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État d’urgence sanitaire et sociale !

Réflexions critiques sur une guerre sans stratégie, sans armes et sans moyens

par Ndella Paye
23 mars 2020

Le traitement de la pandémie de covid 19 révèle l’effondrement d’un système qui ne profite qu’aux mêmes, une petite minorité numérique. C’est seulement quand nous serons prêt.e.s pour vivre dignement et décemment au quotidien que nous serons en mesure de le renverser et d’en construire un nouveau, plus juste...

Force est de constater qu’avec la pandémie du virus Covid 19, nous nous préoccupons de plus en plus, et seulement, de survivre, mais ne vivons plus vraiment. Ceci n’est ni un reproche, ni même un jugement, mais un fait. Nous redécouvrons le vrai visage de la violence du système capitaliste à chaque crise. Les riches profitent d’un système fait par et pour elleux. Les hommes jouissent d’un système fait par et pour eux. Les systèmes de domination se multiplient, se conjuguent en harmonie avec le capitalisme, et laissent beaucoup trop de minorités sur la route. Mais qu’allons-nous faire après ?

Emmanuel Macron parle d’état de guerre face à la pandémie. Mais une guerre contre qui/quoi ? Et pourtant, chaque président de la République prépare ses troupes pour une guerre contre un autre pays, nous le savons tou.te.s. Ils trouvent les moyens matériels et financiers pour cela. Les soldat.e.s sont formé.e.s et placé.e.s un peu partout dans le monde à des points stratégiques. Une bonne partie du budget est dédiée chaque année à leur préparation. Les puissances mondiales ont l’arme nucléaire pour se dissuader mutuellement de s’attaquer. Pourquoi, attaqués par un virus, les pays dits riches n’arrivent-ils pas à le contenir, à l’éradiquer rapidement ? La responsabilité est mise sur le dos des citoyen.ne.s, qui seraient beaucoup trop irresponsables pour respecter les consignes de sécurité. Mais attention, ne nous trompons pas d’ennemis. Le vrai problème, c’est le système auquel nous devons nous attaquer si nous voulons parvenir à survivre, et au delà : exiger de vivre correctement et dignement, parce que nous disposons des richesses pour.

Il faut évidemment respecter les consignes données. Mais cette crise ne doit pas nous empêcher de réfléchir à long terme : elle doit nous ouvrir les yeux sur les dysfonctionnements d’un système qui ne va pas tarder à s’effondrer. Un système colmaté qui dévoile ses failles à chaque crise, peu importe sa nature :

 Nos systèmes de santé ne fonctionnent plus correctement à cause des coupes budgétaires imposées chaque année.

 Nos systèmes éducatifs sont au bord de la ruine par manque de moyens, parce qu’ils ne sont plus une priorité pour nos pouvoirs publics.

 Nos transports ne vont bientôt plus relever du domaine public.

 Nos retraites ne seront plus suffisantes pour vivre décemment.

 Nos services publics sont de plus en plus inexistants.

Quant à la police, qui a brillé ces derniers mois pour terroriser, violenter voire tuer la population afin de l’empêcher d’exercer des droits élémentaires en démocratie, comme celui de manifester, elle semble ici bien impuissante.

Un pays ne peut pas prétendre être riche en usant des outils et règles du capitalisme pour mesurer l’efficacité de services clés, censés être publics, et exiger du rendement aux hôpitaux, aux universités (aux écoles et aux espaces d’éducation plus largement), ou encore aux transports publics. Il y a des services qui doivent rester publics et de qualité, du domaine de l’État, « quoi qu’il en coûte », pour reprendre les mots prononcés par le président le 12 mars, mais aussitôt contredits par l’ensemble de ses troupes (ministres et députés). Nous devrions refuser les soins au rabais prodigués par un personnel de santé en sous-effectif. L’éducation doit rester un service public d’État, et assurer ledit service pour tout le monde, quels que soient nos moyens. Les transports doivent rester publics à un prix dérisoire, à défaut d’être gratuit, et accessibles à tou.te.s.

