Le premier y est furtivement invoqué de par la forme du texte, à savoir la « lettre ouverte au président de la République ». Le second, Martin Niemöller, est en revanche bruyamment cité. Il est en effet question de son poème « Quand ils sont venus chercher... » qui dénonçait la passivité des spectateurs de l’avènement du troisième Reich. La principale force de ce texte réside dans l’utilisation de la première personne qui inclut de fait l’auteur dans ce processus d’impuissance, voire de déni. Martin Niemöller n’avait en effet réalisé que tardivement la nature funeste du régime nazi qu’il avait même initialement soutenu.
Soit, noble référence. Mais pour quoi au juste ?
« Citoyens du monde »
Les "anarchistes" en question semblent assez remonte-é-s contre le récent projet de déchéance de nationalité et, franchement, on les comprend. Problème : on ne voit pas bien en quoi ils devraient être inquiété-e-s.
En effet, en les lisant, on s’aperçoit vite que l’arsenal oppressif étatique ne concerne, de leur point de vue, qu’une partie bien spécifique de la population : les militant-e-s. Ainsi, s’agissant d’illustrer leur courroux d’exemples bien choisis, les "anarchistes" nous parlent en tout et pour tout de « Notre-Dame-des-Landes », de « syndicalistes » et de « l’assignation à résidence d’écolos ». Fort de ce constat, le réquisitoire est sans appel et nos "anarchistes" demandent sans trembler leur propre déchéance de nationalité et comptent « créer dans les plus brefs délais une carte d’identité et un passeport de citoyen du monde ».
Il est vrai, l’ironie du commentaire peut parfois s’avérer contre-productive. Reprenons donc en substance l’objet de cette lettre-au-président.
Pour dénoncer le projet visant les binationaux-ales, des militant-e-s s’alarment de la répression d’autres militant-e-s, essentiellement des syndicalistes, des ZADistes et des écologistes. Aussi, il écrivent au président et lui demande leur propre déchéance de nationalité. Pour illustrer le tout, nos "anarchistes" citent le poème d’un militant mettant en mot son incapacité à saisir les enjeux de son époque.
Résistons d’abord à la tentation d’une vulgate psy un peu facile nous incitant à voir trop rapidement des actes manqués - l’heure n’est pas au diagnostic. Toujours est-il que, par un procédé miraculeux, les binationaux-ales sont totalement éclipsé-e-s d’un texte qui devrait les concerner pleinement. En lieu et place, les « écolos » et les « syndicalistes » se battent la vedette d’une tribune au demeurant assez pénible. Anecdotique ? Cette lettre-au-président l’est sans doute, mais moins cette tendance à l’invisibilisation des principales victimes du racisme d’Etat. Et cette occultation n’est pas seulement le fait des médias dominants ou encore de l’Etat lui-même mais aussi (et surtout ?) le fait de fier-e-s militant-e-s incapables de voir plus loin que leur nombril.
Alors, dans un élan poétique empli de pédagogie bienveillante, continuons l’effort entrepris en citant Martin Niemöller. Poursuivons le questionnement du pasteur luthérien en imaginant ce que ces "anarchistes" pourraient écrire dans quelques années.
Poème universel d’un citoyen du monde
Quand ils sont venus chercher les musulman-e-s, je n’ai rien dit...
Je suis athée et je pense que la religion est une affaire privée. Et puis, je ne trie pas les personnes en fonction de leurs religions. Du coup, j’ai préféré disserter sur le terme « islamophobie » parce que j’aime bien l’étymologie. Enfin, je crois que c’est comme ça qu’on dit.
Quand ils sont venus chercher les bi-nationaux, là, pour le coup, j’ai parlé !
J’ai immédiatement pensé aux écolos, aux ZADistes et aux syndicalistes. Allez savoir pourquoi !
Et puis j’ai tout dilué dans l’universalisme abstrait de la citoyenneté du monde. Et j’ai carrément demandé une déchéance de ma nationalité même si, au fond, je m’en fous autant que les terroristes s’en « moquent comme de leur première chemise ».
Bref, en y repensant à deux fois, là non plus "je n’ai rien dit".