qui ne va pas dans ces partis.

Il y aura sans doute des « anti-castors » pour ergoter ou ricaner, nous parler maquis et résistance populaire, ressortir la citation d’Hannah Arendt sur le moindre mal qui reste un mal, mais personne n’a rien inventé d’autre pour stopper l’arrivée aux commandes des fascistes, qui se trouve advenir par les urnes.

Reste donc à tenir, au niveau des appareils et des « personnalités ». Il nous faudra les y aider, les y forcer. Et mener la campagne. Se mobiliser et mobiliser autour de soi, le jour J.

Quant à celles et ceux qui trouvent trop récent ou trop timide l’antilibéralisme d’un Glucksmann (oubliant au passage que dans le passé Mélenchon lui-même a servi sans moufter dans le gouvernement qui a le plus privatisé de toute la cinquième république) ou son soutien aux Palestiniens, qu’ils comparent ses positions à celles de la droite extrême macroniste et des fascistes du RN, y compris sur ces sujets, retraites et Palestine : ils relativiseront très vite.

Et réciproquement, pour celles et ceux qui déplorent les sorties honteuses de Mélenchon – par exemple sur le statut de « grand intellectuel » d’Éric Zemmour ou sur l’ancrage juif de sa xénophobie – ou les complaisances vis à vis d’un Poutine ou d’un Bachar. Qu’ils ou elles comparent avec ce qu’il y a en face (LREM, LR, RN) en la matière : amalgames racistes, realpolitik complaisante avec les régimes oppresseurs, russe et syrien y compris. Ils relativiseront aussi. Dans les deux cas il n’y a pas photo.

Nous sommes hélas dans une situation historique où non seulement il ne faut pas ergoter sur des détails, mais bien plus : il faut ravaler des vraies grandes et graves couleuvres, parce que tout simplement les forces de mort sont à trois semaines de prendre les commandes, celles notamment du budget, des écoles, de la police et de la justice. Nous sommes en état d’urgence démocratique, de légitime défense de nos gueules, de toutes les gueules de métèques et de pas mal d’autres.