Quant à la prise en charge de Covid 19, nous aurions besoin que les personnes qui sont au premier plan soient toutes testées, de même que toute personne présentant les symptômes, puis équipées pour limiter la contamination. Confinées quand c’est nécessaire. Nous parlons beaucoup, à juste titre, des personnels de santé, mais nous oublions souvent les auxiliaires de vie sans qui beaucoup de personnes âgées et/ou dépendantes ne (sur)vivraient même pas – ainsi que tous les personnels de nettoyage ou de livraison.

Il n’est pas normal que des pays comme la France ou le Royaume Uni soient dépassés par une pandémie. Des moyens doivent être réinjectés dans les hôpitaux pour garantir des soins de qualité à toute la population, et des conditions de travail décentes pour le personnel médical, sans oublier les auxiliaires de vie qui permettent le maintien dans l’autonomie des personnes dépendantes.

Nous devons en fait exiger que des masques efficaces soient distribués à tout le monde, en quantité suffisante. Sinon à quoi – et à qui – servent les richesses ? Il est inadmissible qu’un pays prêt pour une guerre ne soit pas en mesure de gérer les « achats paniques » de sa population, qu’il ne fasse pas à ce point confiance à sa population pour lui dire la vérité et lui donner les moyens nécessaires de faire face à un virus. Culpabiliser les individus ne les rendra pas plus responsables. S’attaquer aux personnes, qualifiées d’irresponsables individuellement, suffit rarement à les rendre plus responsables sur le moment, et ne fait pas reculer le virus.

Par ailleurs, la sensibilisation et l’éducation ne se font pas seulement en période de crise, mais aussi en amont, en temps « normal », de manière à être intégrées et mises en pratique en temps de crise. Les responsables politiques ne peuvent pas passer leur temps à développer une culture de la délation et espérer une solidarité dans des moments difficiles comme celui que nous vivons actuellement. Car, oui, la solidarité est une culture, et elle ne se développe donc pas en un jour. Conscientiser une population est un travail de longue haleine, qui commence dès le plus jeune âge. Nous ne pouvons accepter l’inversion des responsabilités et la culpabilisation. Il est des responsabilités qui ne peuvent être qu’à la charge des pouvoirs publics, et pour lesquelles la défaillance ne saurait être une option quand on est un pays riche.

Nous en sommes à faire des achats « irréfléchis » de papier toilettes quand des parties entières de la terre sont en manque d’eau, plus indispensable à la propreté et à la vie, mais restent solidaires et gardent leur raison. La peur ne devrait pas nous faire perdre le sens des priorités. On peut nettoyer ses fesses avec de l’eau, une pénurie n’est pas prévue. Nous en sommes à dévaliser les magasins et stocker de la nourriture individuellement sans penser aux personnes les plus démunies, les plus vulnérables. Cet individualisme ne nous sauvera pourtant pas de ce virus, ni de l’effondrement imminent de notre système tout entier. Qu’est ce qui est mis en place pour les sans domicile fixe, abandonné.e.s à leur triste sort quand le reste de la population est confiné pour contenir la pandémie ? Le sens de la solidarité voudrait que les logements vides soient mis à disposition ou réquisitionnés. Et si les réquisitions sont possibles aujourd’hui, cela veut dire qu’elles le sont aussi le reste de l’année.

Le fond du problème reste donc le système, et celleux qui tiennent les rênes du pouvoir. Et nous, la population, notre faiblesse est d’ignorer la puissance de notre pouvoir parce que nous sommes tellement occupé.e.s à survivre individuellement et quotidiennement.

Je ne nous reproche pas de ne pas être prêt.e.s à affronter le système, pour cela il faut sans doute n’avoir rien avoir à perdre. C’est ensemble que nous arriverons à faire face à la crise, et c’est ensemble que nous pouvons espérer détruire un système qui nous broie, les plus démuni.e.s en premier, chaque jour un peu plus. À l’heure où même notre survie est menacée, nous devons réaffirmer notre droit inaliénable à non seulement rester en vie, mais plus que cela : vivre dignement et décemment.