Sur la question des « paternités imposées » comme pour celle des « hommes battus » ou des « pères lésés par la justice familiale », le même mode opératoire des masculinistes est à l’œuvre. Mettant en avant quelques récits d’hommes se présentant comme victimes de violences exercées par des femmes, ils mobilisent des experts du droit et les médias afin de construire des argumentaires à destination du grand public, jusqu’à proposer des transformations législatives importantes.
Leur stratégie consiste à faire apparaître cette question comme une injustice massive, appelant un débat de société. L’opinion publique est amenée à compatir avec quelques hommes présentés comme « abattus et dévastés » par les « terribles violences » que des « femmes manipulatrices et violentes » exerceraient sur eux, en toute « impunité légale et sociale » selon leurs termes. Alors qu’en France, il n’existe aucune étude générale sur la question, seulement quelques témoignages d’hommes. La défense de ces derniers, et de la classe des hommes en général, repose une fois de plus sur la falsification de la réalité, sur la diffusion de discours anti féministes, et vise la remise en cause directe des droits des femmes.
Émergence et actualité du discours masculiniste sur les paternités imposées
Les masculinistes en France tiennent depuis quelques années un discours offensif sur ce qu’ils appellent « les paternités imposées ». Plus précisément, si quelques « affaires » avaient attirées leur attention dès les années 2000, c’est depuis 2012/2013 que l’on constate un militantisme masculinisme plus actif en France sur le sujet. L’un de leur premier succès est d’avoir réussi à imposer ce terme et à en faire un dossier d’actualité.
Dans la rubrique « Paternités imposées » de Wikipédia, quelques articles sont référencés dès 2005 et 2007, notamment dans le journal Libération. L’article « Géniteur sous X » de Marcela Iacub expose en janvier 2005 les principaux arguments que développeront les masculinistes [3]. En 2012, un blog intitulé « paternités imposées » est créé, et le site masculiniste « La cause des hommes » diffuse des témoignages d’hommes qui utilisent le terme de « viol » pour qualifier la « paternité imposée » qu’ils auraient subie. Mais c’est surtout depuis 2013 que le nombre de références explose et on constate une diffusion du thème dans différents média : Rue 89 [4], Le point [5], Le Figaro [6]... Le livre de l’avocate Mary Plard, Paternités imposées, un sujet tabou recueille les témoignages d’hommes dits « abusés » qu’elle a défendu face à la justice. Ce livre rassemble différents portraits/témoignages, « Paul », « Georges », « John », « Moshé », « Didier », « Bertrand », rédigés dans un style dramatique, livrés sans analyse ni critique, racontés entièrement du point de vue des ces hommes.
Ce livre obtient un très large écho médiatique : articles dans tous les journaux, émissions de télé [7], de radio [8] et célébration enthousiaste dans les groupes masculinistes. Le « Groupe d’Étude sur les Sexismes » (GES) [9] publie notamment un document conséquent en douze points qui demande une transformation de la loi. En 2014, « les paternités imposées » (puisque le vocabulaire s’est imposé lui aussi) s’invitent dans les discussions sur la filiation, notamment dans le rapport d’Irène Théry « Filiation, origines et parentalité » [10] qui s’interroge sur l’opportunité de légiférer sur les « paternités imposées ».
En 2015 on assiste à la diffusion de l’idéologie masculiniste là où on ne l’attendait pas forcément : le numéro de janvier 2015 du magazine Causette, propose un dossier intitulé « un papa dans le dos », une interview de Mary Plard, et un partenariat avec le documentaire « Sois père et tais toi » réalisé par Lorène Debaisieux et diffusé le 13 janvier sur France 5 .
