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L’insécurité, première préoccupation des journalistes

Trois exemples de captation de la parole « des Français »

par PLPL
28 juin 2005

Avec ou sans sondages, les éditorialistes s’autorisent quotidiennement ce jeu de ventriloque bien analysé par Patrick Champagne [1] : faire dire à « l’opinion publique », aux « gens », aux « Français », à peu près tout et n’importe quoi. Ou plutôt, non : pas n’importe quoi : ce sont leurs propres préoccupations d’éditorialistes nantis qu’ils prêtent à l’ensemble du « peuple » français. Le texte qui suit propose trois exemples particulièrement caricaturaux.

17 avril 2001, France 2

Gérard Leclerc :

« Le gouvernement a défini six axes de lutte contre la violence, notamment en ce qui concerne la délinquance des jeunes avec la lutte contre les bandes, avec les centres de placement immédiats. Mais beaucoup voient là-dedans surtout des demi-mesures. Pourquoi ne pas aller au bout de la logique et pourquoi ne pas revenir sur la fameuse ordonnance de 1945, ce qui permettrait par exemple d’abaisser l’âge de la majorité pénale à 13 ans, voire en dessous, de recourir davantage à des unités pénitentiaires pour les mineurs ? [...] On a le sentiment [Qui est « on » ?] que les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus ceux de 1945 [...] pourquoi vous n’en tirez pas les conséquences. [...] »

Lionel Jospin (défensif) :

« Le gouvernement que je conduis a quand même tout à fait rompu avec, je dirais, une conception un petit peu angélique des problèmes. [...] »

Olivier Mazerolle :

« Les Français ne semblent pas convaincus [Les Français ou Mazerolle ?] : ils ont retenu la loi sur la présomption d’innocence. Et ils disent : « Mais tous ces petits délits pour lesquels d’ailleurs les plaintes ne sont même pas toujours enregistrées par la police, ils ne sont pas punis, ils ne sont pas sanctionnés. » [Mazerolle, voix de la France ?] Alors, d’un côté, présomption d’innocence, bravo pour les droits de l’homme (narquois). Mais où est la sanction (menaçant) ? »

Gérard Leclerc :

« Pourquoi ne pas aller par exemple jusqu’à la tolérance zéro ? Des plans, des mesures, il y en a depuis des années. Et on voit que l’an dernier encore la délinquance a progressé de 5 %. Pourquoi ne pas dire, carrément : la tolérance zéro ? »

14 juillet 2001, TF1 et France 2

Les premiers mots de la toute première question posée par Béatrice Schönberg (France 2) sont :

« Nous vous interrogerons sur toutes les questions que les Français se posent, l’insécurité... »

Puis Élise Lucet (France 3) :

« Nous allons aborder la question de l’insécurité. C’est le sujet de préoccupation numéro un des Français » [Et d’Élise Lucet ?]

L’entretien consacre plus de quinze minutes au sujet. Même Chirac s’en lasse :

« On parle d’insécurité et on ne va pas parler indéfiniment de ce sujet ! »

28 août 2001, TF1

La chaîne Bouygues, dont le propriétaire a été mis en examen en 1995 pour abus de biens sociaux, est dirigée par Patrick Le Lay, mis en garde à vue en 1995 dans une affaire de pot-de-vin. Quant au présentateur, il a été condamné pour complicité de recel d’abus de biens sociaux.

PPDA :

« Puisqu’on parle d’insécurité, nous avons été parmi les premiers à donner le chiffre d’une augmentation de près de 10 % de la délinquance au premier semestre. Les autorités avaient nié ; or, c’est le chiffre officiel aujourd’hui. On est loin du « sentiment d’insécurité », idée d’extrême-droite. C’est quelque chose qui existe ! [Il hurle.] Pouvez-vous avoir des moyens supplémentaires pour rassurer les Français, qui sont légitimement inquiets, ainsi qu’on le constate dans les études d’opinion ? »

P.-S.

Cet article est paru dans le n°6 de PLPL, en décembre 2001

Notes

[1Cf. P. Champagne, Faire l’opinion, Editions de Minuit, 1989