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Justice pour Aleksandra !

Un collectif mobilisé contre les frontières meurtrières

par Collectif
12 septembre 2021

Il y a tout juste un an, le 05 septembre 2020, mourait Aleksandra, bébé née prématurément après une intervention policière sur le littoral proche de Calais. Un an plus tard, un collectif de soutien, composé d’universitaires, de militant·es, d’artistes et d’associations, demande que toute la lumière soit faite sur cette affaire dramatique. Le texte, que nous reproduisons ici, pointe aussi les responsabilités des pouvoirs publics dans cette mort et celles de bien d’autres personnes qui tentent de franchir des frontières devenues de plus en plus meurtrières : le collectif Les mots sont importants s’y associe pleinement. Nous renvoyons plus largement à l’excellent numéro de la revue Plein droit du GISTI « Retour à Calais ».

Dans la nuit du 1er au 2 septembre 2020, aux environs de 4h du matin, sur le littoral à proximité d’Oye-Plage (62), une patrouille de gendarmerie interpelle un groupe d’exilé·es sur le point de franchir la Manche à bord d’un zodiac. Les gendarmes détruisent l’embarcation et confisquent les gilets de sauvetage des réfugié·es.

Parmi les personnes interpellées se trouvent Rupak Sharif et Hazhar Ibrahim, un couple originaire du Kurdistan irakien, et leurs deux enfants, Anas (9 ans) et Ilarya (2 ans).

Peu de temps après l’interpellation, Rupak, enceinte de 35 semaines, ressent de vives douleurs et perd les eaux. Rupak et Hazhar demandent à plusieurs reprises l’aide des gendarmes pour se rendre en urgence à l’hôpital. Ces derniers refusent systématiquement et vont maintenir de force le groupe d’exilé·es dans le froid, sur la plage, pendant plusieurs heures avant de les abandonner sur les lieux.

Les exilé·es tentent alors de se rapprocher de la route la plus proche afin de trouver de l’aide.

Ce n’est qu’aux alentours de 7h que les secours sont contactés et qu’une ambulance est enfin envoyée sur place. Rupak est prise en charge en urgence au centre hospitalier de Calais où elle subit une césarienne. Elle donne naissance à Aleksandra qui souffre de nombreuses pathologies, dont une hémorragie pulmonaire, et est immédiatement placée sous assistance respiratoire.
Trois jours plus tard, malgré les efforts du corps médical, l’état de santé d’Aleksandra ne s’améliore pas. Avec l’accord de ses parents, la décision est prise d’arrêter l’assistance respiratoire. Le soir même, Aleksandra décède.

Traumatisé·es par les circonstances de la mort d’Aleksandra, Rupak et Hazhar ont décidé de déposer plainte contre X pour « violences volontaires » et « non-assistance à personne en danger » le 19 février 2021.

Anticipant la médiatisation de cet évènement tragique et la mise en cause des forces de l’ordre, le 3 mars 2021, le préfet du Pas-de-Calais a publié un communiqué qui exempte les gendarmes de toutes responsabilités. Considérant « qu’aucun des migrants n’a fait part de difficultés particulières », le préfet va même jusqu’à inverser la responsabilité, en culpabilisant Rupak et Hazhar et en déclarant que « cet événement témoigne de la dangerosité des tentatives périlleuses de traversées du détroit avec des embarcations de fortune ».
Encore une fois les autorités couvrent les violences des forces de l’ordre à la frontière franco-britannique.

Depuis plus de 25 ans, les exilé·es passé·es par le Calaisis et leurs soutiens associatifs et militants dénoncent les violences policières perpétrées à l’encontre des migrant·es dans cette zone frontalière. Le Défenseur des droits a également souligné les abus en la matière à plusieurs reprises. Pourtant, rien ne change. Malgré les accusations répétées de violences ou de harcèlement de la part des forces de l’ordre, policiers et gendarmes ne sont que trop rarement sanctionnés. Violences physiques, gazages, expulsions journalières, intimidations et humiliations et confiscations de biens constituent le quotidien des migrant·es présent·es à Calais et dans la région.

Les autorités ont fait du Calaisis un territoire où les droits des personnes étrangères sont en permanence piétinés et où la seule loi en vigueur pour elles est celle de la matraque et de l’arbitraire policier raciste.

Dans le même temps, les autorités britanniques ne cessent d’encourager politiquement et financièrement ces politiques violentes et meurtrières au nom de « la lutte contre l’immigration illégale ». En novembre 2020, le Royaume- Uni a ainsi accordé 31,4 millions d’euros (£ 28,1 millions) à la France afin de stopper les traversées de la Manche, notamment en renforçant les patrouilles de gendarmerie et de la police nationale sur les plages de la région.

Un nouvel accord, d’un montant de 63 millions d’euros (£ 54 millions), a été signé depuis cet été, destiné à déployer de nouvelles technologies de surveillance et à doubler le nombre de patrouilles sur les plages. Ces mêmes forces de l’ordre qui ont été impliquées dans la mort d’Aleksandra.

La mort d’Aleksandra Hazhar n’est pas un acte isolé. Depuis 1999, plus de 300 décès de personnes étrangères ont été recensés à cette frontière.

Mortes en tentant de franchir la frontière, cachées dans la remorque d’un camion, électrocutées par un caténaire du site d’Eurotunnel ou noyées dans la Manche, mortes d’insuffisance de prise en charge médicale ou des suites d’une intervention des forces de l’ordre.

La mort d’Aleksandra Hazhar est donc bel et bien la conséquence de politiques publiques, nées d’une succession de traités et d’accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, qui ont fait de cet espace transfrontalier une zone mortifère pour les personnes exilées.

La multiplication des dispositifs de contrôle de la frontière forcent les exilé·es à adopter des techniques de passage toujours plus dangereuses et rendent le recours aux réseaux de passeurs, que les autorités prétendent combattre, toujours plus nécessaire. Au final, la responsabilité ne se trouve pas du côté des exilé·es, tel·les que Rupak et Hazhar, qui sont obligé·es d’entreprendre ces traversées, mais bel et bien du côté des gouvernements qui privent ces personnes de toute autre option.

Nous, signataires de cette tribune, nous déclarons solidaires de Rupak et Hazhar et réclamons que justice soit faite pour et en mémoire d’Aleksandra Hazhar.

Nous exigeons que toute la lumière soit faite sur la responsabilité exacte des gendarmes, mais aussi des autorités administratives et politiques dans ce drame et dans la mise en place de politiques meurtrières à Calais et dans la région.

P.-S.

Ce texte a été initialement publié sur le site Mediapart, et nous le reproduisons avec l’accord des personnes initiatrices. La liste des signataires est disponible ici.