La différence des sexes demeure...
Dans le panorama des pratiques sexuelles "légitimables", une évolution est néanmoins perceptible. En effet, les décisions concernant le devoir conjugal s’occupent moins de la manière dont celui-ci s’accomplit que l’accomplissement lui-même. Autrement dit, la façon d’exécuter l’obligation est davantage laissée à l’appréciation des partenaires. Si progressivement la liberté sexuelle semble gagner du terrain, en revanche la nature hétérosexuelle de l’union demeure l’élément constitutif de la légitimité du lien [1].
Les relations sexuelles et même les amitiés spirituelles entre personnes du même sexe sont considérées par les juges comme attentatoires aux devoirs conjugaux (respect dû au conjoint) et deviennent systématiquement la cause d’un divorce pour faute. Avec presque 90 ans d’écart, la jurisprudence continue à considérer qu’une "relation au moins sentimentale du mari avec un autre homme porte atteinte à la fidélité et à la loyauté dues pendant le mariage" (CA Bordeaux, ch. 6, 10 avril 1996), ou encore que "l’entretien avec un ami des relations présentant un caractère de communion spirituelle d’un homme avec un autre" constituent des injures graves pour l’autre conjoint.
Cela n’a guère changé au fond depuis qu’en 1905, la cour d’appel de Bourges retenait que
"l’immoralité de l’acte contre nature est compliquée par un élément étranger à la passion naturelle d’un sexe pour l’autre et au mouvement physio-logique de l’être humain et que cet acte n’a rien de commun, avec la satisfaction de la passion naturelle, laquelle, échappe à l’article 334" [2].
De nos jours, et malgré la suppression de toute répression pénale, l’homosexualité demeure un comportement infâmant [3]. Ainsi, pour les tribunaux, traiter quelqu’un d’homosexuel constitue une diffamation condamnable, car
“l’homosexualité est contraire à l’honneur et à la considération” [4].
En revanche, il est sans conséquences juridiques de porter un jugement péjoratif sur l’homosexualité comme le fit cet évêque de Strasbourg qui avait un jour exprimé son sentiment en ces termes :
“Je respecte les homosexuels comme je respecte les infirmes. Mais s’ils veulent transformer leur infirmité en santé, je dois dire que je ne suis plus d’accord”.
Poursuivi pour diffamation, l’homme d’Église n’en fut pas moins relaxé et les plaignants condamnés, les juges estimant
“qu’il appartient à l’homosexuel, et à lui seul, de révéler sa condition, tout en sachant que celle-ci est considérée comme anormale pour une partie du public” (Colmar, 27 juin 1983).
Au terme d’une étude de la jurisprudence française [5] entre 1986 et 1990, on constate que dans les procès de divorce il ne s’agit pas tant de condamner les actes d’infidélité du mari, mais plutôt de punir son homosexualité. La cour d’appel de Rennes [6] établit en ce sens que "l’homosexualité du père est contraire à l’intérêt des jeunes mineurs", en considérant que cette situation peut "gravement perturber les enfants". S’appuyant sur ce trait de la personnalité du père, la Cour lui refuse "tout droit d’hébergement des enfants", considérant que
"ses relations ho-mosexuelles sont immorales et incompatibles avec l’exercice de l’autorité parentale sur les jeunes mineurs".
Pour les mêmes motifs la cour d’appel de Grenoble (le 20 juillet 1988) attribue l’exercice de l’autorité parentale au père pour des "motifs graves", c’est-à-dire l’homosexualité de la mère "ayant entraîné une perturbation psy-chologique des enfants".
Cet argument revient systématiquement ; l’homosexualité étant par nature répréhensible et condam-nable, il est nécessaire d’en préserver les enfants (Cour d’appel de Nîmes ch. 02, 1988-05-19). En 1986, la chambre civile de la cour d’appel d’Orléans prononce un divorce aux torts et partage en retenant contre le mari "des brutali-tés, une privation de nourriture infligée à la conjointe, son homo-sexualité" [7].
