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Fatimata M’Baye, Lamba Soukouna

L’insécurité dont on ne parle pas

par Amnesty International
28 octobre 2009

Un rapport récent d’Amnesty International dénonce l’impunité dont bénéficient en France une part importante des violences policières, qu’il s’agisse de coups et blessures ou d’homicides. Il met également en cause le recours aux poursuites pour outrage ou rebellion ou violences contre les témoins de leurs violences, afin de se protéger contre toute mise en cause. Voici deux exemples.

Fatimata M’Baye

Fatimata M’Baye est avocate, présidente de l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH) et
vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Le 11 mars 2008, elle a été
arrêtée et placée en garde à vue pendant vingt-quatre heures après avoir protesté contre ce qu’elle estimait
être des mauvais traitements infligés par des policiers à un migrant mauritanien expulsé de force dans l’avion
où elle avait pris place. Elle affirme avoir été soumise à des traitements dégradants pendant sa garde à vue.

Le 11 mars 2008, Fatimata M’Baye a embarqué à bord du vol 765 d’Air France au départ de l’aéroport Charles
de Gaulle et à destination de Nouakchott, en Mauritanie. Elle a remarqué que plusieurs policiers étaient à
bord, mais cela ne l’a pas intriguée davantage jusqu’à ce qu’elle et les autres passagers entendent les appels
au secours d’un homme au fond de l’avion. Celui-ci criait :

« Aidez-moi, s’il vous plaît, ils vont me tuer,
détachez-moi ! »

Fatimata M’Baye raconte qu’elle a alors vu un jeune homme les bras sanglés le long du
corps au moyen d’une ceinture, entravé par des agents de la Police aux frontières (PAF) qui essayaient de le
faire taire. Elle et un autre passager, un médecin, ont demandé aux policiers de détacher cet homme,
protestant contre les traitements inhumains et dégradants qui lui étaient infligés.

Le commandant de bord a demandé aux policiers de détacher le jeune homme car c’était interdit pendant les vols. Comme ils refusaient, il leur a ordonné de descendre de l’avion. Les passagers l’ont alors applaudi.

Quelques minutes plus tard, une vingtaine d’autres policiers sont montés dans l’avion, et l’un d’eux a ordonné
à Fatimata M’Baye et au médecin de descendre. Fatimata M’Baye a répondu qu’elle n’en ferait rien tant qu’on
ne lui aurait pas expliqué pourquoi. Le policier lui aurait alors répondu qu’il « avait les moyens de [l]’y
contraindre ». Percevant dans ces paroles une menace de violences physiques, elle a débarqué de l’avion.

Fatimata M’Baye a été placée en garde à vue à l’aéroport, où elle a été fouillée au corps. Vers 18 heures, on l’a
informée qu’elle avait été arrêtée pour s’être « opposée à une reconduite à la frontière » et qu’elle resterait en
garde à vue pendant quarante-huit heures. À 23 h 30, elle a été emmenée dans une cellule située dans une
autre partie de l’aéroport. Là, elle a subi une nouvelle fouille au corps et, alors qu’elle était nue, les policières
lui ont demandé « d’écarter les jambes » afin de vérifier qu’elle « ne cachait rien ». Elle a été profondément
humiliée par cette procédure, qui semblait tout à fait inutile puisqu’elle avait déjà été fouillée au début de sa
garde à vue. Elle a protesté auprès des deux représentantes des forces de l’ordre et la fouille a finalement été
arrêtée.

Fatimata M’Baye est restée en garde à vue toute la nuit, et le procureur de la République a été informé de sa
détention. Cependant, elle a été libérée le lendemain vers 15 heures sans qu’aucune charge n’ait été retenue
contre elle. Le médecin qui avait lui aussi protesté contre le traitement infligé à l’étranger expulsé et avait
également été interpellé a été libéré à peu près à la même heure. Il affirme n’avoir jamais été informé des
raisons de sa détention.

