« Progressiste », tel est l’adjectif qui a été utilisé par le conseiller de Nicolas Sarkozy, Alain Minc, pour qualifier la proposition faite vendredi 7 mai 2010, et que Martin Hirsch, ancien Haut Commissaire aux solidarités, a trouvée « intéressante » : soustraire les « très vieux » au système général de la Sécurité sociale pour imputer leurs dépenses de santé à leur patrimoine ou à celui de leurs ayants-droits.
On ne compte plus les déclarations faites au nom des principes les plus généreux, des valeurs les plus édifiantes. République, droits de l’homme, universalisme, lutte contre le sexisme, générosité et humanité : tout est bon à prendre pour expulser les sans-papiers, exclure des collégiennes et des lycéennes et interdire l’espace public à des femmes, réprimer dans les banlieues... Mais personne n’avait encore osé, au nom du « progressisme », défendre une idée qui constitue une dérive idéologique de plus dans la France de Sarkozy : une mesure d’inspiration tout simplement eugéniste.
Comment, en effet, qualifier autrement la proposition d’Alain Minc ? Car derrière l’argument économique et très vaguement social (faire payer à ceux qui peuvent payer), il y a tout simplement la constitution d’une catégorie à part : des personnes « très vieilles », ou plutôt, faudrait-il dire, « trop vieilles », pour être considérées, à égalité de toute autre, comme partie prenante de la solidarité nationale.
C’est « un luxe », dit Alain Minc, qu’un homme de 102 ans bénéficie de 15 jours d’hospitalisation en service de pointe. C’est un « cadeau », dit-il, qui lui a été fait à lui – l’homme dont il parle étant son propre père. Il faut pourtant expliquer à cet illustre économiste une chose très simple. Bénéficier de la Sécurité sociale, ce n’est pas recevoir un « cadeau », c’est tout simplement un dû. Un dû qui s’inscrit dans un système, lui véritablement progressiste, organisant collectivement des transferts financiers des personnes qui, à un moment donné, sont en bonne santé vers celles qui sont malades, des personnes travaillant vers les chômeurs et les retraités etc.
Si Alain Minc se sent personnellement coupable de bénéficier d’un tel « cadeau », lui qui doit en effet bénéficier d’une situation financière tout à fait confortable, qu’il milite donc pour la suppression de ces « cadeaux » faramineux faits aux plus riches, le bouclier fiscal, ou encore pour l’augmentation des droits de succession et l’alourdissement de l’impôt sur la fortune !
Ni « cadeau », ni « luxe ». Le luxe, c’est le superflu, c’est ce dont on peut se passer. L’accès aux soins, c’est un droit inaliénable, universel, quel que soit son sexe, son statut socio-économique, son origine et… son âge. Et quel que soit le coût des soins. En priver certains parce qu’ils sont « très vieux » (d’ailleurs, à partir de quand passe-t-on de « vieux » à « très vieux » ?), c’est estimer qu’ils ne sont plus assez en vie, plus assez utiles, plus assez vigoureux pour le mériter. C’est subordonner la considération accordée à la vie humaine à sa « vitalité ».
Patrick Buisson, un autre conseiller de Nicolas Sarkozy, voit dans la vigueur sexuelle des hommes un indice de santé sociale. Dans un livre récent, il vibre à l’évocation des « flux séminaux » qui animent la nation française, déplorant les moments de son histoire où celle-ci est devenue « femelle ». Même sous un vernis « progressiste », les idées vichystes s’affichent aujourd’hui, autour de l’Elysée, de plus en plus ouvertement.