Dans le même sens, la décision de la cour d’appel d’Agen, sur la ré-glementation du droit de visite des enfants, est aussi très signifi-cative. En effet, la cour admet au père homosexuel le droit de visite et d’hébergement des enfants mais à condition qu’il exerce son droit "hors la présence d’un tiers" (son amant du même sexe) et "avec une attitude digne d’un père de famille excluant tout comportement féminisé"(Ch. I, 1987-07-08). Ainsi, pour la justice un bon père de famille doit être, ou du moins paraître, un bon mâle.
D’une façon plus générale, même en dehors du contentieux conjugal, toute allusion et même le soupçon d’homosexualité constitue pour les juges une infamie. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris considère que c’est un préjudice pour un "modèle membre d’une équipe sportive" de faire publier son image sur la couverture d’un magazine homosexuel. Même s’il s’agit de fictions littéraires, l’homosexualité est couverte d’opprobre par la jurisprudence. En effet, la cour de cassation (Civile 2 84-15941, n° 84-16. 57, 1986-05-12)
"a retenu souverainement l’existence d’un préjudice subi par les parents d’une adolescente dont la mort violente a donné lieu a une information judiciaire et dont on a fait le personnage principal d’un roman, a pu déduire que l’auteur de ce roman avait commis une imprudence (même en ab-sence de diffamation ou d’atteinte à la vie privée) en présentant, comme il l’avait fait, son héroïne, spécialement en lui prêtant des tendances homosexuelles, et que cette faute était en relation de cause à effet avec le préjudice".
En elle même, l’insinuation d’homosexualité constitue un tort [8].
Dans une analyse de 50 décisions rendues entre 1983 et 1999, Th. Formond démontre également comment l’invocation de l’homosexualité demeure une constante dans les jugements de divorces pour faute. Dans la logique jurisprudentielle ce n’est pas la figure de l’adultère qui permet de qualifier la faute mais celle de l’injure grave. Le mot "homosexualité" apparaît de nos jours à côté de "sévices et injures graves" (Gazette du Palais), "relations injurieuses avec un tiers" (Jurisclasseur civil) et indépendamment des propos des juges, les revues se permettent de classer les affaires liées à l’homosexualité parmi les "atteintes portées à la dignité et à l’honneur du conjoint", les "habitudes déshonorantes" ou encore les "habitudes contraires à la morale sexuelle" [9]
Ce raisonnement montre bien que ce n’est pas tant l’infidélité homosexuelle qui est condamnable mais la blessure morale que celle-ci représente pour l’autre conjoint. Indépendamment des conséquences adultérines, l’homosexualité est condamnée en tant que telle comme n’importe quel autre "vice". Ainsi, la cour d’appel de Paris, dans une décision du 26 mai 1999 a prononcé le divorce aux torts exclusif du mari du fait de "son alcoolisme et de ses aventures homosexuelles" [10]. Sans aller jusqu’aux "aventures", la seule manifestation de l’homosexualité constitue également une injure à l’égard de la femme. En effet, la cour d’appel de Besançon considère que
"le mari qui revendique son homosexualité en affirmant qu’il n’entendait pas agir dans le secret ne peut ignorer les conséquences de son comportement sur la vie affective et professionnelle de son épouse" [11].
Ou encore les agissements d’une femme qu’entretenait une correspondance amoureuse avec une autre femme habitant au Viêt-nam ont été considérés non pas comme un "adultère intellectuel" (pour reprendre l’expression consacrée par la doctrine) mais comme une injure à l’égard du mari [12].
A la différence des autres figures, l’homosexualité constitue par elle même et indépendamment de ses effets, une injure. Même s’il remplit parfaitement ses obligations conjugales, les juges considèrent que
"l’homosexualité d’un conjoint est très difficilement supportable et constitue une violation grave et renouvelée des obligations du mariage et rend intolérable le maintien de la vie commune" [13].
Qui plus est, d’après la jurisprudence l’homosexualité constitue en elle-même un préjudice moral susceptible de dédommagement.
Fonction politique du mariage
Le débat politique de 1999 permet de constater la prégnance de ce modèle, en même temps que d’en vérifier la cohérence. Il pourrait même constituer une cristallisation extrême de ce que nous venons de démontrer car la jurisprudence ne détient pas le monopole de la promotion de certaines pratiques hétérosexuelles. D’autres acteurs dont maints politiques ont récemment assumé ce rôle.
