Accueil > Des livres importants > La novlangue du « bien-être animal »

La novlangue du « bien-être animal »

Extrait d’un livre très important : En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme

par Victor Duran-Le Peuch
22 octobre 2025

Le mot antispécisme a fait son entrée dans le monde militant. Victor Duran-Le Peuch en donne une excellente définition : c’est le système de pouvoir qui « trace la frontière entre les vies qui comptent et celles que l’on élimine », tue des milliers de milliards d’animaux par jour, et justifie cela de différentes manières, plus ou moins savantes, puisant dans le sens commun ou dans de pseudo argumentations scientifiques. C’est à cet ensemble hétéroclite de justifications puissamment ancrées, tout particulièrement en France où la consommation de viande fait partie d’un répertoire national prétendument glorieux, du barbecue populaire à la gastronomie distinguée, que s’attaque ce livre En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme. Composé de neuf parties reprenant chacune d’entre elles différents arguments opposés rituellement aux antispécistes (par exemple « Les animaux sont inférieurs » ou « L’égalité animale est dangereuse » ou « absurde »), c’est un précieux manuel. Minutieux, subtil, on y retrouve toutes les qualités (et presque la voix !) de l’excellent podcast Comme un poisson dans l’eau qui, depuis plusieurs années maintenant, nous arme contre les attaques, les dénégations et toutes les dissonances cognitives qui accompagnent la consommation d’animaux. Dans la partie 5, particulièrement utile, l’auteur décortique des arguments récents, en apparence plus « bienveillants », qui en réalité, loin de la solidarité animale, continuent à légitimer l’exploitation. L’extrait qui suit est consacré au concept de « bien-être ».

Tout comme la « vie bonne », le concept de « bien-être » revêt un sens complètement différent selon qu’il concerne des humains ou qu’il est désigné « animal ». Il a même très largement été récupéré et détourné pour masquer les violences inhérentes à l’élevage : les labels et les communications marketing en font un argument clé pour rassurer les consommateur-ices.

Mais cette formule n’est qu’une vaste fumisterie : les poules « élevées en plein air » peuvent n’avoir qu’un accès très limité à l’extérieur, les cages deviennent « enrichies » avec des aménagements minimes, et les mutilations (par exemple les castrations à vif des porcelets ou le meulage de leurs dents) sont pudiquement rebaptisées « soins ».

L’absurdité de ce langage atteint son apogée dans l’industrie du foie gras 7 : les producteurs évoquent des « petits nids douillets » pour décrire les cages où les oies sont enfermées. Tout est fait, nous dit-on, pour garantir leur « bien-être »– elles sont gavées de force, un procédé d’une violence inouïe– et leur « santé »– le foie gras est littéralement un organe malade atteint de stéatose hépatique métabolique. Cette novlangue orwellienne (« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage 8 »), où les mots perdent leur sens à force d’être dévoyés pour camoufler les maltraitances, fonctionne d’autant mieux que le public ne demande qu’à être trompé pour apaiser sa conscience. Le bien-être, c’est la souffrance.

L’élevage prive les animaux de leur liberté, de leur autonomie et d’une vie riche et épanouie. Sur le modèle de la Vache qui rit, leur « bonheur » n’est qu’un sourire plaqué sur le visage de leur asservissement.

Le mythe de la viande heureuse, pilier du néo-carnisme

Dans un contexte où l’exploitation animale est de plus en plus remise en question par les mouvements antispécistes et écologistes, le mythe de la viande heureuse joue un rôle central dans la défense de l’élevage. Il s’inscrit dans une idéologie plus large, le néo-carnisme [1], qui cherche à renouveler les justifications du carnisme pour les adapter aux préoccupations contemporaines. La Déclaration de Dublin de 2022 en est le concentré parfait [2] : cette opération de communication des industries animales pour réaffirmer l’importance de l’élevage se drape dans tous les mots d’ordre progressistes (préoccupations écologistes, sanitaires, économiques et sociales), tout en euphémisant les problèmes de l’élevage industriel– se référant elle aussi, bien entendu, au « bien-être » et à la « santé » des animaux.

P.-S.

En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme est publié aux éditions de l’Atelier. Nous reproduisons cet extrait avec l’amicale autorisation de l’auteur et de la maison d’édition.

Notes

[1Melanie Joy, « Understanding Neocarnism : How Vegan Advocates Can
Appreciate and Respond to“Happy Meat”, Locavorism, and“Paleo
Dieting”
 », One Green Planet, 2012.

[2La « Déclaration de Dublin des scientifiques sur le rôle sociétal de
l’élevage » se fait passer pour un texte scientifique mais est lourdement
lestée de conflits d’intérêts. Le caractère de lobbying de cette opération a
été documenté par Marie Dupin et la cellule d’investigation de Radio
France, « Lobbying : comment l’industrie de la viande a influencé la poli-
tique agricole européenne », Site Francetvinfo, 4 novembre 2024.