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La vie ratée de Philippe Val

La faute à la sociologie ?

par Sylvie Tissot
13 avril 2015

« Une vie réussie, c’est une vie qui contredit le déterminisme social », proclame fièrement Philippe Val sur France Inter vendredi 10 avril. Les filles d’ouvriers devenues femmes de ménage ou caissières apprécieront, qui ont à ce point raté leur vie. Mais prises par de vulgaires forces sociales - et donc déjà au travail à 8h20, elles n’auront sans doute pas écouté la sortie sidérante de Philippe Val contre le… « sociologisme ».

Tel un Finkelkraut levé du mauvais pied, Philippe Val vient assurer, au micro de France Inter, la promotion de son dernier livre. Avec les mêmes hoquets d’indignation dans la voix, le voilà qui déverse sa haine contre la sociologie, ou plutôt contre le « sociologisme ».

De Rousseau à Bourdieu, en passant par Lénine, Mao et Sartre (et pourquoi pas Staline et les goulags ?), la « gauche totalitaire » aurait imposé cette idée folle selon laquelle les individus ne sont pas que des êtres libres, tout entier responsables de leurs actes. Une idée criminelle diffusée par une discipline accusée de tous les maux : la sociologie, que notre valeureux défendeur de la liberté qualifie, n’ayons pas peur du ridicule, de « pensée totalitaire molle ». Déresponsabilisation des individus, négation du libre artibre, apologie des opprimés, voilà à quoi se réduirait, selon Philippe Val, la sociologie.

Inutile de rappeler à Philippe Val que celle-ci s’est construite sur la réfutation d’un certain déterminisme pour montrer que les individus sont façonnés, ni par leurs gènes, ni par leur « race », mais par le social. Et que cette approche laisse justement entrevoir des marges de manœuvre et des possibilités de transformation là où le conservatisme ne cesse de rappeler les lois « naturelles ».

Inutile de mentionner toutes les enquêtes, statistiques notamment, qui montrent comment le social, à travers le milieu d’origine ou encore le sexe, contraint les individus : non pas en leur assignant un destin à la naissance, mais en pesant sur leurs choix, en dessinant des trajectoires probables, bref en limitant les possibles.

Non, les idées ne viennent pas du ciel ; les goûts ne sont pas « dans la nature », et le destin des individus ne dépend pas que de leurs efforts. Mais inutile d’expliquer tout cela à Philippe Val tant il semble pris (déterminé ?) par l’idéologie réactionnaire et, osons le mot, ses positions de pouvoir. De la chanson contestataire à la présidence de France Inter en passant par Charlie Hebdo, où il impose dans les années 2000 un violent tournant néo-conservateur : est-ce que son invocation grandiloquente de la Culture et de la Liberté et sa pseudo éthique de vie doublée d’une leçon de morale aux ratés n’auraient pas quelque chose à voir, justement, avec cette trajectoire sociale ?

Mais arrêtons là le sociologisme ! Et revenons au plus grave dans cette diatribe en réalité aussi bête qu’ancienne. Etait-ce d’ailleurs la peine de la signaler ? Non sans doute, si ce n’est pour ce passage hallucinant dans lequel de « société » en « système », de « riches » en « juifs », Philippe Val finit tout bonnement par traiter les sociologues d’antisémites.

« Accuser le système, la mécanique intellectuelle qui consiste à dire c’est la faute au système, ensuite c’est la faute à la société, ensuite c’est la faute à un bouc émissaire forcément, ensuite la faute aux riches, et ensuite d’avatar en avatar (sic), on arrive toujours à la faute aux juifs.  »

Cette accusation, seul Jean-Claude Milner jusque là l’avait glissée, dans une émission de Finkelkraut en 2009, à propos des Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. A l’époque même ce dernier avait, stupéfait, esquissé une protestation ; en 2015, Patrick Cohen ne dit mot. Au nom de la liberté ?