Des chercheurs ou journalistes ont depuis longtemps établi la volonté du gouvernement français de défendre coûte que coûte le régime dictatorial de Habyarimana, et de nier la réalité du génocide perpétrée à l’encontre des tutsis. Ce qui est moins su, c’est l’appui que lui a fourni le journal Le Monde.
Jean-Paul Gouteux le montre très précisément, citations à l’appui. Non seulement le journal a mis très longtemps avant de parler du déchaînement de violence que plusieurs témoins avait pu constater depuis avril 1994. Mais les reportages ont tendu systématiquement à diluer les rôles respectifs de chacun, présentant le génocide comme des massacres inter-ethniques, impliquant le régime au pouvoir, mais aussi les rebelles du FPR.
L’auteur souligne notamment l’omniprésence, chez certains journalistes du Monde, d’une grille de lecture ethniciste, qui nie les ressorts politiques du génocide et le réduit à une guerre tribale, entre deux ethnies antagonistes depuis des siècles. Les spécialistes de la région ont pourtant à de nombreuses reprises réfuté cette vision du Rwanda, rappelant que hutus et les tutsis ont la même langue, la même culture et vivent ensemble.
L’idée selon laquelle la conscience politique se réduit, chez les Africains, à simples réflexes de solidarité ethnique, reste encore très profondément ancrée en France. L’auteur déploie une analyse très minutieuse (les articles sont longuement cités, de même que les journalistes mis en cause), et il essaie de comprendre leurs motivations (liens avec les services secrets français, soutien à François Mitterrand, ou réflexes intellectuels profondément ancrés dès qu’il s’agit de l’Afrique).
Précisons que Le Monde a attaqué en justice Jean-Paul Gouteux, et que le journal a été débouté de sa plainte, les juges reconnaissant la qualité et le sérieux de l’enquête. On sort de cette lecture bien décidé à être plus vigilant envers ce journal trop souvent crédité d’une neutralité et d’une scientificité sans tâches, alors qu’elles ont été, dans le traitement du génocide rwandais, curieusement absentes.
C’est bien l’enquête de Jean-Paul Gouteux, plus que les articles du Monde, qui a assuré, dans cette histoire, un rôle de contre-pouvoir.