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Haut-Karabakh : pourquoi ce silence de la gauche occidentale ?

Appel pour une solidarité internationaliste avec l’Artsakh

par Collectif
11 décembre 2021

Après le fascisant Onfray il y a un an et le fasciste Zemmour ce weekend, c’est la candidate d’une droite radicalisée, Valérie Pécresse, qui est annoncée à Erevan dans quelques jours. Il faut se rendre à l’évidence : le voyage en Arménie est en passe de devenir le dernier chic réactionnaire et islamophobe. L’occasion de rappeler que ce n’est pas en tapant sur les musulmans en France qu’on protège les Arméniens dans le Haut Karabagh, mais plutôt en arrêtant de copiner et commercer avec leurs bourreaux turcs et azerbaïdjanais. L’occasion par exemple de rappeler que l’avocat et proche ami d’Éric Zemmour, Olivier Pardo, est aussi celui de deux des principaux ennemis des Arméniens : l’État suprémaciste azerbaïdjanais et le militant négationniste Maxime Gauin. L’occasion de rappeler aussi que le parti de Valérie Pécresse constitue, avec La République en Marche, la quasi-totalité des effectifs du lobby parlementaire Amitié France-Azerbaïdjan. L’occasion enfin – et surtout – d’interpeller à nouveau les différentes composantes de la gauche française, massivement muettes et passives sur le droit à l’existence de la République d’Artsakh, qui en désertant une cause qui devrait être la leur, celle des droits humains, du droit des peuples à disposer d’eux même, du refus de la loi du fric et des armes, laissent un boulevard à toutes les OPA droitières et extrême-droitières en France, et toutes les récidives sanglantes là-bas. Le texte qui suit, initié il y a un an, au lendemain de l’offensive azerbaïdjanaise de septembre 2020, par un collectif de signataires issu.e.s de la diaspora arménienne (liste complète en bas de page) pointe cette cette responsabilité, en alertant sur la situation – aujourd’hui plus dramatique et précaire que jamais – des Arméniens du Haut-Karabakh. Cette « Lettre ouverte aux organisations occidentales de gauche » est demeurée à ce jour sans réponse de ses destinataires, ni en paroles, ni – moins encore – en actes.

Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan a de nouveau attaqué le peuple de l’Artsakh (Nagorno-Kharabagh). Depuis lors, il n’a cessé de violer les cessez-le-feu et la guerre qui vient de se dérouler est la plus sanglante que la région ait connue depuis la guerre lancée par l’Azerbaïdjan indépendant en 1991 contre l’Artsakh. C’était alors sa réponse aux manifestations pacifiques des Arménien.ne.s d’Artsakh qui souhaitaient ainsi mettre fin à l’annexion arbitraire de leur pays décidée par Staline en 1921.

A l’heure actuelle, la situation humanitaire est catastrophique. Les autorités arméniennes comptent plus de 1 200 soldats morts au combat, sans compter les victimes civiles dont le nombre est encore incertain ; des écoles, des maisons, des hôpitaux, la maternité de Stepanakert et la cathédrale de Chouchi ont été bombardées [1], et dans sa majorité (plus de deux tiers au moins) la population civile de l’Artsakh a été déplacée vers l’Arménie.

Le cadre et les conditions exactes dans lesquelles se déroule cette fin de guerre sont encore incertains. En revanche, elle est en total accord avec ce qu’attendait Aliev [le président azéri, NDLR] : n’arrêter la guerre que lorsque l’Artsakh reviendra sous souveraineté azerbaïdjanaise. La Turquie, pour sa part, a soutenu son satellite dans le Caucase, espérant sans doute achever le projet de purification ethnique que l’Empire ottoman avait largement entamé avec un génocide en 1915. Pour cela, elle n’a pas hésité à envoyer des mercenaires terroristes venant de Syrie dans les champs de bataille.

En termes de technologie d’armement, l’Azerbaïdjan peut aussi compter sur Israël qui, à l’heure actuelle, lui fournit 60 % de son matériel de défense [2] – matériel qui, comme on le sait, fait partie des plus sophistiqués au monde.

Face à une coalition aussi puissante que celle de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, face au silence ou au caractère purement verbal des positions des grandes puissances impliquées dans le conflit, les Arménien.nes de l’Artsakh se sont retrouvé.e.s bien seul.e.s. En effet, d’une manière générale, la communauté internationale n’a accordé que peu – ou pas – d’attention à leurs revendications, ou a tenu une position dite « neutre » [3], mettant ainsi l’agresseur et la victime sur un pied d’égalité.