Négation du patriarcat et des violences faites aux femmes
Les masculinistes veulent nous convaincre que nous vivons dans une société égalitaire, c’est le mythe de l’égalité déjà-là qui nous aide à comprendre le discours sur les paternités imposées. Selon ce mythe :
« le harcèlement sexuel ça n’existe pas, le viol entre conjoints non plus. Le tout est accompagné d’une sauce « cocorico ». Dans le domaine des mœurs aussi, il existerait une « exception française » : les rapports entre les sexes seraient idylliques. Le grossier sexisme étranger laisserait la place à la fine « séduction » gauloise. » [11]
Les situations décrites par Mary Plard dans Paternités imposées illustrent parfaitement cette idée : on se situe toujours dans une « sexualité libre et mutuellement consentie » faite de « quelques étreintes agréables » et d’« aventures éphémères dans la vie de quinqua ». Pour ces hommes, il s’agit de relations fugaces, sans intérêt ; les femmes sont « à peine consommée(s), déjà oubliée(s) ». Dans ces récits il n’est jamais question du consentement des femmes, ni de leurs attentes. Eux ne se posent jamais la question de la contraception. Ils découvrent qu’une relation sexuelle peut entraîner une grossesse au moment où cette femme « consommée et déjà oubliée » les informe qu’elle est enceinte.
Ces discours masculinistes nient totalement la réalité de la domination masculine, du pouvoir des hommes et de la responsabilité qu’ils ont de leurs actes et conséquences. La réalité c’est que les hommes délèguent la responsabilité de la contraception aux femmes. La réalité c’est que ce sont les femmes qui subissent les conséquences d’une grossesse non désirée. La réalité c’est que les hommes ont le privilège d’avoir des relations sexuelles sans se soucier des conséquences. Les hommes bénéficiant de leur position de pouvoir peuvent imposer aux femmes des relations sexuelles non protégées. Lorsqu’il y a des violences masculines au sein d’un couple, les auteurs imposent déjà leur pouvoir sur le choix d’interrompre ou non une grossesse.
Symétrisation des rapports sociaux de sexe, « choc des droits » et anti-féminisme
De la symétrisation des rapports sociaux entre les classes de sexe...
Dans son entretien au magazine Causette, Mary Plard insiste sur la symétrie entre le combat féministe pour les « droits des femmes », et le combat pour les « droits des hommes », également féministe ! Elle situe son combat en faveur des hommes « victimes de paternité imposée » dans la continuité des luttes féministes pour la contraception, l’avortement et une sexualité sans domination.
« les féministes se sont battues pour que les femmes puissent avoir accès à la contraception, avoir le choix entre garder un enfant, avorter ou accoucher sous X. Leur slogan était : « Un enfant si je veux, quand je veux », pourquoi les hommes n’auraient ils pas le même droit ? »
Il s’agit alors d’inscrire le combat de ces hommes, dans la revendication plus large de « l’égalité hommes/femmes ». Cette réappropriation masculiniste de la rhétorique de l’égalité s’appuie sur l’idée qu’après 40 ans de « droits de femmes », voici venu le temps des droits des hommes, en toute réciprocité. Il s’agit donc pour les hommes de récupérer les slogans féministes.
...au « choc des droits » entre les « droits des femmes » et les « droits des hommes »
Rapidement, on constate cependant ce que Mary Plard nomme un « choc des droits », c’est à dire que les droits des femmes et les droits des hommes ne s’accordent pas toujours avec harmonie.
Causette : « Même si l’homme n’en veut pas, on ne peut demander à une femme d’avorter d’enfant qu’elle désire, non ? »
Mary Plard : « On est dans le choc de plusieurs droits, le droit d’une femme d’avoir une grossesse et celui d’un homme de ne pas vouloir de cette grossesse. »
Le glissement est rapide de la symétrisation des rapports sociaux de sexe au discours sur le « choc des droits », de la reconnaissance des « paternités imposées » à la remise en cause du droit à l’avortement. C’est aussi le thème d’une « intervention » de Frédéric Leclerc-Imhoff sur Rue 89 le 10-03-2013 intitulée « Les hommes avortent aussi ; personne ne s’en soucie ? » [12]. Instrumentalisant une enquête statistique de l’Association Nationale des Centres d’IVG et de Contraception (ANCIC) de 2011 l’auteur donne la parole à des hommes « victimes » d’une femme ayant avorté malgré leur avis. Nicolas et Andréa sont « énervés », traumatisés, « dépossédés », « mis à l’écart » de cette décision, ils souffrent et ont le sentiment d’avoir été humiliés. Ces paroles très virulentes nous invitent à compatir et construisent le « droit à l’avortement » comme une nouvelle « violence faite aux hommes ».
On passe progressivement de l’idée d’une continuité entre les luttes féministes et celle contre les paternités imposées, à la mise en accusation directe des femmes et des féministes, jugées responsables de ces « violences faites aux hommes ».
