On peut certes émettre certaines réserves quant à la tonalité générale du discours de Barack Obama, qui tend à réduire les musulmanes et musulmans à leur seule dimension religieuse. De même, en choisissant de s’adresser aux « musulmans du monde entier » et à « l’islam », Barack Obama situe d’emblée son discours dans un cadre extrêmement large, au risque de privilégier une certaine orthodoxie – qui est globalement défavorable aux droits des femmes – oblitérant la pluralité des identités islamiques, et présentant l’islam, les musulmanes et les musulmans comme des réalités a-spatiales et intemporelles. Nous rappelons donc qu’il s’agit là d’un discours politique, et qu’il est par conséquent légitime qu’il soit appréhendé et critiqué comme tel [2].
Mais revenons sur les propos qui ont suscité la polémique en France. Au cours de son discours, Barack Obama mentionne par trois fois la tenue des femmes musulmanes :
« En outre, la liberté en Amérique est indissociable de celle de pratiquer sa religion. (…) C’est pour cette raison que le gouvernement des États-Unis a recours aux tribunaux pour protéger le droit des femmes et des filles à porter le hijab et pour punir ceux qui leur contesteraient ce droit. »
« Il importe que les pays occidentaux évitent d’empêcher les musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple, en dictant ce qu’une musulmane devrait porter. »
« Je rejette l’opinion de certains selon laquelle une femme qui choisit de se couvrir la tête est d’une façon ou d’une autre moins égale » [3]
Les propos de Barack Obama sont parfaitement clairs : il n’est nullement question – comme la majorité des voix s’étant élevées contre lesdits propos le prétendent – de défendre voire de promouvoir le port du hijab. Il est uniquement question de défendre, y compris par le recours au droit positif lorsque cela se révèle nécessaire, le droit de le porter pour les femmes qui le souhaitent. Il n’appartient à personne – quels que soient son sexe et son orientation spirituelle – d’imposer aux femmes une quelconque tenue vestimentaire. De même qu’il n’appartient à personne de restreindre quelque droit fondamental que ce soit, sinon pour garantir la dignité de la personne, la liberté individuelle ou l’ordre public.
Il n’est certes pas expressément fait mention des femmes, musulmanes ou non, à qui le port du hijab ou toute autre restriction vestimentaire est imposé, de manière directe ou indirecte, et nous le regrettons. Le discours présidentiel gagnerait notamment à être complété par les deux propositions suivantes :
« C’est pour cette raison que le gouvernement des États-Unis a recours aux tribunaux pour protéger le droit des femmes et des filles à porter le hijab comme à ne pas le porter et pour punir ceux qui leur contesteraient ces droits »
« Nous rejetons l’opinion de certains selon laquelle une femme qui choisit de se couvrir ou de ne pas se couvrir la tête est d’une façon ou d’une autre moins égale »
Toute liberté implique nécessairement l’existence d’alternatives contradictoires et/ou complémentaires. Nous réaffirmons par conséquent que le droit de ne pas porter le hijab a pour corollaire le droit de le porter. L’ensemble des propos de Barack Obama relatifs au port du hijab concernent des pays, notamment les Etats-Unis, dont la majorité de la population n’est aujourd’hui pas musulmane : il apparaît donc légitime qu’il y soit davantage question de la défense du droit des femmes musulmanes de porter le hijab, même si nous réaffirmons la nécessité de lutter afin que nulle ne soit contrariée dans sa liberté de ne pas le porter.
De plus, Barack Obama consacre une section entière de son discours à la promotion de l’éducation des filles et des femmes musulmanes. On pourra certes arguer que les déclarations d’intention ne prennent leur valeur que lorsqu’elles sont suivies de mesures effectives, mais il est purement et simplement malhonnête de réduire le contenu du discours présidentiel à l’égard des femmes à la seule défense de leur liberté de porter le hijab.
Nous soulignons, pour finir, que Barack Obama n’omet pas de préciser que la question de l’égalité des femmes ne saurait constituer une question proprement islamique. Il invite en cela l’ensemble des sociétés à poursuivre la lutte en faveur des droits des femmes. Nous remarquons que cet aspect du discours n’a opportunément fait l’objet d’aucun commentaire de la part des diverses voix féministes s’étant élevées contre la position présidentielle vis-à-vis du port du hijab, de même que n’a pas été commentée l’affirmation selon laquelle
« nous ne pouvons pas déguiser l’hostilité envers la religion sous couvert de libéralisme ».
Si la France, État laïque, n’a aucunement vocation à défendre une quelconque orientation spirituelle per se, nous rappelons qu’il relève de son devoir d’assurer effectivement l’égalité de l’ensemble de ses citoyennes et citoyens. Priver d’accès à l’éducation les fillettes et jeunes filles portant le hijab – qu’elles aient ou non choisi cette tenue – sous couvert d’émancipation, contrevient manifestement à ce devoir, et entrave profondément et durablement l’émancipation effective des femmes.
Mais il est certes autrement plus confortable de hurler avec les loups, et de déclarer à l’instar d’une Annie Sugier [4] que
« porter soi-disant “librement” un accessoire vestimentaire qui, dans toute une partie du monde, est une obligation légale imposée à toutes les femmes (…) représente une allégeance à l’égard des théocraties qui y font la loi ». [5]
Un tel raisonnement conduit à affirmer que, puisque certains systèmes politiques et/ou sociaux persécutent, sur la base d’un argumentaire religieux, les femmes qui vont tête nue, la France, État laïc, est fondée à persécuter les femmes qui couvrent leurs cheveux. On ne peut assurer – à moins de faire le deuil de toute honnêteté intellectuelle [6] – que le port du hijab dans des contextes aussi divers que Brasilia, le Caire, Dakar, Kuala Lumpur, Londres, Los Angeles, Moroni, Nouakchott, Paris, Pristina, Ryadh ou Téhéran ne procède que d’une seule et même logique : « signifier leur statut de deuxième rang » aux femmes, par le biais du « signe le plus radical de [leur] oppression », au « sens humiliant ».
Dans la continuité de nos réflexions et de nos actions depuis cinq ans, le Collectif des féministes pour l’égalité persiste à dénoncer la loi promulguée le 15 mars 2004 qui, si elle prétend viser tous les signes religieux, s’attaque avant tout aux filles musulmanes qui portent le hijab, et a pour conséquence leur déscolarisation. Nous dénonçons aussi le mensonge de Nicolas Sarkozy et l’aplomb avec lequel il a osé répliquer au président Obama que
« en France, toute jeune fille qui veut porter le voile peut le faire » [7].
En France, non seulement les filles voilées ne peuvent fréquenter l’école publique, mais que ce soit partout, dans la rue, dans les transports en commun, dans les administrations, à l’université, ou encore dans les commerces, la stigmatisation constante de l’islam, largement relayée par les médias et la classe politique – Nicolas Sarkozy inclus – est source d’humiliations et de discriminations quotidiennes.
Combien de temps encore la France exclura-t-elle les femmes au prétexte de les émanciper ?