Dans un article aussi saugrenu que mal informé, Libération a cru bon de présenter le mensuel CQFD comme un « Charlie marseillais », fabriqué par des « déçus du "Charlie" de Philippe Val » [3]. C’est évidemment mensonger : il y a bien longtemps que Philippe Val ne déçoit plus personne. Et surtout pas l’équipe de CQFD, composée, entre autres, de chômeurs, de Rmistes, de réfractaires, de pigistes en rupture de ban, d’un cheminot tout le temps en grève, de postiers même pas trotskistes, d’un chanteur de rap poursuivi par le ministère de l’Intérieur, et même - droit d’asile oblige - d’un ancien rédacteur de Charlie. C’est dire si l’envie nous démange de ressembler au « journal de la France d’en haut », pour reprendre l’appellation dont se gargarise, avec une ironie de moins en moins perceptible, ce journal un peu exsangue, pro-Otan durant les guerres et pacifiste entre elles, et qui croit que les pauvres sont tous des cons qui aiment le foot et TF1. Non, le « Charlie marseillais » n’est pas pour nous un compliment. « Même maquette, même typographie », affirme encore Libération. C’est vrai, notre mensuel a seize pages, comme Charlie, du texte et des dessins, comme Charlie, un frigo avec des bières dedans, comme Charlie (pardon, eux n’ont plus droit qu’à de l’eau minérale).
Tout ça n’aurait aucune importance si la petite perfidie de Libé n’avait pas mis Philippe Val dans une rage folle. Non contre Libé, avec lequel Charlie est en partenariat pour un échange de pub hebdomadaire, mais contre nous, et surtout contre les cinq dessinateurs de sa boîte qui avaient eu l’audace de collaborer à notre premier numéro. Du coup, nos valeureux camarades ont pris la décision de ne plus envoyer de dessins à CQFD. Et pour bien avaler la couleuvre jusqu’au dernier viscère, ils ont fait publier dans Libé [4] un rectificatif jurant que leur participation à CQFD « n’a pas été motivée par une quelconque déception à l’égard de Charlie Hebdo ». Un serment d’allégeance renouvelé ensuite in extenso dans le Charlie du 4 juin [5]. Pour la sécurité immédiate de l’emploi. Parce que dans le monde de l’entreprise, même s’il est de gauche, surtout quand il se prétend de gauche, il vaut mieux s’humilier en place publique qu’être un caillou dans la chaussure de l’employeur.
Que le rédacteur-actionnaire-en-chef de Charlie se rassure pleinement : nous n’avons pas l’ambition de racheter son bien, encore moins de lui faire concurrence. Et nous lui exprimons notre sincère gratitude pour les centaines d’abonnés que ses représailles ont drainés vers nous. Peut-être bien qu’un jour, nous aurons un ou deux mots à dire sur ces tauliers de gauche qui font la leçon à la terre entière tout en agissant comme des cheffaillons paranoïaques. Pour l’heure, on se contentera de faire le journal qu’on aime. Sans fric, sans patron, sans déception. Et au soleil de Marseille, parce que là-dessus, au moins, Libé n’a pas menti.