Homophobie
Au « macho » qu’il réhabilite, en tant qu’ « homme qui respecte sa mère, qui protège sa femme et se sent responsable de ses enfants », Alain Soral oppose « les demi-fiottes d’aujourd’hui » [1].
Cette élégante formule nous conduit à évoquer l’homophobie maladive d’Alain Soral. L’écrivain stigmatise en effet la communauté homosexuelle, surtout masculine [2], chez qui il déplore « le refus de côtoyer l’ "autre" radical qu’est la femme », et donc le « repli narcissique ». Une analyse qui là encore ne brille pas par son originalité, puisqu’elle n’est que la reprise d’un des principaux poncifs de la vulgate psychanalytique la plus réactionnaire [3].
Guère plus original, l’amalgame permanent qu’il opère entre l’homosexualité et le monde des nantis, qui est une des figures les plus convenues du discours homophobe dans sa version « populiste » ou stalinienne : Alain Soral s’en prend aux « tapettes de droite de France Culture » [4], et lorsqu’il prétend faire la leçon aux cinéastes qui ont soutenu les sans-papiers, il les qualifie d’ « enculés mondains » [5]. Comme s’il n’existait pas d’homosexuels dans les classes populaires, comme si, pour parler comme le PCF des années Thorez-Duclos, l’homosexualité était un « vice bourgeois ».
Dans son livre Jusqu’où va-t-on descendre ?, Alain Soral propose enfin cette spirituelle définition de "la lesbienne", qui n’est - là encore - qu’une juxtaposition de clichés haineux :
« Hommasse névrosée qui passe son temps à reprocher aux hommes le peu de féminité qui leur reste » [6]
Socialisme ou nationalisme ?
Alain Soral se présente volontiers comme un « marxiste », sans doute pour choquer le bourgeois ou régler ses comptes avec une histoire familiale conflictuelle. Étrange marxisme, toutefois, que cette vulgate qui ne débouche sur rien d’autre que l’auto-célébration et l’auto-promotion sur les plateaux des chaînes de télévision les plus commerciales, et dans laquelle la référence aux rapports de classe ne sert qu’à une chose : disqualifier tout combat égalitaire en tant que combat « bourgeois » : le féminisme et les mouvements homosexuels, nous l’avons vu, mais aussi le combat pour la régularisation des sans-papiers [7].
Des sans-papiers sur lesquels, d’ailleurs, Alain Soral se permet, de manière très peu marxiste, de porter un jugement moral, en nous invitant à les qualifier plutôt d’ « immigrés clandestins possédant des papiers d’un pays qu’ils n’auraient pas dû quitter » [8]. Mais qui est M. Soral pour se permettre, dans le confort de son appartement parisien, de sermonner les Maliens, les Algériens ou les Roumains qui tentent de trouver en France de meilleures conditions de vie ? Qui est-il pour leur dire à quel endroit ils doivent vivre ?
Et que penser de son hommage appuyé à Jean-Pierre Chevènement pour avoir réhabilité « la Nation et la République » ? [9]
Que penser de son indignation face à la diffusion du feuilleton allemand Derrick au détriment du franchouillard Commissaire Maigret ? Une diffusion qui tient selon lui d’un choix politique mûrement réfléchi, et qui constitue la preuve que... « la police sera faite par les Allemands » ! [10] On ne sait s’il faut rire ou pleurer de ce navrant commentaire où la paranoïa le dispute à l’ubuesque.
Que penser de la nostalgie d’Alain Soral pour « les voyous d’hier », qui « méprisaient les bourgeois mais aimaient la France », et de son dégoût affiché pour « les z’y-va d’aujourd’hui », qui « méprisent la France » ? [11]
Que penser, enfin, de sa mythification de « la banlieue rouge de jadis », qui semble n’avoir pour fonction que celle de stigmatiser les « banlieues beur d’aujourd’hui » [12] ? Car à lire Alain Soral, le principal mérite des banlieues rouges du passé est semble-t-il d’avoir été des banlieues blanches :
« la maghrébisation, l’africanisation, la tiers-mondisation de la France ont fait baisser vertigineusement le niveau de civisme et de civilité de la population française » [13]
Cette étrange synthèse entre un faux socialisme et un vrai nationalisme - sans oublier le racisme, le sexisme et l’homophobie - porte un nom : fascisme. De fait, Alain Soral se vante d’avoir animé au début des années 1990 une revue (La lettre écarlate) qui fut qualifiée de « rouge-brun » [14], et il a accordé en juillet 2004 un entretien à la revue Éléments, animée par le très douteux théoricien de la « Nouvelle Droite », Alain de Benoist [15].
