Tout comme la « vie bonne », le concept de « bien-être » revêt un sens complètement différent selon qu’il concerne des humains ou qu’il est désigné « animal ». Il a même très largement été récupéré et détourné pour masquer les violences inhérentes à l’élevage : les labels et les communications marketing en font un argument clé pour rassurer les consommateur-ices.
Mais cette formule n’est qu’une vaste fumisterie : les poules « élevées en plein air » peuvent n’avoir qu’un accès très limité à l’extérieur, les cages deviennent « enrichies » avec des aménagements minimes, et les mutilations (par exemple les castrations à vif des porcelets ou le meulage de leurs dents) sont pudiquement rebaptisées « soins ».
L’absurdité de ce langage atteint son apogée dans l’industrie du foie gras 7 : les producteurs évoquent des « petits nids douillets » pour décrire les cages où les oies sont enfermées. Tout est fait, nous dit-on, pour garantir leur « bien-être »– elles sont gavées de force, un procédé d’une violence inouïe– et leur « santé »– le foie gras est littéralement un organe malade atteint de stéatose hépatique métabolique. Cette novlangue orwellienne (« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage 8 »), où les mots perdent leur sens à force d’être dévoyés pour camoufler les maltraitances, fonctionne d’autant mieux que le public ne demande qu’à être trompé pour apaiser sa conscience. Le bien-être, c’est la souffrance.
L’élevage prive les animaux de leur liberté, de leur autonomie et d’une vie riche et épanouie. Sur le modèle de la Vache qui rit, leur « bonheur » n’est qu’un sourire plaqué sur le visage de leur asservissement.
Le mythe de la viande heureuse, pilier du néo-carnisme
Dans un contexte où l’exploitation animale est de plus en plus remise en question par les mouvements antispécistes et écologistes, le mythe de la viande heureuse joue un rôle central dans la défense de l’élevage. Il s’inscrit dans une idéologie plus large, le néo-carnisme [1], qui cherche à renouveler les justifications du carnisme pour les adapter aux préoccupations contemporaines. La Déclaration de Dublin de 2022 en est le concentré parfait [2] : cette opération de communication des industries animales pour réaffirmer l’importance de l’élevage se drape dans tous les mots d’ordre progressistes (préoccupations écologistes, sanitaires, économiques et sociales), tout en euphémisant les problèmes de l’élevage industriel– se référant elle aussi, bien entendu, au « bien-être » et à la « santé » des animaux.