Malgré le fait que les autorités artsakhiotes ont ouvert la porte aux médias internationaux tout au long des événements, le bombardement intensif des zones résidentielles de l’Artsakh depuis le 27 septembre n’a fait l’objet que d’une faible couverture médiatique et n’a été le fait que des quelques journalistes qui s’étaient par eux-mêmes rendus sur les lieux. Au contraire, la majorité des représentants des grands médias, des reporters et des journalistes ont réagi très rapidement au bombardement de Ganja en Azerbaïdjan, et ce, alors que l’Azerbaïdjan leur fournit un accès limité à la région [4].

Il y a donc une discrimination évidente qui ne coïncide pas avec les principes de justice et de dignité pour lesquels nous voulons nous battre. Mais cela étonne-t-il encore, quand on sait que ces dernières années, l’Azerbaïdjan a dépensé des millions de dollars pour soudoyer les opinions publiques ?  [5]

L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan – dont dépendent plusieurs pays occidentaux – et les commerces juteux avec la Turquie semblent peser trop lourd dans la balance comparés aux droits humains que l’armée azerbaïdjanaise continue de violer dans l’Artsakh [6].

Dans ce contexte, le soutien de la diaspora était évident et nécessaire : de nombreuses manifestations ont été organisées dans les quatre coins du monde, pour exiger la reconnaissance de l’Artsakh. A ces occasions, des hommes politiques dans nombre de pays européens, en Amérique latine, au Canada, aux Etats-Unis, etc. ont clairement exprimé leur engagement en faveur de la liberté et de la paix pour l’Artsakh.

Nous n’avons vu cependant que peu de soutiens venant de la gauche, et cela nous préoccupe. Car l’histoire du peuple d’Artsakh est celle d’un petit peuple qui résiste pour sa survie et pour sa dignité face au risque imminent de disparaître dans l’indifférence générale. C’est le combat pour le droit le plus fondamental à vivre et exister tel que l’on est, sur ses propres terres, contre la tyrannie des plus puissants – celle garantie par le pouvoir de l’argent qui impose sa loi partout et commande des guerres.

Dans le même temps, cette lutte fait l’objet de nombreuses récupérations réactionnaires, suivant le principe des amalgames et des raccourcis douteux. Cela se fait, notamment, en déplaçant l’analyse de la guerre actuelle du champ politique vers le champ religieux. En somme, l’Occident – par respect des valeurs démocratiques qui lui seraient propres – devrait prendre la défense d’Arméniens chrétiens dont les revendications sont compatibles avec ces valeurs, alors que les attaques turco-azéries seraient l’expression d’une barbarie plus ou moins propre à la religion musulmane.

Nous nous opposons fermement à cette falsification de la réalité, qui omet sciemment de nommer l’ennemi réel : un expansionnisme nationaliste – certes encouragé par ailleurs par la Turquie au nom de la religion et d’une soi-disant guerre des civilisations – qui n’a rien d’archaïque et qui est bien ancré dans le monde moderne.

Ces dangereuses manœuvres politiques visent à entretenir et attiser des divisions entre les communautés dans une situation de crise économique mondiale. Mais elles servent aussi Erdoğan, qui cherche à être considéré comme une icône de la résistance contre l’impérialisme occidental en se présentant comme le défenseur des communautés musulmanes victimes du racisme en Europe et aux Etats-Unis. Du même coup, il peut détourner l’attention dirigée sur son régime criminel.

C’est pourquoi, en tant que citoyen.ne.s de la diaspora arménienne, nous voulons que les dirigeant.e.s, les politicien.ne.s et les organisations de gauche tiennent et expriment une ligne cohérente avec les principes qui leur sont chers : le droit à l’autodétermination des peuples, la démocratie, l’égalité dans les relations internationales, le refus de tous les impérialismes, y compris le panturquisme. Certaines organisations de gauche ont montré la bonne voie en prenant des positions fortes et en agissant en conséquence, comme le Parti communiste français, qui a reconnu l’Artsakh en 2019 et qui préconise la protection de la population arménienne dans la région [7].

Le soutien symbolique des forces réactionnaires à notre lutte ne doit pas freiner le soutien réel des organisations de gauche à l’auto-défense de l’Artsakh. Car, rappelons-le, celle-ci s’affronte surtout aux ambitions impérialistes de la Turquie et du capitalisme mondial, dont les habitant.e.s de l’Artsakh paient le prix.

