J’ai commencé à côtoyer le milieu féministe juste avant le vote de la loi anti-foulard du 15 mars 2004. Le Collectif une école pour tou-te-s (CEPT) s’est créé pour lutter contre cette loi liberticide, puis dans la foulée s’est créé le Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE)…
Très rapidement, il a fallu assister aux réunions du CNDF pour préparer la journée des femmes. Là, ce fut le grand choc : quand, avec certaines copines voilées et non voilées, on rentrait dans la salle de réunion, des femmes nous demandaient d’en ressortir avec une telle violence verbale... Parfois même, on frôlait la violence physique. Nous persistions et restions dans la salle, n’arrivant pas à comprendre comment on pouvait chasser des femmes d’une réunion sur la journée des femmes....
Je me souviens que chaque fois que je rentrais chez moi, j’étais effondrée, il me fallait plusieurs jours pour me remettre. Les réunions se suivaient et à la veille de chacune d’elles, l’angoisse me gagnait. C’était un vrai combat, mais pas contre ceux que je pensais devoir combattre comme le gouvernement ou encore les personnes qui veulent cantonner la femme à la maison. Mais non ! La lutte était contre des féministes à qui on essayait désespérément de faire comprendre qu’on pouvait être voilée et féministe.
Il ne s’agissait à aucun moment de faire accepter le voile au sens de défendre une position « pour » le voile. Mais dans la tête d’un grand nombre de personnes, le voile ne peut être un choix acceptable dans la liste des choix qu’on nous proposait à travers le slogan : « Mon corps m’appartient, j’en fait ce que je veux ». L’habiller d’un voile ne pouvait être un choix acceptable.
Mais à côté de tout ça, il y avait d’autres femmes, extraordinaires, à nos côtés pour nous montrer que c’était possible, qu’il était possible de lutter ensemble malgré nos différences et divergences. Je pense que leur contact avec nous, musulmanes et voilées, les a fait évoluer sur la place de la femme dans l’Islam, sur les significations diverses du voile. Mais ce dont je suis sûre, c’est que notre contact avec elles nous a fait évoluer. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus ouverte à la critique, et je suis convaincue qu’être contre le voile ne signifie pas toujours être raciste. Les différentes et riches rencontres et débats que nous avons eus autour du film de Jérome Host Un racisme à peine voilé y ont beaucoup contribué aussi.
Je me souviens, en 2005, quand j’ai participé pour la première fois à la Marche mondiale des femmes à Marseille, comment on peinait à prendre la parole pour participer aux débats, juste parce qu’on portait un voile. Mais le côté international de la manifestation a permis aux féministes françaises de se rendre compte que notre exclusion restait bien franco-française. On a pu de ce fait apporter notre contribution aux débats, Ismahane Chouder à l’extérieur de la salle et moi à l’intérieur.
Je me souviens du retour de la Marche quand certaines femmes appartenant à l’association Femmes solidaires ont tout fait pour que nous ne prenions pas le TGV. On a pu dialoguer tout de même avec quelques unes une fois dans le train, car notre devise est : ne jamais fermer les portes du dialogue. Mais le plus dur était à l’arrivée à gare de Lyon quand à la sortie elles scandaient des slogans du genre :
« So so so, solidarité, avec les femmes, du monde entier !
Sauf les voilées ! »
Là je me suis dit qu’on avait atteint le summum du ridicule. Mais encore là, malgré ces expériences douloureuses, et à côté d’elles, il y avait ces extraordinaires femmes du CFPE, qui continuaient le combat à nos côtés. On passait des moments tellement intenses qu’ils nous permettaient de tenir et de faire face à toutes ces agressions externes.
La prochaine Marche mondiale a lieu en Turquie en juin prochain, et comme le CFPE est signataire de l’appel, nous allons aux réunions en duo « voilée-non voilée », une tradition qu’on a au CFPE pour rendre compte de la composition et de la richesse de notre collectif. Le 27 mars, avec Catherine Samary, nous étions le duo du CFPE, j’avoue que j’avais le trac, j’étais un peu angoissée à l’idée d’affronter des regards lourds, des réflexions désobligeantes, etc. Mais il fallait y aller, et à ma grande surprise, le climat était plutôt à l’apaisement, même si le nom de Tariq Ramadan a glissé de la bouche de Maya quand on parlait du FSE, sans qu’on voit le lien ... Mais on ne nous excluait plus, c’est plutôt les associations qui ne supportaient pas notre présence qui s’auto-excluaient. On fait maintenant partie, non sans difficultés ni oppositions de certaines, du paysage féministe français. J’ai senti une humanisation du débat pour la première fois depuis 2004, car avant, j’avais l’impression qu’on s’adressait à des animaux quand on nous parlait – et encore les animaux sont très respectés en France – ou alors on parlait de nous comme si nous n’étions pas présentes.
Je suis sortie de cette réunion avec un tel optimisme que je voyais beaucoup de portes s’ouvrir devant moi. J’ai commencé à me dire tout ce qu’on a fait depuis 2004 n’est pas en vain, que les vrais féministes, pas ceux d’un jour pour faire passer une loi, commencent à ouvrir les yeux.
La rencontre du CERI sur le féminisme islamique, à laquelle j’ai assisté le 3 mai dernier avec quelque copines du CFPE, m’a d’autant plus reboostée et réconfortée dans ma pensée, et je peux dire aujourd’hui qu’on va pouvoir passer aux vraies luttes pour les droits des femmes sans qu’on nous pollue l’esprit avec de faux problèmes. Diviser pour mieux régner a été la stratégie de beaucoup de dirigeants dans le monde, j’espère que les associations féministes françaises ne tomberont pas dans ce piège, car pendant ce temps-là, les inégalités entre hommes et femmes se creusent tant au niveau des salaires, des postes à responsabilités dans les entreprises, à la maison, la parité, et la liste est longue. Ne nous laissons pas distraire par des faux problèmes qui nous plongent dans des faux débats, pendant lesquels le gouvernement fait ses réformes qui ne passeraient jamais si nous étions concentré-e-s sur l’essentiel.
Aux copines Hamida Ben Sadia, Christine Delphy, Catherine Samary, Catherine Cauwet, Monique Crinon, Alice Dula, Suzanne, Katioucha, Cecilia Baeza, Marina Da Silva, Marielle, Houria Bouteldja, Emilie Combaz, Djamila, Sylvie Tissot, et à toutes les autres : merci d’avoir été et de continuer d’être à nos côtés afin de lutter pour les droits des femmes, mais aussi contre toutes les injustices. Merci de montrer que cette lutte ensemble (musulmanes, voilées, non voilées, athées, agnostiques, chrétiennes, juives, etc) est possible. Pour beaucoup, cela a entraîné une rupture avec des copines d’années de lutte, j’espère que ces amitiés se renoueront dans un futur proche.
Amitiés féministes.