...à l’anti-féminisme affiché...
Dans la préface du livre de Mary Plard, le juge Renaud Van Ruymbeke va plus loin, et plus directement au but. Il y a selon lui une contradiction directe entre les luttes féministes et la situation des hommes que l’avocate défend. Ou pour le dire plus clairement, les féministes seraient directement responsables de la souffrance de ces hommes. Après 50 ans de luttes féministes, les femmes sont « libres » et « toutes puissantes », et les hommes « piégés » et « en détresse ». La situation actuelle est une inégalité flagrante en faveur des femmes, un véritable « matriarcat sexuel » :
« Entre l’homme et la femme, l’inégalité est flagrante, puisque, contrainte par la nature à porter l’enfant, la femme peut imposer son choix à son partenaire de manière unilatérale. Cette supériorité se manifeste tant au stade de la conception qu’à celui de la décision de garder l’enfant ou de recourir à l’avortement. » (p.13)
Les lois votées pour dépénaliser la contraception et l’avortement n’ont selon lui tenu aucun compte de la « volonté des hommes » et de la « liberté des pères ». Cette injustice met les hommes dans une position de faiblesse et d’impuissance, à la merci des « pièges » tendus par les femmes. M. le juge insiste lourdement sur les « fautes » commises par ces femmes et sur leur responsabilité.
« Il appartiendra aux tribunaux de répondre à l’épineuse question de la responsabilité de la mère, qui, seule et parfois insidieusement, a pris la décision d’avoir un enfant à l’insu de son partenaire. » (p.16)
Cette mise en accusation directe des femmes et des féministes fait écho aux analyses du Groupe d’Études sur les Sexismes, un collectif masculiniste revendiqué, qui détaille dans un dossier de 2003 [13] les manipulations exercées par les femmes, leur « égoïsme », leur « cupidité », ainsi que le rôle de « l’idéologie misandre » qui « promeut une vision négative des hommes », et garantit l’impunité aux femmes dans les cas de paternités imposées.
… et au masculinisme revendiqué.
Rien d’étonnant donc que Mary Plard reprenne à son compte les discours masculinistes les plus virulents et ancre son discours directement dans les luttes en faveur des « droits des pères ». Elle dénonce dans le cas des divorces « une pratique judiciaire favorable à la mère » [14] . Dans son histoire des progrès du droit vers plus de justice, ses héros sont bien « les associations de pères solo » et « les actions plus ou moins spectaculaires de Condition paternelle, Papasolo, SOS-Papa, etc. ». Elle soutient donc sans ambiguïté des thèses mensongères sur la prétendue discrimination des hommes face aux Juges aux Affaires Familiales [15] ainsi que des actions violentes menées contre les femmes et les enfants : enlèvement d’enfant, harcèlement, violences conjugales post séparation [16]...
La victimisation des hommes
Les masculinistes le répètent sans relâche : les féministes sont allées trop loin, les hommes sont victimes de leur avancées, y compris sur le terrain des droits à l’avortement et à la contraception. Dans Les paternités imposées, on assiste à une entreprise bien rodée de victimisation des hommes.
Tout au long du livre, les hommes sont présentés comme « perdus, déboussolés, voire effondrés devant les conséquences imprévues - pour eux - d’une aventure d’un soir ». Pour chacun de ces six hommes, l’auteure décrit le même effondrement face à leur paternité prétendument imposée : « À cet instant, sa vie bascula ».
« Pour Bertrand, c’était un cataclysme, un tsunami (…) Il voyait se rependre un nuage sombre, qui, telle une fumée toxique allait recouvrir sa famille et y détruire tout lien de confiance. »
Les termes utilisés montrent un renversement complet des rapports sociaux de sexe et des termes forgés par les féministes. Les hommes « présentés dans le livre ont le sentiment d’avoir été violés [17], trahis, humiliés, utilisés, abusés, instrumentalisés ». Ils seraient sans recours face aux femmes, la morale et la justice qui les défend.
