Donc, le ministre d’Etat et de Bercy annonça son projet d’aller bientôt annoncer chez Alstom l’accord de "sauvetage" d’Alstom qu’il venait d’arracher à la Commission européenne (voir Libération d’hier). C’est au mitan de la nuit de mardi que des ondes radio nous retransmirent, de Londres, le propos de Nicolas Sarkozy. A ces heures vagues, un rien focalise l’entendement ; là, ce furent ses mots qui nous réveillèrent l’attention. Ces mots-là :
"... les hommes et les femmes d’Alstom...".
Le ministre parlait des salariés du groupe, mais, en France d’en haut, on ne dit pas "salariés". "Travailleurs", n’en parlons pas : sur le mode des syndicats promus "partenaires sociaux" (locution en laquelle on peut présumer que "sociaux" n’en a plus pour longtemps), l’us du mot "travailleurs" confine à l’obscénité. Itou du terme "employés", où le rapport actif-passif (sinon tout à fait de maître à esclave) induit semble répugner aux lèvres décideuses. Et même le substantif "personnels", pourtant d’une assez impersonnelle neutralité, ne s’ose plus guère...
Place désormais aux hommes et aux femmes, place à l’humanité, susceptible de mettre un peu de noblesse dans le labeur, sinon dans son exploitation. Aux bouches libérales (et pas seulement celle de Nicolas Sarkozy), "les hommes et les femmes d’Alstom" sonne flatteur, et beau comme dans un slogan d’EDF ("les hommes qui relient les hommes"). Il gratifie l’électeur en affectant avec ostentation un respect et une reconnaissance émus pour la valeur travail. S’il pense "marchés", il ne le dit pas. Il constitue un fleuron de l’asepsie sociale dont la correction politique est le fourrier privilégié.
L’idéal eût été que, même en faisant référence à des professionnels dont le métier est de turbiner l’acier, Nicolas Sarkozy osât inverser son énoncé pour évoquer "les femmes et les hommes d’Alstom" ; dans cet ordre-là, galamment, afin que les unes et les autres soient égaux devant l’hypothèse de 8500 licenciements annoncés.