Il est même arrivé à Alain Soral de faire l’éloge d’un leader d’extrême droite islamophobe, le néerlandais Pim Fortuyn [16], ou de légitimer très explicitement le vote Le Pen :
« Je pense que, pour des raisons historiques, et bien que marxiste donc lié à l’histoire du parti communiste, l’avenir de la politique, de ce qui peut faire bouger la politique et notamment le dogme ultra-libéral de Maastricht qui a tant fait souffrir la France du travail, se situe dans l’espace populiste qu’a créé Le Pen - qui je le rappelle ne tient pas plus un discours fasciste depuis 15 ans, que Madelin ne tient un discours nazi ou Jospin un discours Lambertiste ! Un espace "national républicain" qui correspond un peu à celui qu’avait investi Pim Fortuyn en Hollande, homme politique nouveau et insolite que la police politique dût faire assassiner pour avoir osé fédérer, du jour au lendemain, 35 % de l’électorat batave ! »
« Je suis léniniste et pour moi ce qui compte c’est de peser sur la politique telle qu’elle est, quitte à penser, par exemple, que le vote Le Pen au premier tour était le vote révolutionnaire qui, en foutant dehors la "gauche plus rien", permettrait demain de refonder une gauche authentique... » [17]
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Un pitre télévisuel
Si les obsessions d’Alain Soral, mises bout à bout, forment un ensemble relativement cohérent, aux forts relents racistes et fascisants, l’homme n’est heureusement pas, jusqu’à présent, inséré dans un réseau de groupes militants. Raison de plus pour être vigilants, et continuer de le tenir à distance des initiatives militantes qui se montent sur des causes justes.
Si l’on prend au sérieux son discours, comme il nous y invite, Alain Soral est un fasciste ; sinon, il n’est qu’un amuseur public qui ne fait rire personne, un agitateur autoproclamé qui brasse du vent, un révolutionnaire à la petite semaine qui ressasse inlassablement les mêmes clichés, un « trublion » qui conforte en réalité les dominants, un « engagé » sans idéal. Ses écrits et déclarations tonitruantes ne révèlent rien, si ce n’est une évidente boursouflure narcissique - ajoutée au ressentiment d’un petit bourgeois blanc, mâle et hétérosexuel bousculé dans ses privilèges par la combativité et la visibilité grandissante des dominé-e-s. Pour le dire autrement, les gesticulations télévisuelles d’Alain Soral remplissent une fonction sociale : quelque chose comme une hetero-pride, une white-pride et une male-pride...
Alain Soral ne fait pas mystère de sa stratégie : il choque pour vendre et sortir de l’anonymat, qui est peut-être son premier ennemi. Pour des médias avides de sensationnalisme et de provocations faciles, c’est en quelque sorte un échange de bons procédés : des animateurs tels que Thierry Ardisson, champions du racolage télévisuel, ne s’y sont pas trompés, et ils en font un habitué de leurs plateaux. Alain Soral garantit des prestations d’une grossièreté achevée, pour la plus grande joie de l’animateur, convaincu qu’à l’ère de la « télé-réalité » et des talk-shows, la médiocrité et la beaufitude sont des valeurs sûres et les meilleures amies de l’audimat.
Dans sa volonté de choquer à tout prix, Alain Soral ratisse large : il dénonce pèle mêle les féministes, le divorce, les gays, les Verts, le CAC 40, l’inspecteur Derrick... Il dit « merde au dalaï-lama », et se dit fasciné par Ben Laden, qu’il pare d’une « une certaine grandeur d’âme »... Cela dit, c’est contre les femmes, contre les homosexuels et contre les « minorités ethniques » qu’Alain Soral concentre la plupart de ses éclats et qu’il profère les propos les plus orduriers.
Voici, en guise de conclusion, les propos que tenait Alain Soral en avril 2003, dans le magazine 20 ans :
« Quant à mes amis, je m’en découvre de partout : cocos anti-Buffet, gaullistes chrétiens, immigrés anti-rap, homos anti-gays, intellectuels juifs universalistes, militants FN cultivés, royalistes branchés et même ultra-sionistes laïques qui apprécient mon franc-parler ! J’ajouterai qu’aucun ami me dérange... » [18].
Pour notre part, certains « amis » nous dérangent : les combats que nous menons, notamment contre la politique israélienne, contre l’exclusion des élèves voilées ou contre la stigmatisation des garçons arabes, sont des combats trop légitimes et trop importants pour que nous laissions des individus comme Alain Soral les incarner - et du même coup les disqualifier.