L’exercice était pourtant périlleux tant les six hommes présentés dans le livre sont dans des positions sociales très favorisées et reconnaissent être habitués aux relations sexuelles non protégées. Georges, John et Moshé sont chefs d’entreprises. Bertrand est gradé dans l’armée. Didier est conducteur de TGV et Paul « ingénieur brillant ». Tous gagnent beaucoup d’argent. On est étonné de la complaisance avec laquelle le comportement de ces hommes-là est considéré par Mary Plard. La femme qui « impose » à George d’être père est assistante du directeur d’une de ses usines. Il est d’ailleurs décrit plus loin comme un « prédateur » de femmes. Moshé et Bertrand sont recontactés par des femmes avec qui ils ont eu une relation tarifée. Didier est décrit comme un « séducteur compulsif » et déclare avoir 3 enfants de ses nombreuses « aventures ». Pourtant, cela n’empêche pas Mary Plard et Renaud Van Ruymbeke de les plaindre et de les conforter dans un statut de victime à longueur de pages. L’avocate va même jusqu’à comparer de façon symétrique la situation d’un de ces hommes à celle d’une femme face à une grossesse non désirée :
« à vingt-cinq ans d’intervalles, les mêmes tourments, la même détresse face à une vie qui vient s’implanter dans la leur. (…) Ma jeune cliente n’avait pas pris les précautions qui s’imposaient ? Georges non plus ! Elle ne pouvait assumer l’enfant qui allait naître ? Georges non plus ! ».
Cette stratégie de victimisation des hommes sert à opérer un renversement de la responsabilité en faisant des femmes des coupables et à invisibiliser leur vécu. À aucun moment le point de vue des femmes n’est pris en compte. Cette stratégie du renversement de la responsabilité est aussi utilisée dans la bataille juridique des pères se disant « privés » de leurs enfants, et par les auteurs de violences contre les femmes pour justifier leurs actes.
L’instrumentalisation de la notion d’« intérêt de l’enfant »
L’argument de « l’intérêt de l’enfant » est au cœur de la dénonciation des « paternités imposées » [18]. L’argument consiste à faire passer les revendications des hommes et des pères pour des revendications en faveur des enfants, pour leur bien être et leurs droits fondamentaux. Cette prétendue défense des enfants a également été instrumentalisée par les militant-e-s opposé-e-s au mariage pour tout-e-s.
L’idée soutenue est que tout enfant doit bénéficier d’une autorité masculine. La fonction du père serait indispensable au bon développement de l’enfant et à son équilibre psychique. Si le père venait à manquer les enfants n’auraient pas les bons repères pour se structurer et auraient plus de chance de tomber dans la délinquance, la toxicomanie, voire de ne pas devenir assez « masculin », ou de devenir homosexuel...Cette vision des choses naturalise [19] la filiation et la cellule familiale hétérosexuelle en affirmant que chaque enfant devrait absolument être éduqué-e par un père et une mère.. C’est une vision hétérosexiste [20] de la filiation qui pathologise les enfants élevé-e-s par des couples lesbiens et qui invisibilise le fait que l’immense majorité des enfants élevé-e-s par des mères seules se portent très bien.
Cet argument, qui bénéficie d’une audience impressionnante dans le combat pour les résidences alternées par défaut, se trouve ici utilisé de façon périlleuse. En effet, les hommes qui se déclarent victimes de paternité imposée auprès de Mary Plard par exemple, ne souhaitent absolument pas assumer un rôle de père auprès de leur enfant biologique. Ils dénoncent donc l’injustice faite aux enfants de naître et de grandir sans père, tout en refusant d’assumer la responsabilité minimale de leur entretien matériel. Il serait donc dans l’intérêt de l’enfant que leur géniteur biologique puisse refuser de le reconnaître et surtout refuser de verser la moindre pension alimentaire.
En effet, c’est là le cœur de la bataille pour ces hommes : ils cherchent à tout prix un moyen de ne pas avoir à débourser d’argent pour leur enfant biologique et sa mère. Lorsqu’un test de paternité est positif, la justice demande au géniteur de verser une pension alimentaire, qui peut être rétroactive, mais qui est toujours fixée principalement en fonction des revenus du père [21]. Des pensions élevées signifient donc surtout des revenus très élevés. En cela, ces hommes « victimes de paternités imposées » et leur avocate se situent bien dans la droite ligne des mouvements masculinistes qui dès les années 50 aux Etats-Unis [22] et jusqu’à aujourd’hui s’organisent pour refuser de payer des pensions alimentaires.
