Mesdames,
L’état d’esprit colonial est celui qui a présidé et qui continue de présider à la dépréciation des cultures arabo-musulmanes et à la dépréciation des hommes, tributaires de la culture patriarcale. Cette humiliation identitaire a comme corollaire la promotion instrumentale des femmes et l’encensement de l’idéologie universaliste française. Voici ce que Bourdieu observait déjà dans l’Algérie Française des années 60 (dans Paysans déracinés) :
"Le regroupement empêche les femmes d’accomplir la plus grande partie de leur tâches traditionnelles. C’est d’abord que l’interventionnisme des autorités s’est en quelques sortes concentré sur elles parce que, aux yeux des militaires, comme dans la plupart des observateurs naïfs, la condition de la femme algérienne était le signe le plus manifeste de la barbarie, qu’il s’agissait de combattre par tous les moyens .D’une part, les militaires ont crée presque partout des cercles féminins, d’autres part ils se sont efforcés d’abattre brutalement tout ce qui leur paraissait faire obstacle à la libération de la femme. Plus généralement, les actions militaires et la répression ont soumis à une épreuve terrible la morale de l’honneur qui régissait la division du travail et le rapport entre les sexes".
Franz Fanon, pour sa part, faisait les mêmes constatations quand il affirmait que le colonisateur avait trouvé comme ultime argument, pour délégitimer l’indigène, l’idée selon laquelle il opprimait sa femme.
L’alibi féministe consacre donc la supériorité du discours franco-centriste et exploite la condition des femmes au Maghreb ou dans les banlieues comme faire-valoir. Face à une mise en accusation permanente de la culture musulmane par les discours dominants, la mise à distance nécessaire pour objectiver les faits sociaux et leur donner du sens est difficile pour quiconque ne veut pas renier son enracinement dans une mémoire et une histoire, c’est à dire dans cette islamité entre autres. Souvent, la confrontation d’idées dévie du champ du féminisme vers le champ du civilisationnel. Les féministes médiatiques ont, en France, une fâcheuse tendance à se désintéresser de l’étude des rapports hommes/femmes pour se focaliser sur la mise en accusation de l’Islam.
Partant de ce postulat, les élites intellectuelles et politiques, faisant fi de toute analyse critique, ont vivement encouragé les femmes de l’immigration musulmane à se libérer de leurs carcans traditionnels, de leur oppression supposée ou réelle, ce qui n’a pas manqué de créer des ruptures traumatiques au sein des familles.
En revanche, aucun message n’ a été envoyé en direction des hommes, ne serait-ce qu’une alternative au déni d’identité dont ils étaient victimes.
C’est une guerre idéologique civilisationnelle dont l’enjeu est tout sauf féministe, d’où l’indifférence à l’égard des luttes féministes en terre d’islam ou dans les banlieues françaises quand le contexte ne se prête pas à un discours anti-islamique.
Que de féministes en France disposées à proscrire les marques de l’infériorisation des femmes ! pourtant, partout dans le monde, vêtements et parures sont sexués pour d’une part empêcher l’indifférenciation des genres et d’autre part, manifester l’asservissement des femmes à l’ordre sexiste [1]. Le foulard que vous, mesdames les thuriféraires de l’ordre féministo-républicano-bourgeois, privilégiées mais surtout ignorantes des réalités sociales, ne cessez de dénigrer, ne fait que manifester ce que vos propres vêtements expriment autrement (robe, jupe, bijoux, maquillage...). Comment dire l’arrogance et la suffisance de toutes ces stars du cinéma, signataires de la pétition du magazine Elle, empreinte de paternalisme, pardon de maternalisme, qui appellent à une loi interdisant le foulard alors qu’elles sont, elles, subordonnées au diktat des producteurs pour lesquels une bonne actrice est une actrice qui se dénude au moins une fois dans sa carrière !
Quelle différence fondamentale y-a-t-il entre une femme que l’on oblige à se couvrir et celle que l’on oblige à se dévêtir ? Reprenons un argument que les prohibitionnistes ne cessent d’avancer pour diaboliser plus encore le voile : il est responsable des violences sexistes et même des viols commis sur les femmes qui refusent de le porter. Si un tel lien de cause à effet est vrai, nous pouvons affirmer sans complexe que la presse féminine, qui ne cesse de vanter les vertus de la minceur, et diffuse des modèles esthétiques normatifs qui engendrent un rapport névrotique et coupable à son corps, est responsable des décès par anorexie – et doit donc être interdite !
Comment dire l’hypocrisie de la presse féminine, qui derrière des alibis féministes, est clairement une presse aliénée, réactionnaire et anti-féministe ! comment expliquer l’aveuglement devant l’ordre sexiste général et la focalisation sur l’affaire du foulard dit islamique ? la réponse est peut-être trop simple...si simple qu’on n’ose le dire de crainte de paraître excessif... Osons : l’Occident (concept mythique) continue de se vivre comme supérieur. En d’autres termes, quelle que soit la nature du sexisme des élites, des politiques, des hommes de pouvoirs, celui-ci, parce que émanant des "blancs" et nantis de la République, ne peut en rien se comparer à celui des classes dangereuses (entendez musulmans et dépendances). Il a ceci de particulier qui l’immunise contre la critique et l’absout de toute remise en question : il est occidental.
L’idéologie dominante me permettra t-elle d’avancer une hypothèse ? Prenons deux figures du champ médiatique : Laëtitia Casta et Saïda Kada – une militante voilée, auteure avec Dounia Bouzar de L’une voilée, l’autre pas.
La première est mannequin, riche et célèbre – sa gloire est de tapisser depuis plus de 3 ans les murs du métro parisien. Soumise à une idéologie sexiste et marchande, elle est un outil au service d’un système archi-libéral... Qu’apporte t-elle à la société ? la réponse est dans la question.
La seconde, voilée (et que, par ailleurs je me garderais bien d’encenser ou de promouvoir parce qu’elle cède malgré tout à la différenciation des sexes) [2], a ceci de particulier qu’elle est porteuse d’un discours politique et qu’elle remet en question les certitudes d’un Etat, ses valeurs, ses fondements, et participe par sa seule présence dans l’espace public à une remise en question du discours mystificateur de ce que Gilles Deleuze appelait "les gros concepts" – comprenez "Laïcité", "Universalisme", "République", "Raison des Lumières". Cette critique est constructive et urgente (salutaire ?) pour l’ensemble de la société. Voici ce qu’écrivait Henri Lefebvre à la veille de la seconde guerre mondiale :
"On nous a habitué à nous fier aux idées comme à des vierges éternelles, innocentes. Et voici que la dialectique nous parle de la ruse des idées. Leur idéalité cache précisément des forces brutales. La clarté sereine de la raison a couvert la domination de l’impérialisme armé et casqué !".
C’est vrai : nous vivons dans une société où règne un certain sens de l’égalité, de la laïcité : le sens qu’ont bien voulu lui donner les classes dominantes.
Devinette en guise de conclusion : combien d’années les parents des 2000 élèves voilées menacées d’exclusion par la loi "Stasi-Ferry" doivent-ils travailler pour gagner le total des revenus annuels des 60 stars de cinéma et écrivains à succès signataires de l’appel de Elle ?