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La porte ouverte à quoi ?

Contre-argumentaire pour un suffrage vraiment universel (Sixième partie)

par Saïd Bouamama
21 février 2013

Tous les arguments possibles et imaginables ont été avancés au cours de ces dernières décennies pour s’opposer au droit de vote des résidents étrangers. En fonction des conjonctures politiques les arguments ont varié. Certains ont été abandonnés, d’autres ont pris de nouveaux visages tout en gardant la même essence, d’autres encore sont apparus alors qu’ils n’étaient pas présents auparavant. Seule l’extrême-droite garde une permanence dans son argumentation indépendamment de la conjoncture historique. La plupart de ces arguments ont déjà été utilisés pour s’opposer aux droits politiques d’autres catégories de la communauté politique des citoyens. Certains de ces mêmes arguments ont d’ailleurs été avancés pour s’opposer à la citoyenneté des femmes et des ouvriers.

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De nouveau se sont les dimensions de prudence et de sagesse qui sont avancés à travers cet argument. Le vote des étrangers viendrait bousculer les équilibres politiques de la société française. Rappelons en premier lieu que cet argument n’est pas nouveau. Il a été mis en avant à chaque fois que la question de l’élargissement de l’espace politique à de nouvelles catégories de citoyens a été posée. Ainsi en a-t-il été pour le droit de vote des femmes qui était censé bousculer les équilibres en faveur de la droite. Les femmes étaient en effet considérées comme particulièrement influencées par l’église catholique qui à l’époque était plus ouvertement et directement impliquée dans la vie politique. La même argumentation est mise en avant lors de l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans. Cette fois-ci la crainte annoncée était d’un déséquilibre en faveur de la gauche. Force est de constater que ces séismes n’ont pas eu lieu.

Concernant l’immigration les idées couramment répandues sont contradictoires. Certains invoquent le danger d’un vote ethnique en faveur de la droite compte tenu de l’influence que pourraient, soi-disant exercer les gouvernements d’origines. D’autres au contraire avancent l’idée d’une tendance quasi-magique à gauche du vote des étrangers. Dans les deux cas nous sommes dans de la pure spéculation. Dans les pays européens où les étrangers ont le droit de vote le séisme n’a pas eu lieu. Au contraire l’essentiel des étrangers étant installé de longue date le phénomène de vote ethnique ne prend pas. Il semble même s’atténuer au fur et à mesure que la durée du séjour s’allonge et que la reconnaissance du droit de vote est ancienne. Les comportements électoraux des étrangers rejoignent celui des citoyens français de même condition socio-économique.

Le sondage réalisé par l’hebdomadaire L’Express en mars 1990 souligne que les étrangers sont plutôt légitimistes. Si une légère préférence est visible pour la gauche c’est en raison du caractère essentiellement ouvrier de l’immigration. Cependant ce penchant vers la gauche d’une partie de l’immigration n’a pas d’influence réelle à l’échelon local dans la mesure où le sondage en question met en évidence la tendance à voter comme les Français pour le maire en place :

“ Leurs sympathies ? Elles vont à gauche (38 %) encore que 60 % ne se passionnent pas, ou si peu, pour les grands enjeux idéologiques. En réalité, les étrangers sont, dans leur cité, des légitimistes, pour ne pas dire de fieffés conformistes : s’ils avaient pu se prononcer aux municipales de 1989 - tel est le principal enseignement du sondage- ils auraient tout simplement voté à 52 % pour le maire en place ”.

Nulle trace ici de raz de marée ni pour la droite ni pour la gauche.

Le vote des étrangers ne bousculera pas les équilibres politiques. Mais même si cela était le cas, il est plutôt étrange de considérer qu’il faille rejeter un droit au prétexte de ses conséquences. Sur une autre question les démocraties européennes en général et la France en particulier acceptent l’existence légale de groupes et de partis fascistes ou racistes alors qu’ils constituent une menace pour les droits et acquis démocratiques. Le vote des étrangers ne porte pas lui des conséquences aussi dangereuses. Il y a une logique à double vitesse sur la question du traitement politique des conséquences d’un droit. En ce qui nous concerne nous sommes pour l’interdiction des partis racistes ou fascistes parce qu’ils menacent les droits démocratiques. Nous refusons également la logique consistant à utiliser de manière politicienne les conséquences supposées d’un nouveau droit quand celles-ci ne menacent pas les principes démocratiques.

Le même sondage tord le cou à un autre argument contre le droit de vote. Les immigrés ne seraient en réalité pas demandeurs des droits politiques. Le débat sur le droit de vote serait en fait une manipulation de la gauche à la recherche d’un nouvel électorat. Rappelons à cet égard que le premier homme politique à avoir proposer l’élargissement du droit de vote au niveau municipal est ... Jacques Chirac. Cela se passait le 14 octobre 1979 à Bruxelles, devant l’association des maires francophones. Les résultats du sondage sont sur cette question sans ambiguïté :

“ Jusque-là, en effet, personne ne s’était inquiété de savoir s’ils étaient preneurs ou non de cet éventuel nouveau droit. Réponse franche des immigrés : oui à 66 % et même à 73 % s’agissant des maghrébins. (...). Les immigrés souhaitent avoir le droit de vote, et pas seulement pour les municipales. Certes, la demande est particulièrement importante pour l’élection municipale ( 66 % ), mais elle est également majoritaire pour la présidentielle ( 57 %) et même pour les législatives et les européennes (...) ”.

La différence de pourcentage concernant les maghrébins n’est pas à imputer à une quelconque rationalité politique spécifique. Elle souligne simplement un séjour plus ancien et donc en enracinement plus grand.

Partie suivante, en ligne bientôt.

P.-S.

Ce texte est extrait de l’indispensable J’y suis j’y vote, publié il y a maintenant douze ans aux Editions L’Esprit frappeur. Nous le republions avec l’amicale autorisation de l’auteur.