Pour une paix juste et durable en Artsakh :

 Reconnaissance de l’indépendance de la République de l’Artsakh et mise sous protection de sa population !

 Refus des récupérations réactionnaires, chauvines ou racistes !

 Stop aux ventes d’armes à l’Azerbaïdjan et à la Turquie !

 Sanctions politiques et économiques pour les crimes commis par la Turquie et l’Azerbaïdjan !

Nous appelons les individus et les organisations à signer cet appel et à se mobiliser pour que justice soit rendue aux Arméniens d’Artsakh.

P.-S.

Appel initié par la Coordination pour un soutien internationaliste à l’Artsakh et soutenu par : Viviane Albenga, sociologue (Université de Bordeaux Montaigne) ; Ariane Ascaride comédienne ; Clémentine Autain, députée (LFI) ; Jérémy Bacchi, Sénateur des Bouches-Du-Rhône (PCF) ; Christian Birebent, historien (Université de Paris-Ouest/Nanterre) ; Vincent Boulet, Responsable aux questions européennes du PCF ; Hamit Bozarslan, historien et politologue (Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales) ; Sergio Coronado, militant écologiste ; Mireille Court, journaliste ; Séverine Dessajan, sociologue (Université de Paris) ; Pierre Dharréville, député des Bouches-du-Rhône (PCF) ; Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice ; Emmanuel Dongala, écrivain ; Cédric Durand, économiste (Université de Genève) ; René Dzagoyan, chroniqueur (Nouvelles d’Arménie Magazine) ; Bernard Friot, sociologue, économiste ; Raphael de Gubernatis, journaliste (Le Nouvel Observateur) ; Robert Guédiguian, cinéaste ; Valentine Guédiguian, artiste ; Alexandre Koroglu, président de Roja Sor France ; Razmig Keucheyan, sociologue (Université de Paris-Descartes) ; Pierre Laurent, sénateur de Paris et vice-président du Sénat (PCF) ; Noël Mamère, écologiste ; Elli Medeiros, artiste ; Claire Mouradian, historienne, directrice de recherche émérite au CNRS ; Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine (PCF) ; Yann R., syndicaliste (Sud-Education) ; Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste français (PCF) ; Julien Salingue, politiste et membre du NPA ; Roseline Sarkissian, conseillère régionale d’Île-de-France (PS) ; Pinar Selek, sociologue ; Marie Sonnette-Manouguian, sociologue (Université d’Angers) ; Farid Taalba, écrivain et journaliste (L’Écho des cités) ; Pierre Tevanian, philosophe ; Sylvie Tissot, sociologue (Université de Paris VIII) ; Michel Warschawski, journaliste.

Organisations signataires : Charjoum / Le Mouvement ; Collectif LMSI (Les mots sont importants) ; Conseil démocratique des Kurdes de Toulouse ; Eunomia (association d’expérimentation sociale et politique) ; PCF (Parti communiste français).

Pour signer cet appel, cliquer ici

Notes

[3Par exemple, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a déclaré que la position de la France resterait neutre : https://francais.rt.com/international/79669-haut-karabagh-presse-toute-part-prendre-position-le-drian-souligne- neutralite-france-assemblee

[4Catherine Norris-Trent, journaliste pour l’édition anglophone de France 24, explicite les conditions strictes auxquelles son travail est soumis : https://www.france24.com/en/20201008-france-is-no-longer-an-honest-broker-say-azeri-officials- ahead-of-nagorno-karabakh-talks

[6Voir l’exemple notoire des deux soldats arméniens faits prisonniers par un groupe de soldats azéris, assassinés après avoir été humiliés devant la caméra. Le Défenseur des Droits de l’Homme de l’Artsakh, A. Beglaryan, se réfère à cet article détaillant les faits : https://www.bellingcat.com/news/rest-of-world/2020/10/15/an-execution-in-hadrut- karabakh/ ?fbclid = IwAR0bc-g-8F6bTRIHUiEfPnn7ZducVMw8C8Qpb20EtvuOVzPvRsAzhMiIU7U

[7Cf. Deux communiqués datant respectivement du 9 et du 13 octobre, « Devoir de paix » et « Ouvrir les voix de la paix pour la République d’Artsakh », publiés sur www.pcf.fr