Aucune information n’est disponible sur le jeune homme qui faisait l’objet de cette opération. Fatimata M’Baye
pense qu’il a été renvoyé en Mauritanie par le vol suivant.

Lamba Soukouna

Lamba Soukouna a raconté à Amnesty International avoir été maltraité par des policiers dans la soirée du
8 mai 2008 devant chez lui, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), dans la banlieue de Paris. Lamba Soukouna
souffre de drépanocytose, une grave maladie génétique, et a dû être hospitalisé trois jours à la suite de cet
épisode.

D’après son récit, peu avant minuit ce soir-là, Lamba Soukouna
rentrait chez lui tout en parlant au téléphone avec un ami
quand il a remarqué un groupe de policiers en tenue
antiémeutes devant l’immeuble d’en face. Il a alors perçu une
agitation et, se retournant, a vu les policiers charger un groupe
de jeunes, qui se sont dispersés dans toutes les directions.

Toujours au téléphone, Lamba Soukouna est alors entré dans le
hall de son immeuble et s’est dirigé vers l’escalier, mais deux
groupes de policiers sont arrivés en courant. L’un d’eux a
attrapé le jeune homme par-derrière et l’a plaqué contre le
mur. Choqué par cette agression soudaine, Lamba Soukouna
aurait dit au policier de se calmer. Celui-ci lui aurait répondu de
se taire et l’aurait frappé au front avec la crosse de son arme à
balles en caoutchouc. Lamba Soukouna raconte qu’il est alors
tombé à terre et s’est évanoui quelques secondes.

Quand il est
revenu à lui, il a senti du sang ruisseler sur son front et a crié
aux policiers :

« Mais pourquoi vous faites ça ? Qu’est-ce que
j’ai fait ? ».

Un voisin est arrivé et a dit aux policiers de faire
attention parce que Lamba Soukouna souffrait d’une grave
maladie, mais l’un d’eux aurait répondu :

« On n’en a rien à foutre de ta maladie ».

Ils auraient alors
commencé à lui donner des coups de pied dans le dos et les côtes alors qu’il était à terre.
Lamba Soukouna a raconté à Amnesty International que plusieurs voisins et membres de sa famille avaient
assisté à la scène. Ils l’ont aidé à se relever et à monter chez lui, où il a expliqué à ses parents ce qui s’était
passé. Le jeune homme saignait abondamment et souhaitait se faire soigner ; ils ont cependant décidé d’aller
d’abord porter plainte à la gendarmerie, car ils voulaient que les gendarmes voient ses blessures tout de
suite.

Accompagné de deux amis et de son frère, Lamba Soukouna est monté dans la voiture d’un de ses amis dans
l’intention de signaler ce qui lui était arrivé. En route, ils sont passés sur les lieux d’un accident de voiture, où
se trouvaient de nombreux policiers. Ayant reconnu certains des policiers qui l’avaient agressé, Lamba
Soukouna est descendu de la voiture pour essayer de mieux les identifier. Un policier d’une autre unité
présente (celle d’Aulnay), remarquant les blessures et l’état de détresse du jeune homme, lui a demandé ce
qui lui était arrivé. Quelques instants plus tard, quand les secours sont arrivés pour s’occuper de l’accident de
voiture, ce policier a dit à Lamba Soukouna d’aller les voir pour faire soigner sa plaie au front.

Alors qu’il se dirigeait vers l’ambulance, raconte-t-il, un des policiers du groupe qui l’avait agressé l’a attrapé
par le cou et l’a traîné sur plusieurs mètres avant de le faire monter de force dans le fourgon de police, où il a
été menotté. Son frère, inquiet de l’agression qui venait de se dérouler sous ses yeux, a demandé aux policiers
pourquoi ils traitaient Lamba Soukouna de cette façon et où ils allaient l’emmener. Ceux-ci ont répondu « à
l’hôpital ». En réalité, ils l’ont emmené au commissariat de Villepinte.

