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Imaginez un pays

Réaction à un article de Libération sur l’occupation du lycée Jean-Quarré

par Valérie Osouf
21 septembre 2015

Depuis fin juillet, des migrant-e-s et leurs soutiens occupent le lycée Jean-Quarré dans le 19ème arrondissement de Paris. Fuyant la guerre, les persécutions, à la recherche, tout simplement, de meilleures conditions de vie, ils et elles s’organisent. Trouver un toit, construire des solidarités, faire face quotidiennement au dogme meurtrier de la fermeture des frontières et à la négation orchestrée des droits fondamentaux : rien de tout cela ne compte pour le quotidien Libération qui ne voit dans ce lieu qu’un "refuge régi par la loi du plus fort". Nous publions la réaction d’une des soutiens de cette lutte pour rappeler, entre autres, que les plus grandes violences s’exercent ailleurs.

Imaginez un pays, une ancienne puissance coloniale occidentale, qui participe à des guerres en Afghanistan, en Irak, au Mali, en Centrafrique, en Libye et qui soit solidaire de régimes iniques dans son pré carré, afin de maintenir son influence géopolitique et d’assurer son indépendance énergétique.

Imaginez que ce pays soit le plus grand donneur de leçon du globe en terme de droits humains et de démocratie.

Imaginez que des victimes de ces guerres et de ces régimes fuient leurs pays et que certains d’entre eux parviennent à atteindre le sol de cet ancien Empire, au prix de leur vie, mourant par milliers en Méditerranée ou au frontières d’un continent.

Imaginez que le gouvernement du pays supposé les accueillir se dédie de cet engagement contracté au moment des Indépendances et, à contrario, exerce une forte répression à l’encontre de ces migrants.

Imaginez que ce gouvernement se dise de gauche et qu’il ait été élu non pas par grande conviction mais pour faire barrage à des idées d’extrême droite, qu’il se serve chaque fois de cette aversion pour être élu mais que, ce faisant, il favorise cette même idéologie du repli xénophobe.

Imaginez que des centaines de citoyens de ce pays se mobilisent pour venir en aide à ces réfugiés, formant spontanément un collectif informel et hybride.

Imaginez que ce collectif assure depuis 111 jours le rôle de leur État en terme de protection de ces migrants, quelques centaines seulement, à la rue dans la capitale la plus touristique du monde.

Imaginez qu’à cause de cette action, les citoyens de ce collectif, qui ont sacrifié leur vie de famille, leur activité professionnelle et leurs vacances, ouvert leur frigo, leur penderie et leur canapé, au lieu d’être remerciés par leurs autorités, soient réprimés, qu’ils subissent avec ces réfugiés 11 démantèlements sur une période de 2 mois.

Imaginez qu’inquiets pour la santé physique et morale de ces réfugiés épuisés et après avoir tenté sans succès d’alerter poliment leurs élus, ces citoyens ouvrent un bâtiment public désaffecté afin d’offrir un toit provisoire à ces réfugiés.

Imaginez que ces réfugiés, 100 au 31 juillet, soient à présent 600 à occuper ce lycée.

Imaginez que ces citoyens leur assurent cours de Français, suivi juridique pour leur demande d’asile, soins médicaux, repas, activités culturelles, vêtements et amitiés sans aucun soutien matériel de leur État.

Imaginez que des associations caritatives portent plainte contre des membres de ce collectif quand ceux-ci viennent soutenir les revendications de migrants qui se mettent en grève de la faim pour protester contre leurs conditions d’hébergement dans des centres d’hébergement d’urgence inadaptés à leurs besoins.

Imaginez que suite à l’émotion suscitée par la parution de la photo d’un enfant migrant mort pendant son périple, le parti au pouvoir de ce pays organise un grand meeting en osant annoncer qu’il soutient les réfugiés.

Imaginez que deux journalistes d’un quotidien de gauche qui porte le nom d’un évènement historique de ce pays au sortir de la dernière guerre mondiale, un quotidien fondé par les acteurs d’une révolution culturelle advenue il y a un demi-siècle, se permettent de critiquer ces citoyens au lieu de condamner leur État.

Bienvenue en France.

P.-S.

Valérie Osouf est documentariste et membre du Collectif La Chapelle en Lutte.