Accueil > Études de cas > Politiques sécuritaires et antisécuritaires > L’Europe au miroir des Roms (Quatrième partie)

L’Europe au miroir des Roms (Quatrième partie)

Les « villages d’insertion » : un exemple d’antiphrase

par Cette France-là
3 octobre 2013

À l’heure où Manuel Valls poursuit la politique de « démantèlement des camps de roms » de ses prédecesseurs Hortefeux et Guéant, il nous a paru utile de publier le chapitre édifiant qu’a consacré le collectif Cette France-là à la discrimination et à la violence étatique que subissent, en France de manière particulièrement spectaculaire et brutale, mais plus largement dans toute la « Communauté européenne », des populations qu’en bonne logique, on accuse en même temps de tous les maux.

Partie précédente : L’argument « social »

Le dispositif du village d’insertion a été expérimenté pour la première fois à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) en 2006. Il recouvre un processus en trois phases :

 dans un premier temps, une mission d’enquête sociale est confiée à une association (celle-ci doit se rendre dans un campement promis à la destruction et y sélectionner un certain nombre de familles qui vont pouvoir bénéficier du dispositif) ;

 une fois le camp évacué, les familles choisies sont temporairement logées dans des caravanes, avant d’être prises en charge dans le village d’insertion ;

 lors de cette dernière étape, elles sont hébergées dans le village et bénéficient d’un suivi social.

Ce dispositif s’est développé en Seine-Saint-Denis au rythme des destructions de camps comme à Saint-Denis en août 2007 et à Saint-Ouen en août 2008. Olivier Dubaut, sous-préfet de Saint-Denis activement impliqué dans la création des villages d’insertion, considère que son action en cette matière est « ferme mais juste ». S’il n’est pas question de mettre en cause la fermeté dont M. Dubaut fait preuve à l’égard des Roms, en revanche, le rapport entre le travail de celui-ci et la justice est moins évident.

Tout d’abord, la sélection des familles a pour corrélat l’exclusion de la majorité des personnes vivant dans le campement. Ainsi, à Saint-Ouen, en août 2008, seules 24 des 94 familles ont été sélectionnées. En principe, le choix repose sans doute sur des critères préétablis, tels que la scolarisation des enfants ou la connaissance de la langue française. Il reste que l’incompréhension est grande parmi les familles qui n’ont pas été retenues, certaines considérant répondre au profil déterminé.

Conscient des frustrations qu’il suscite, le sous-préfet ne déclarait pas moins à l’AFP :

« Il faut que ce type de village d’insertion reste à taille humaine pour que l’insertion fonctionne ».

Bref, la sélection des familles et la déception qu’elle produit seraient le prix à payer pour réussir l’accompagnement social d’un petit nombre de Roms. Pour comprendre la colère des familles non retenues, il faut préciser que, faute d’être choisies, la perspective qui se dessine pour elles est une procédure de renvoi en Roumanie ou en Bulgarie.

On peut aussi s’interroger sur ce qui motive la limitation en taille de ces villages d’insertion. La surveillance dont ils font l’objet fournit sans doute une partie de l’explication. Car ce qu’on appelle « villages d’insertion » sont des lieux fermés et gardiennés 24 heures sur 24. Dans certains d’entre eux, les familles ne sont pas autorisées à recevoir des visites. Et la surveillance coûte cher, puisqu’elle ne représente pas moins de 75% des frais de fonctionnement des villages [1], soit une proportion identique à celle des familles non choisies. La surveillance pèse également sur les frais de construction car la plupart de ces lieux sont ceints de barrières en forme de palissades qui les soustraient au regard du reste de la population. Il est d’ailleurs permis de s’interroger sur ce que l’administration cherche à cacher : est-ce la présence des familles roms ou le dispositif « ferme mais juste » auquel elles sont assujetties ? Quoi qu’il en soit, force est d’admettre que le terme de « village » ne rend pas bien compte du dispositif.

Reste alors à s’interroger sur le terme d’« insertion », c’est-à-dire sur le volet social du projet. Celui-ci est le plus souvent incarné par un salarié de Pact Arim 93, présent dans les locaux. Son rôle consiste à soutenir les familles dans leurs démarches administratives, pour la scolarisation de leurs enfants, ainsi que pour leurs recherches d’emploi et de logement.

L’objectif avancé est d’offrir une stabilité aux familles et de les rediriger vers le logement social de droit commun. On peut toutefois s’interroger sur la portée de ce processus d’intégration, dans la mesure où, loin de délivrer des titres de séjour avec une autorisation de travail générale aux heureux habitants des villages d’insertion, les préfectures se bornent à leur remettre des autorisations provisoires de séjour sans autorisation de travail. Bref, les conditions d’insertion offertes à ces Roms pourtant « choisis » sont à l’hospitalité ce que les conditions d’existence qui leur sont imposées sont à la vie de village.

Dernière partie : « La stigmatisation des Roms : une politique européenne »

P.-S.

Ce texte est paru initialement, sous le titre « Circulation entravée, installation découragée. La construction européenne au miroir des Roms », dans le très recommandable recueil Cette France-là, réalisé par le collectif du même nom, que nous remercions de nous avoir autorisé cette republication.

Notes

[1« Le débat sur les villages d’insertion dédiés aux R(r)oms se cristallise à Montreuil », La Gazette des communes, http://infos.lagazettedescommunes.c....