À son arrivée au commissariat, Lamba Soukouna dit avoir été attaché à un banc avec des menottes. Il a
raconté à Amnesty International que personne ne lui avait répondu quand il avait demandé les raisons de son
arrestation, à part un policier qui lui a dit « Je ne sais pas ». Il a demandé à plusieurs reprises les
médicaments qui lui permettent de contrecarrer les effets de sa maladie chronique, mais il ne les a pas
obtenus. Finalement, vers deux heures du matin, il a été emmené à l’hôpital de Bondy, où il a revu les policiers
d’Aulnay. Ceux-ci l’ont reconnu ; l’un d’eux a raconté aux agents qui accompagnaient le jeune homme que
celui-ci leur avait dit qu’il avait été frappé par des policiers de Villepinte, et qu’eux-mêmes avaient été
témoins de la violence de son interpellation sur les lieux de l’accident de voiture.

Lamba Soukouna a été soigné pour sa blessure au front, qui a nécessité plusieurs points de suture, et a reçu
une ITT de six jours, puis il a été renvoyé au commissariat de police de Villepinte vers 3 h 30. Cela faisait alors
trois heures qu’il était retenu par la police sans qu’on lui ait signifié ni les raisons de son arrestation ni les
charges éventuelles retenues contre lui. Peu après son retour au commissariat, il a été placé en garde à vue
pour outrage et rébellion.

Il a ensuite été entendu en compagnie du policier qui, selon lui, l’avait agressé.
Pendant l’interrogatoire, ce dernier a affirmé que Lamba Soukouna l’avait insulté et avait essayé de lui donner
un « coup de boule », et que lui-même l’avait frappé avec son
arme dans un acte de légitime défense. Il a aussi déclaré que
Lamba Soukouna avait essayé de s’enfuir et avait encouragé
d’autres jeunes à attaquer les policiers.

Lamba Soukouna a nié toutes ces accusations et a donné sa
version des faits. En raison de sa maladie chronique et de
deux opérations aux hanches, a-t-il souligné, il est tout à fait
incapable de courir et ne peut donc pas avoir tenté de
s’enfuir, comme le prétendait le policier.

Amnesty International a vu le dossier médical du jeune
homme, qui confirme la gravité de son état de santé et
reconnaît son invalidité à 80 %. L’organisation a aussi vu les certificats médicaux et les photos des blessures
qu’il a reçues le 8 mai 2008 ; ces documents correspondent à ses allégations.

Après cet interrogatoire, Lamba Soukouna a demandé une nouvelle fois ses médicaments mais, raconte-t-il, il
a été renvoyé dans sa cellule. Il affirme avoir renouvelé sa demande à plusieurs reprises, en vain. En
conséquence, à 5 heures du matin, il a fait une grave crise, caractérisée par des difficultés à respirer et de
violentes douleurs. Selon lui, il a dû attendre une demi-heure avant qu’un policier lui annonce qu’une
ambulance était en route. À leur arrivée, les auxiliaires médicaux ont immédiatement reconnu Lamba
Soukouna car ils venaient de l’hôpital où le jeune homme est suivi habituellement. Ils l’ont emmené
directement aux urgences de l’hôpital Robert-Ballanger, où le médecin de garde l’a lui aussi reconnu et a dit
aux policiers qu’il était impossible de le renvoyer en garde à vue, compte tenu de la gravité de son état de
santé. Lamba Soukouna est resté hospitalisé trois jours.

Il a déposé une plainte auprès de l’IGS. Sa plainte et celle des policiers contre lui sont toujours en instance.

Présentation générale du rapport d’Amnesty International

Autres extraits :

Pascal Taïs, Abou Bakari Tandia, Abdelhakim Ajimi

Josyane, Salif, Albertine, Évelyne et Patricia

Cf. aussi :

1997-2002 : Cinq ans d’impunité policière

P.-S.

Ce texte est extrait du rapport d’Amnesty International : Des policiers au dessus des lois ?, dont nous recommandons la lecture intégrale. Le rapport est téléchargeable ici.