Vous vous demandiez peut-être pourquoi l’imprécatrice multimédias Caroline Fourest, si prompte à dénoncer la « violence » de Jean-Luc Mélenchon, et à requalifier les critiques de gauche à son égard en « attaques d’une violence inouïe » voire en « désignation comme cible pour les djihadistes », épargnait autant la bien réelle brutalisation et fascisation du débat public par le système Bolloré en général et son sinistre amuseur-propagandiste Cyril Hanouna en particulier ?
Un élément de réponse vient d’apparaître dans un article publié ce jeudi 6 décembre par Virginie Vilar sur Francetvinfo, qui nous montre ladite Caroline au coeur des singuliers « deals » (sic) que le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré impose, via son Cyril, aux « chroniqueurs » de l’émission « Touche pas à mon poste ».
Dans la foulée d’un récent « Complément d’enquête » dirigé par Virginie Vilar et consacré à « Cyril Hanouna, le nouveau Parrain du PAF », la journaliste revient sur l’une des pièces les plus accablantes de son enquête qui en a produit bien d’autres : une série de textos qui montre comment Cyril Hanouna dicte à ses chroniqueurs, avant son émission, « leurs » choix de sujets (coups de coeur ou coups de gueule), « leurs » prises de position et même des éléments de langage que lesdits chroniqueurs récitent ensuite au mot près. Torse bombé et main sur le coeur, bien entendu, avec la conviction et le sérieux papal du « fort-en-gueule » qui « ne s’en laisse pas conter », « n’a pas sa langue dans sa poche » et « ne lâchera jamais sa liberté de penser » !
Même si ces révélations n’épuisent pas le problème Hanouna, même si elles nous maintiennent bien en deçà d’un autre problème de fond, bien plus grave, à savoir la manière dont ledit Hanouna relaye et valorise de manière opiniâtre, systématique voire obsessionnelle les discours d’extrême droite les plus violents et toxiques, et la manière dont par exemple son émission a accompagné et soutenu quasi-quotidiennement la candidature d’Éric Zemmour lors de la dernière élection présidentielle, il faut bien avouer que ces révélations produisent un effet vertigineux, en nous montrant, de manière irréfutable, et bien au-delà de tout ce qu’on aurait osé supposer, le niveau d’impudence et de manipulation que pratiquent des individus qui, tous les soirs, se posent comme les incarnations les plus pures du « courage de la vérité ». Et leur niveau aussi, bien sûr, de servilité et d’indignité.
Si l’article de Virginie Vilar revient sur ces textos, c’est parce que les « chroniqueurs » fantoches de Monsieur Hanouna, qui ne sortent évidemment pas grandis de ces révélations, se sont empressés, au lendemain de la diffusion dudit « Complément d’enquête », de s’indigner en dénonçant (sur demande de Cyril ? nous ne nous prononcerons pas !) des allégations relevant – je cite l’une d’entre eux, Géraldine Maillet – du « mensonge absolu » (une formule dictée par Cyril ? nous ne nous prononcerons toujours pas !). Moyennant quoi notre espiègle enquêtrice s’est fait un devoir – et sans doute un plaisir – de ressortir de ses archives quelques-uns des fameux « textos de Cyril » qu’elle n’avait pas exploités dans le reportage diffusé sur France TV, et notamment ceux qui concernent notre chroniqueuse indignée, la dénommée Maillet.
Dommage !
Et c’est ici que notre Caroline Fourest nationale entre en scène – je cite l’article de Virginie Vilar :
« Un de ces textos est directement adressé à la chroniqueuse Géraldine Maillet. Le 7 octobre 2019, la production lui transmet des éléments de langage à développer au sujet du film Sœurs d’armes de l’essayiste Caroline Fourest, dont il faut parler en plateau "comme [d’]un coup de cœur". La production insiste : l’éloge est "dealé avec Cyril [Hanouna] et [Vincent] Bolloré", le propriétaire de la chaîne, donc "il faut vraiment que tu le fasses". Dans un second SMS envoyé le même jour, il est une nouvelle fois précisé que les éléments de langage proviennent de Vincent Bolloré. "Pour le film : très important car demande de Bolloré. (...) Il faut vraiment que tu regardes ce que dit la critique et que ça soit un vrai coup de cœur", écrit la production. »
Ce que, ô surprise, ladite Géraldine exécuta sur le plateau de son Boss Cyril.
Ces consignes contreviennent évidemment aux principes déontologiques basiques fixés par l’Arcom (Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et numérique), et notamment à l’article 4 d’une de ses délibérations relative à l’indépendance de l’information, que rappelle de manière opportune Virginie Vilar :
« L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d’information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs. »
Virginie Vilar conclut son article, en bonne journaliste qui n’affirme qu’avec preuves à l’appui, par un questionnement qu’elle laisse en suspens :
« Pourquoi Vincent Bolloré souhaitait-il que le film Sœurs d’armes bénéficie d’une bonne critique sur le plateau de "TPMP" ? Le milliardaire breton n’a pas répondu à nos sollicitations. Une chose est certaine : en tant que propriétaire de Vivendi et de sa filiale Canal+, Vincent Bolloré participe au financement d’une centaine de films français par an. La chaîne était ainsi l’un des principaux financeurs du long-métrage de Caroline Fourest. Contactée par "Complément d’enquête", Géraldine Maillet confirme et "revendique totalement avoir dit du bien" à l’antenne "de cette femme [Caroline Fourest] et de son film". Elle assure que sa critique relevait de son libre-arbitre, et non d’une consigne." »
Rions à nouveau, tout d’abord, en entendant, dans un tel contexte, le mot « libre-arbitre ».
Puis songeons à ce que ne nous dit pas l’article de Virginie Vilar. Songeons à un autre questionnement qui pourrait être intéressant. Un autre « complément d’enquête » en quelque sorte, qui interrogerait ce que pense de tout cela la bénéficiaire du « deal », je veux dire Caroline Fourest, dont le film Soeurs d’armes fut un authentique naufrage public (84 778 entrées comptabilisées après un important battage publicitaire, 536 522 $ de recettes annoncées, pour un budget de 5,2 millions d’euros, soit 4,6 millions de perte sèche) et surtout un non moins authentique naufrage critique. Caroline Fourest, donc, dont le média d’extrême droite CNews fut pour l’occasion, avec Paris Match, également détenu par Vincent Bolloré, l’un des très rares « chroniqueurs » enthousiastes, au milieu d’une communauté critique navigant entre scepticisme, embarras et consternation – comme l’atteste l’accablant panorama d’Allo-Ciné, ci dessous.
Pourquoi, Caroline, le milliardaire d’extrême droite s’est-il à ce point retrouvé dans votre vision des combattantes kurdes, ou tout simplement dans votre personnage médiatique et vos combats, au point de missionner « Cyril » auprès de ses très libres chroniqueurs – et manifestement de vous faire inviter en personne pour sa promotion sur TPMP ?
Pourquoi, Caroline, vos chroniques et celles de vos collègues éditocrates de l’hebdomadaire Franc-Tireur (notamment les excellents Barbier et Enthoven) épinglent-elles si rarement et si prudemment l’empire médiatique exorbitant d’un milliardaire d’extrême droite, son activisme fascisant au quotidien, le rôle central que tient dans cette entreprise le show de Cyril Hanouna, les franchissements de ligne rouge éthique et politique qui s’y répètent jusqu’à la nausée, les mauvaises manières et la brutalisation du débat public qui s’y donnent en spectacle et en modèle soir après soir ? [1].
Nous autorisez-vous, enfin, et ce serait ma dernière question, à établir un lien entre les deux questions précédentes ?