En effet, tout au long du débat sur le PaCS, la figure du mariage a permis d’établir les limites des revendications possibles. La droite et la gauche furent d’accord pour considérer que le mariage devait être préservé en l’état, c’est-à-dire par essence hétérosexuel. La suprématie matrimoniale ainsi que sa nécessité symbolique ont fait largement consensus dans un monde politique conforté par les spécialistes du droit de la famille.
Ainsi, F. Dekeuwer-Défossez est non seulement contre le droit au mariage pour les couples de même sexe mais aussi contre le concubinage. Avant le vote de la loi sur le PaCS, la juriste affirmait :
"Ces demandes émanent, par hypothèse, surtout de personnes qui ne peuvent pas se marier, au premier rang desquels les couples homosexuels. Le choix du modèle utilisé pour créer le cadre propice à la satisfaction de leurs revendications est infiniment délicat. Les projets déjà présentés sont tellement modelés sur le mariage (...) qu’ils se sont attirés de critiques justifiées : si l’on englobe le couple homosexuel dans une notion générique de concubinage calquée sur le mariage, on lui reconnaît implicitement la qualité juridique de couple ou de famille, et l’on ouvre la voie à des revendications relatives aux PMA et à l’adoption" [14].
Convoquée en tant qu’experte des questions familiales, Irène Théry affirmait :
"La raison pour laquelle le couple homosexuel n’a pas accès au mariage est que celui-ci est l’institution qui inscrit la différence des sexes dans l’ordre symbolique, en liant couple et filiation".
Certains juristes iront jusqu’à invoquer le droit canonique : B. Beignier considère que
"Le canon 1096 du Code canonique de 1983 le dit bien mieux que le Code civil (....) le mariage est une communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation des enfants par quelque coopération sexuelle" [15].
Le 6 juin 1998, le président de la République lui-même est intervenu dans le débat en signalant :
"Il ne faut pas prendre le risque de dénaturer le droit au mariage, ni de le banaliser, en mettant sur le même plan d’autres réalités humaines de notre temps, qui conduisent bien loin des valeurs fondamentales de la famille."
Les points de désaccord se trouvaient non pas dans le PaCS lui-même, mais plutôt dans les dérives que cette loi pouvait entraîner. Lorsque la droite accusait la gauche de vouloir ouvrir le mariage aux couples de même sexe, cette dernière rassurait ses opposants en mettant l’accent sur la différence entre le mariage et le PaCS. "Le PaCS est un contrat", expliquait la ministre de la justice Élisabeth Guigou :
"Il apporte une réponse pragmatique et équilibrée qui ne bouleverse pas l’ordre juridique et social (...). Le Pacs n’est ni un mariage bis ni un quasi mariage (...) car rien ne vaudra le statut du conjoint pour ceux qui recherchent le maximum de sécurité juridique et de stabilité (...) Le Pacs est radicalement différent du mariage parce qu’il n’est pas question, ni aujourd’hui ni demain que deux personnes physiques quel que soit leur sexe puissent se marier" [16].
Et la ministre de nous rappeler :
"...le mariage c’est l’union entre un homme et une femme ; c’est l’institution qui articule la différence de sexes".
La défense du mariage hétérosexuel devient son cheval de bataille :
"Comme je l’ai clairement affirmé à diverses reprises. Il ne saurait être question de décalquer le mariage, car ce serait lui porter atteinte (...) et l’institution que représente le mariage - il nous faut évidemment le préserver car il est le fondement même de notre société (...). Tels sont les traits caractéristiques du pacte civil de solidarité qui, comme vous le constatez, diverge profondément du mariage et n’interfère en aucune manière avec le droit de la famille" [17].
"L’argument selon lequel le PACS concurrencerait le mariage n’est donc pas recevable", affirme le rapport parlementaire à l’origine de la loi :
"Rien ne vaudra le statut de conjoints pour ceux qui recherchent un maximum de sécurité juridique..." [18].
