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Les couilles du capitaine

Le front de gauche, les pédalos et le hussard blanc de la république

par Collectif Les mots sont importants
23 novembre 2011

Une « petite phrase » assassine de Jean-Luc Mélenchon contre un concurrent socialiste, des échanges téléphoniques entre Dominique Strauss-Kahn et ses compagnons de partouze : quoi de commun ? Pas grand-chose, sinon une certaine idée de la masculinité, du pouvoir… et de la république !

Dans un article récent, Baptiste Nicolino, Alice Romerio et Arthur Vuattoux mettaient en évidence le sous-texte sexué des commentaires entendus lors de la campagne des primaires. François Hollande peut-il être un bon candidat ? Un bon président ? Peut-il battre Nicolas Sarkozy ? Qu’il ait un programme susceptible de rallier la gauche autour de lui a peu intéressé les journalistes. La question cruciale étant plutôt de savoir s’il en a ou pas : est-il un mou ou un dur ?

Que dire quand on retrouve, à peine masqué, le même hétérosexisme à la gauche du Parti Socialiste, chez un candidat nommé Jean-Luc Mélenchon ? On n’attend certes pas grand-chose en matière de féminisme de la part d’un personnage politique qui s’est construit comme une synthèse monstrueuse entre le républicanisme ringard d’un Chevènement, le populisme histrionique d’un Georges Marchais et le bagout viriliste d’un Bernard Tapie, mais tout de même : qualifier François Hollande de « capitaine de pédalos » est une manière tout à fait singulière de le critiquer et de « marquer sa différence ». Si François fait du pédalo, Jean-Luc, vous l’aurez compris, n’est pas une pédale.

Quelques jours après ce « bon mot », nous prenons connaissance, à l’occasion d’une enquête sur un réseau de prostitution, du contenu de certaines écoutes téléphoniques, et plus particulièrement du vocabulaire de Dominique Strauss-Kahn et ses amis : chez ces gens-là, on se fait des « parties fines » avec des « petites », qu’on appelle aussi des « demoiselles », qu’on appelle même « du matériel » (dixit DSK himself), et qu’à l’occasion on (DSK himself, là encore) « sodomise à la hussarde dans les toilettes ».

Si aucun jugement moral ne s’impose à nos yeux sur la pratique de la sodomie ni sur le fait de la pratiquer dans les toilettes (cela va sans dire, mais peut-être mieux en le disant), en revanche la formule « à la hussarde » suscite une perplexité certaine… et un profond haut-le-coeur. De quoi s’agit-il exactement ? Un nouvel euphémisme, après « troussage de domestique », pour parler du viol ? Nous ne voyons pas, à vrai dire, de quoi d’autre il peut s’agir puisque le Hussard est, initialement, un cavalier de l’armée hongroise, et que le dictionnaire nous dit qu’au sens figuré, « à la hussarde » signifie : « brutalement, sans retenue ni délicatesse ».

« A la hussarde »

Comme le « troussage de domestique », cette référence aux « Hussards » puise une bonne part de ses vertus euphémiques dans sa dimension archaïque : c’est bien le « charme de l’ancien » qui est ici goûté, autant dire la nostalgie quasi assumée d’un temps où l’inégalité de l’ordre social était proclamée officiellement, inscrite dans le marbre, et où même le droit positif tolérait la violence la plus extrême, celle en général des maîtres sur les subalternes, celle en particulier des hommes sur les femmes.

Mais dans « hussard » nous entendons autre chose, encore. Les instituteurs de « la Laïque » furent surnommés jadis « hussards noirs de la République », et cette imagerie fait aujourd’hui encore les délices de maints réactionnaires, de gauche comme de droite. Hussards parce que l’école laïque fut conçue comme une guerre contre un Clergé catholique hostile au régime républicain, noirs parce que c’est en noir que s’habillaient ces valeureux institussards.

Quel rapport, direz-vous, avec DSK ? Aucun, à première vue, même s’il doit arriver à notre queutard-et-plus-grand-économiste-de-France [1] de se vêtir de noir. Et pourtant, c’est bien la République qui, à l’occasion de l’affaire Nafissatou Diallo, s’est mobilisée comme (presque) un seul homme pour sauver le soldat DSK [2]. C’est bien l’élite des professeurs de laïcité, des chasseurs de voile islamique et des contempteurs du sexisme banlieusard qui a défendu « son homme ». C’est bel et bien cette élite républicaine qui, dans l’affaire qui l’opposait à une domestique noire [3], a blanchi notre « hussard ».

Si l’on ajoute à cela que ledit hussard se trouve être de race blanche, comme le sont tous les républicains qui ont volé à son secours et comme ne le sont pas beaucoup les banlieusards dont la violence sexiste est quotidiennement mise en exergue, on peut conclure que l’ex-patron du FMI est bien, dans tous les sens du terme, le hussard blanc de la république – une république blanche et masculine, raciste et sexiste, dont Jean-Luc Mélenchon représente l’aile (ou la couille) gauche.

Notes

[1Puisque c’est ainsi que le personnage a été campé par les Guignols de l’Info, qu’on a connus plus inspirés… et un peu moins violemment sexistes.

[2Avec, notons-le, le soutien de quelques supplétives « féministes à la française ».

[3Comme d’ailleurs dans celles qui avaient précédé et qui avaient bénéficié d’une impressionnante omerta.