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L’Homme générique n’existe pas

La preuve par la langue

par Noé le Blanc
4 décembre 2020

Alors que de plus en plus de personnes et d’organisations adoptent pour se référer aux êtres humains une langue débarrassée de ses formes masculines soi-disant génériques, le terme d’ « homme » ne semble guère touché par cette évolution : il continue d’être employé de façon quasi-universelle pour désigner tous les membres de l’espèce humaine. Celles et ceux qui défendent cet emploi croient souvent utile de préciser que le mot doit s’écrire avec une lettre majuscule lorsqu’il est utilisé de façon générique. Outre que ce détail typographique ne s’entend pas à l’oral et qu’il disparait dès lors que le mot se trouve tout entier écrit en majuscules, il s’agit là d’une « règle » créée de toute pièce, imaginaire : le terme se trouve d’ailleurs presque toujours écrit avec une minuscule (correctement, donc). En réalité, cette prescription trahit précisément le caractère ambigu du mot s’agissant du groupe de personnes qu’il désigne. Cette ambiguïté, invalidante quant à l’usage générique du terme, n’est en rien imposée à la langue de l’extérieur. Comme le montrent les remarques suivantes, elle s’observe de façon manifeste dans les usages les plus courants de celle-ci.

L’emploi générique du terme « homme » pour désigner l’ensemble des êtres humains suppose que le choix du masculin en ce cas est linguistiquement parfaitement arbitraire. Il s’agit là, selon ce point de vue, d’un cas complètement identique au choix de « il » plutôt que « elle » dans l’expression « il pleut », par exemple. L’homme générique n’a pour la langue pas plus de rapport avec l’homme comme genre particulier qu’avec la femme (mettons de côté la nécessaire pluralisation de ces termes). En résumé : on dit « homme », mais on aurait pu dire « femme ».

Pourtant, cette conception se trouve immédiatement démentie par l’existence dans la langue française d’expressions telles que « femme de chambre » ou « sage-femme ». L’existence de telles expressions montre en effet au moins trois choses.

L’emploi du masculin générique pour désigner les êtres humains n’est nullement arbitraire, mais bien motivé. L’usage du masculin dans des expressions comme « il pleut » ne souffre pas d’exception. Au contraire, s’agissant de désigner des êtres humains, le caractère générique des formes linguistiques masculines varie en fonction du statut social de la personne désignée : la secrétaire, le ministre. Au point que pour certaines professions, jugées trop « féminines » pour que les mâles de l’espèce y soient associés, l’emploi du masculin générique se trouve tout à fait abandonné. Il y a donc une érosion de l’emploi du masculin générique à mesure que l’on descend dans l’échelle sociale quant aux personnes désignées. Le masculin prétendument générique est ainsi irrémédiablement entaché de particularité : quand on parle des hommes, on parle des mâles.

L’emploi du masculin générique, s’agissant de désigner des êtres humains, invisibilise les femmes. En effet, les termes comme que « femme de chambre » ou « sage-femme » n’ont pas de valeur générique, puisque pour désigner les mâles exerçant ces professions on utilise les termes de « maïeuticien » et d’« agent d’entretien ». La généricité linguistique ne fonctionne donc que dans un sens : il est acceptable de parler des femmes au masculin, mais inacceptable de parler des hommes au féminin. C’est bien qu’il s’agit toujours d’assurer un maximum de visibilité et de prestige aux mâles de l’espèce, et non de respecter une règle de grammaire imaginaire.

L’emploi du terme « homme » pour désigner l’ensemble des êtres humains, comme en général l’emploi du masculin générique pour désigner des êtres humains, doit être considéré comme une agression sexiste. Rien dans la langue française n’oblige à faire ce choix, qui est donc un acte de violence symbolique, qu’il soit réfléchi ou non. Nier la violence exercée par ce choix de langage fait partie de cette violence.

La langue française indique d’une autre façon encore que l’usage générique du terme « homme » n’a rien d’une évidence linguistique. Ainsi, il semble que l’on confère moins facilement un caractère générique à ce terme lorsqu’il se rapporte à un individu particulier : on dit « les hommes des cavernes » pour désigner l’ensemble de nos ancêtres, mais dirait-on que Lucy est un homme des cavernes ? On dit « les hommes de l’Antiquité » ou « du moyen-âge », mais dirait-on que Cléopâtre est un homme de l’Antiquité, Jeanne d’Arc un homme du moyen-âge ? Le simple fait que la réponse à ces questions ne soit pas évidente montre que c’est bien la langue elle-même qui est équivoque quant à la légitimité d’accorder ou non une valeur générique au terme « homme ».