Il n’y a peut-être pas grand intérêt à rentrer dans un tel débat, sauf que cet empressement à désigner un ennemi et un responsable est un peu suspect.
Car même quelqu’un qui n’a ni compte Facebook ni compte Twitter sait parfaitement qu’y circulent des propos d’une extrême violence, des torrents d’incitations à la haine (qui ne sont pas sans effet).
Est-ce que les réseaux sociaux fabriquent cette haine à partir de rien ?
Est-ce qu’elle n’égale pas, dans sa forme brute, atroce parfois, celle distillée quotidiennement, et depuis si longtemps, par la presse mainstream, les couvertures racistes des magazines et les invités d’extrême-droite de certaines chaînes télé ?
Mais plus suspecte encore est la rage mêlée de mépris qui suinte de la condamnation des réseaux sociaux de la part de gens qui :
– ont pour beaucoup un compte twitter et/ou un blog et/ou suivent assidument, des heures et des heures durant, ceux des autres.
– n’admettent pas qu’on ne puisse pas balayer les critiques qui s’y expriment, d’un revers de main professoral. Ne comprennent pas que, quand les polémiques naissent, enflent, de façon souvent incontrôlée, les rappels à l’ordre ne marchent plus.
– qui tentent de réaffirmer une hiérarchie entre la pensée, la vraie, celle des (longs) livres, des articles sérieux (« scientifiques » et pas « politiques »), celle du papier et du stylo (le parchemin bientôt), et les petites phrases de 460 caractères tapées sur un smartphone, et donc forcément pauvres et inarticulées.
– qui feignent d’ignorer que tous les livres ne sont pas des chefs d’oeuvres, et que les fake news et les discours de haine, la bêtise et la méchanceté, ou simplement la nullité, se trouvent en bonne quantité dans les livres et les revues, bref que le meilleur côtoie le pire dans les bibliothèques aussi bien que sur les réseaux.
Les frontières sont brouillées entre les commentateurs établis, qui parlent depuis leur tribune et en vertu de leurs titres, et celles et ceux qui se sont creusé un petit chemin dans la toile, sans passer par les barrages et les points de contrôle institués. Et c’est sans doute cela qui est intéressant, l’ébranlement des positions dans le débat public, et la place prise par celles et ceux qui n’ont pas (toute) l’autorité (si masculine et si blanche encore) du monde journalistique, universitaire ou éditorial.
On pourra dire, en se trouvant malin, que naissent de nouvelles hiérarchies et des petits magistères, possiblement encore du surplomb et des effets d’autorités.
En effet.
Mais en attendant, un peu d’air, ça fait du bien !