Au départ, il n’allait pas de soi que la Troisième République étende le principe du droit du sol à la naissance simple sur le territoire français. D’abord, le droit du sol est lié à l’histoire monarchique. En France, il est introduit par François 1er en 1515 et même si la Révolution française le réaffirme dans la Constitution de 1791, alors que Napoléon Bonaparte le supprime en 1804, il est vu par nombre de républicains comme un principe exprimant une conception féodale qui lie l’homme à la terre. Qu’il soit perçu comme emblématique du Royaume de Grande-Bretagne et que le double droit du sol ait été introduit par Louis-Napoléon Bonaparte ajoutent des arguments contre l’extension de ce principe.
L’adoption de la loi de 1889 marque pourtant la victoire des partisans du droit du sol simple au terme d’une bataille parlementaire menée par un argument politique en métropole et démographique dans l’Algérie française. Dans ce dernier cas, ce principe, qui fabrique des Français·es dès la première génération née sur le territoire, permet d’assurer la prédominance française par rapport aux autres nationalités européennes, notamment les Espagnol·es, présentes en Algérie. Pour ce qui est de la métropole, il n’est pas non plus question de générosité comme on aime à le penser quand on défend ce principe. Les débats se concentrent sur le fait de transformer les étrangers en Français pour qu’ils cessent d’échapper au service militaire et de concurrencer les hommes français partis au front sur le marché matrimonial !
À l’époque, il existe en effet un statut de résidence en France, appelé l’admission à domicile, qui confère aux étrangers les mêmes droits civils (succession et adoption) que les citoyens français sans les soumettre à l’obligation militaire. Personne ne cherche donc à devenir français. Cela fait craindre deux choses : que ne se constituent, en France, des « nations étrangères » mettant en danger l’unité de la République ; que ce qui est alors perçu comme « une inégalité choquante » en faveur des étrangers et aux dépens des Français ne finisse par produire de l’agitation sociale à l’heure où l’antagonisme avec le Royaume de Prusse paraît rendre plus nécessaire la conscription. La loi de 1889 qui constitue le premier code de la nationalité introduit ainsi le droit du sol simple et l’admission à domicile devient progressivement caduque avant d’être supprimée par la loi sur la nationalité de 1927.
Pourquoi donc, compte tenu des raisons qui ont amené à l’introduire, le droit du sol simple est-il vu en France comme un principe mettant en acte une conception progressiste et ouverte de la nationalité ? D’abord, les débats qui ont amené à la victoire des tenants de ce principe en 1889 ont imposé l’argument selon lequel la socialisation en France par le biais de l’école et de la conscription était suffisante pour faire des Français·es (Noiriel), renforçant ainsi l’idée que la nation n’était pas définie de manière essentialisante comme pouvait l’être le Royaume de Prusse. Ensuite et surtout, ce principe a rendu possible l’incorporation à la nation des enfants né·es d’étranger·ère·s ayant immigré en France en gagnant une génération par rapport à ce que le principe de double droit du sol permettait. Enfin, l’extension du droit du sol à la naissance simple sur le territoire fait partie de tout le cortège de lois qui confirment le caractère politiquement libéral de la IIIe République et enracinent le régime républicain. Il devient, semble-t-il, progressivement l’un des emblèmes de ce tournant.
En tout cas, tous ces éléments servent à rappeler que ce sont en même temps le contexte social et institutionnel ainsi que les usages qui en sont faits et leurs effets qui donnent au droit du sol simple en France le sens politique qu’on continue de lui attribuer dans les controverses actuelles. Néanmoins le droit du sol n’est pas en soi libéral ou démocratique. Dans le Chili du général Pinochet, son application stricte et le fait que ce soit la naissance sur le sol qui conditionne la possibilité pour des parents de transmettre leur nationalité à leurs enfants a été utilisé comme l’un des moyens d’exclure de la nationalité chilienne les enfants d’opposant·es politiques exilé·es né·es à l’étranger. Dans ce contexte, utilisé contre le droit du sang, le droit du sol a servi à toucher à la filiation, ce que les dictatures d’Amérique du Sud affectionnaient.
Ce qui est libéral et démocratique en matière de nationalité, c’est donc de laisser coexister à égalité différentes manières d’avoir la nationalité d’un État et de ne pas conditionner l’effectivité d’un principe à celle d’un autre. Dans les débats en France, ce qui est problématique et dangereux actuellement, c’est de vouloir faire primer le droit du sang sur le droit du sol dans une perspective qui, si l’on considère sa généalogie politique, cherche à racialiser l’appartenance à la nation. Car, dans le contexte français, les attaques contre le droit du sol viennent de l’extrême droite nationaliste et monarchiste dans l’entre-deux-guerres, puis des nostalgiques de l’Algérie française dans la séquence qui s’ouvre dans les années 1980, et durant laquelle ce principe est attaqué de manière plus aiguë encore.