D’après les défenseurs de la loi, cette absence de concurrence avec le mariage est d’abord et surtout le produit d’une différence de nature. Le rapporteur explique que le mariage est un engagement institué, liant le couple à la filiation par la présomption de paternité [19]. Durant le débat, aussi bien le gouvernement que le groupe socialiste se sont efforcés de démontrer que le PaCS ne mettait nullement en danger l’institution du mariage, laquelle conserve et doit conserver sa qualité et son utilité sociale :
"Le PACS ne modifie pas le droit de la famille (...). Il constitue avant tout un encouragement à la stabilité des couples en ce qu’il implique un engagement absent de l’union libre, sans pour autant se substituer au mariage." [20]
"Le PACS et le mariage ne doivent pas être confondus", a répété avec insistance la seule députée de droite favorable à la loi [21].
La rhétorique n’a pas semblé suffire. Face aux soupçons de la droite, le Gouvernement s’est adonné à une véritable entreprise de "dématrimonialisation" du PaCS. Il fallait modifier ou faire disparaître tous les éléments le rapprochant de l’institution matrimoniale :
– la mairie fut remplacée par le tribunal d’instance comme lieu d’enregistrement du contrat ;
– la référence à l’autorité parentale partagée (présente dans les premières propositions) fut supprimé ;
– des délais spécifiques (inexistants pour le mariage) ont été introduits dans le PaCS ;
L’absence des droits extra-patrimoniaux ainsi que la différence sur l’abattement fiscal sont également des phénomènes extrêmement significatifs.
Qui plus est, à trois jours du débat parlementaire, le groupe socialiste vota un amendement, sans lendemain, en faveur de l’extension du PaCS aux frères et sœurs [22]. Une fois que le PaCS se sera
"détaché du complexe matrimonial, lorsqu’il se tiendra clairement à distance du mariage, il cessera d’être un concurrent pour devenir son meilleur complice, car il ne fera que le renforcer" [23].
L’hypothèse selon laquelle le mariage doit être compris comme une institution sociale véhiculant une politique des sexualités semble expliquer cette entreprise. D’une façon plus ou moins euphémisée, revêtue du langage théologique ou prenant les habits de la psychanalyse ou de l’anthropologie [24], cette politique consiste en l’encouragement officiel de l’hétérosexualité comme modèle sexuel. En tant qu’attribut nécessaire du mariage, la différence de sexe a été présentée simultanément comme relevant de l’ordre naturel et de l’ordre symbolique.
Ces invocations métaphysiques poursuivaient une double finalité, d’une part soustraire du débat politique la question de l’égalité des couples homosexuels et, d’autre part, donner une garantie "naturelle" (hors de la délibération démocratique) à la reforme juridique des conjugalités ouverte par le PaCS.
Ce n’est donc pas autour de la pénalisation directe de l’homosexualité que s’organise le gouvernement des sexualités, mais au moyen du contrôle d’accès aux prérogatives disponibles dans l’univers des conjugalités. Autrement dit, ce n’est plus la loi pénale qui fonctionne comme instrument de régulation mais la loi civile. Presque personne n’a prétendu revenir sur la dépénalisation de l’homosexualité, mais presque personne n’a pas non plus dénoncé le refus du droit civil au mariage pour tous indépendamment du sexe des partenaires [25].
En réservant le mariage aux seuls couples de sexe différent, le droit civil institue la pratique hétérosexuelle comme la seule capable de constituer une référence sociale. Ainsi, en tant que coutume érotique supposée réactualiser la différence des sexes, l’hétérosexualité est présentée non seulement comme naturelle, mais aussi comme culturellement nécessaire.
Les deux rapports rendus au gouvernement français de l’époque concernant une future réforme du droit de la famille (I. Théry et F. Dekeuwer-Défossez) s’accordent sur l’affirmation que seuls les couples parentaux et les conjoints peuvent constituer une famille. Les unions homosexuelles sont formellement exclues car les reconnaître comme étant une famille mettrait en danger les principes mêmes de l’organisation symbolique de la société et la structuration psychique de l’individu.
