Quelques rapides calculs cependant, et l’affaire était entendue. Aux deux premières rencontres, nous n’allions pas aller, et nous n’irons pas à la troisième.
Le forum international contre l’islamophobie qui s’est tenu le 14 décembre 2013 a convié, pour sa première table ronde, 7 personnes (dont 2 femmes) et pour sa deuxième table ronde 5 personnes (dont 2 femmes). Ce bel effort s’anéantit pour les ateliers : 13 intervenants pour le premier, dont une majorité de femmes (9) : normal, il porte sur le féminisme, une histoire de femmes. On chute à 1 femme contre 10 hommes pour l’atelier suivant, consacré à des choses plus sérieuses : le passage à l’action (les « réponses locales aux agressions islamophobes »). Pour le troisième thème, plus inaccessible encore pour les femmes, ce ne sont que deux d’entre elles qui sont sollicitées : deux pour 12 hommes, mieux à même de discuter de « la loi » (« instrument de domination ou moyen d’action ? »). Enfin, dernière atelier, les médias, 2 femmes pour 11 hommes.
Pour Penser l’émancipation, à Nanterre en février 2014, là encore, c’est entre elles que les femmes sont invitées à réfléchir… sur leur propre sort (3 femmes pour « Penser au-delà du patriarcat »). Pour le reste, c’est-à-dire les questions générales et universelles, des hommes : 4 hommes pour nous projeter dans « l’au-delà du capitalisme » ; 4 autres pour imaginer nos « utopies critiques » ; et enfin deux hommes et une femme traçant les voies de « l’au-delà de l’impérialisme ». Bien en deçà, donc, d’une modeste parité, dispositif sans doute trop timide pour nos spécialistes virils de l’émancipation.
L’entre-soi masculin du colloque du 8 mars 2014 Quand la laïcité a servi pour exclure ; Quel bilan ? Quel avenir ? autour de la loi du 15 mars 2014 est plus odieux encore. 4 hommes pour la première table ronde « Islamophobie : Un racisme institutionnalisé ? Une responsabilité partagée ? » ; 3 hommes et une femme pour la seconde « Les musulmans de France et leurs pratiques- Visibilité/effacement : des enjeux d’avenir ».
Pour parler d’une loi qui exclut des femmes (et contre laquelle des femmes se sont mobilisées), c’est donc une femme (probablement blanche) sur 8 invités que nous sommes invitées à aller écouter. C’est tout ? Non, rassurez vous, des « jeunes femmes qui ont surmonté, ou pas, la barrière que cette loi leur a imposée feront part de leur témoignage ». Une oreille sympathique leur sera tendue pour écouter des « témoignages » probablement pleins d’émotion ; ils viendront illustrer les propos, eux, pleins d’intelligence, les mises en perspective, les montées en généralité, les propositions d’action, bref, le véritable discours politique, privilège des hommes.
Mais là non plus, pas plus que dans les deux autres colloques, il ne sera rappelé que les premières à se mobiliser ont été et sont toujours des femmes : dès janvier 2004 création par des femmes portant foulard et des femmes ne le portant pas, de l’association « Collectif des féministes pour l’égalité », en même temps que du collectif mixte « Une école pour toutes/tous », les deux s’opposant à la loi sur le foulard, création en 2012, à l’initiative des Féministes pour l’égalité, du collectif « Mamans toutes égales ». Aucun mot sur ces collectifs, aucune place pour eux, ni pour aucune de ses porte-parole, aucune reconnaissance ni de leur existence ni de leur antériorité : non, on dirait que la lutte contre l’islamophobie vient de commencer, à l’initiative…d’hommes.
Les précédents de cet entre-soi masculin sont nombreux. Aujourd’hui, contre la relégation des femmes dans l’infra-politique, toujours d’actualité dans le monde militant et intellectuel français de 2014, nous appelons toutes les participantes et les participants à protester vigoureusement auprès des organisateurs de cette rencontre, et de toutes celles à l’avenir qui viendraient reconduire, en se drapant parfois dans la plus grande radicalité, l’oppression et l’invisibilisation des femmes.