De même, C. Labrusse-Riou, dans un entretien pour Le Monde de l’Éducation affirme :
"La structure du mariage en Occident remonte à plus de 2000 ans. Il n’est donc pas plus facile de rompre l’héritage institutionnel que d’imaginer les conséquences qui peuvent en résulter dans les représentations que nous en avons (...) Mais le mariage qui, en l’état implique la différence des sexes, n’est pas fait pour eux (les homosexuels) car le statut matrimonial est également construit en fonction des enfants et pour eux (...) Peut-on faire courir aux enfants les risques d’une déstructuration du système de parenté ou d’une mise en question de leur identité généalogique qui, à terme, s’inscrit dans la demande de certains homosexuels ?" [26].
Le juriste Pierre Legendre va plus loin en affirmant :
"Toutes les générations ont leurs impostures. L’homosexualisme en est une (...) Garantir la non-discrimination sociale des citoyens en raison d’une position subjective quant au sexe est une chose. Casser les montages anthropologiques au nom de la démocratie et des droits de l’homme en est une autre" [27]
Conclusion
Le mariage comme institution de l’usage justifié des organes génitaux et des fantasmes sexuels, et en tant qu’espace de la sexualité la plus légitime, détermine le modèle en construisant par ce même geste l’anormalité. Plus qu’une alternative à la liberté individuelle, le mariage apparaît surtout comme un instrument politique de régulation des sexualités. Le rapport hétérosexuel régulier, exclusif et monogame à finalité reproductive, fondé sur l’amour dessine les frontières en dehors desquelles sont renvoyées toutes les autres formes de rapport sexuel et affectif.
En effet, La différence des sexes en tant que condition sine qua non du mariage définit la prééminence des relations hétérosexuelles. Le refus du droit au mariage pour les couples de même sexe implique surtout la non-acceptation d’une équivalence possible entre homosexualité et hétérosexualité.
Le devoir conjugal fait des pratiques sexuelles une contrainte à assumer, même dans l’absence de désir ou de plaisir. En tant que créancier d’un tel droit, le conjoint insatisfait peut demander la rupture du lien avec un dédommagement conséquent.
L’obligation de fidélité renvoi le multipartenariat à la catégorie de la promiscuité. Le couple est un espace clos et les partenaires se doivent une exclusivité non seulement physique, mais aussi morale et spirituelle.
La monogamie étant de l’essence du mariage, elle apparaît comme un comportement doublement prescrit [28].
En ce sens, l’article 147 du code civil établit :
"On ne peut pas contracter un second mariage avant la dissolution du premier"
Et l’article 433-20 du code pénal stipule que
"Le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, d’en contracter un autre avant la dissolution du précédent est puni d’un an d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende. Est puni des mêmes peines l’officier public ayant célébré ce mariage en connaissant l’existence du précédent".
Par ailleurs, l’impossibilité d’une rupture unilatérale et l’obligation systématique de passer devant le juge pour obtenir un divorce (même par consentement mutuel et même en l’absence de patrimoine et d’enfants) font des pratiques sexuelles matrimoniales une relation à durée indéterminée et difficilement résiliable.
L’ordre public exige de surcroît que ces pratiques sexuelles soient gratuites et fondées sur l’amour, au risque du soupçon de prostitution.
Enfin, la finalité reproductive des actes sexuels constitue encore l’idéal : le refus d’assistance médicale à la procréation pour les célibataires ou les couples de même sexe, ainsi que l’impossibilité d’adoption conjointe pour ces derniers, montrent bien que le droit "doit" imiter la nature et réserver l’origine des filiations aux coïts hétérosexuels féconds et lorsque cela devient impossible essayer de faire une mise en scène qui puisse laisser croire que ce coït a effectivement eu lieu (PMA avec donneur par exemple) [29].
Étrange paradoxe d’un droit qui se pense respectueux de la volonté individuelle, habité par la notion de consentement, essentiellement laïc et qui pourtant laisse une place si étroite aux individus pour organiser leurs vies intimes. Face au dispositif idéal de liberté et égalité , le droit civil du mariage demeure une zone d’ombre non négligeable par l’insistant et opiniâtre gouvernement des corps qu’il constitue encore aujourd’hui.