Le non versement de la pension alimentaire est une des violences économiques subies par les femmes après une séparation. Après deux mois d’impayé de pension alimentaire, le délit d’abandon de famille est constitué. Le gouvernement évalue à 71 millions d’euros de PA impayées. Le collectif « Abandon de Famille » avance le chiffre de 3 milliards d’euros [23]. On peut retenir le chiffre de 40% des pensions alimentaires non versées entièrement.
La stratégie juridique des masculinistes
L’action en recherche de paternité permet à un enfant d’établir un lien de filiation avec celui qu’il pense être son géniteur. Cette procédure doit être faite devant un juge soit par la mère quand l’enfant est mineur, soit par l’enfant de sa majorité à ses 28 ans. Si le tribunal établit la filiation, la justice peut statuer sur l’exercice de l’autorité parentale, l’attribution du nom du géniteur et la contribution du géniteur à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
Les recherches en paternité ont été interdites en 1804 par le code Napoléon pour protéger les intérêts des hommes. Ce n’est qu’en 1912 que la recherche en paternité est autorisée pour venir en aide aux mères célibataires mais cette loi est très restrictive puisqu’elle ne peut s’appliquer qu’en cas de viol, d’enlèvement, de promesse de mariage, de concubinage. Depuis 2005, les actions en recherches de paternité peuvent être ouvertes sans fournir de présomption ou d’indices lourds de paternité. Les masculinistes contestent cette transformation de la loi vers plus de responsabilisation des hommes [24].
Les masculinistes revendiquent d’abord le droit de pouvoir intervenir sur la décision d’interrompre ou de poursuivre une grossesse : ils demandent un pouvoir de co-décision.
Ils demandent en outre un abaissement du délai pour engager une action en recherche de paternité : il s’agit d’une proposition de Mary Plard consistant à diminuer le délai à 2 ans pendant lequel l’action en recherche de paternité est possible pour la mère, ce qui réduirait considérablement la possibilité pour les femmes d’engager cette procédure. La création d’un statut de géniteur sous X ou de géniteur protégé : c’est une revendication partagée par Marcela Iacub et le Groupe d’Étude sur les Sexismes. Le statut de géniteur protégé permettrait aux hommes de s’opposer à une action en recherche de paternité de la mère ou de l’enfant. L’idée est aussi de créer une procédure juridique pour permettre au géniteur de renoncer à toute responsabilité envers un enfant à naître dès l’annonce de la grossesse.
L’avocate Mary Plard veut établir un statut « pré-paternel » qui fasse jurisprudence, c’est-à-dire qui reconnaisse un statut au géniteur avant la naissance de l’enfant. Ce statut lui servirait à agir sur la grossesse en fonction de son choix : imposer un avortement, avoir un droit de regard sur le suivi de grossesse, se dégager de toute responsabilité envers l’enfant à naître. Elle tente par exemple une action en justice afin qu’un de ses clients se voit reconnaître des droits sur un enfant à naître. La justice s’y oppose : le client est condamné à verser des dommages et intérêts et l’avocate reçoit un rappel à l’ordre lui signifiant que le géniteur n’a aucun moyen d’agir en justice avant la naissance de l’enfant.
Pour une autre affaire, elle essaye de faire valoir auprès du tribunal que la naissance d’un enfant représente un préjudice moral pour l’homme faisant l’objet d’une action en recherche de paternité. Or depuis 2002, le droit affirme qu’une action en recherche de paternité ne peut pas porter préjudice aux hommes.
Jusqu’à présent, toutes ces tentatives sont restées vaines. Alors, Mary Plard se pose en militante pour la reconnaissance de droits aux géniteurs, regrettant que la loi Veil n’ait prévu « aucune disposition pour le géniteur, aucun droit d’ingérence » [25]. On l’a compris, il s’agit ni plus ni moins de supprimer le droit à l’avortement.
Conclusion
Dans le dossier des « paternités imposées », la stratégie militante des groupes masculinistes trouve un écho direct dans le travail de Mary Plard et l’instrumentalisation de quelques situations d’hommes se déclarant « victimes » de violences commises par des femmes. De cette manière, l’audience du discours masculiniste s’élargit, largement relayé par les média. Quelques hommes prêts à « exposer » une partie de leur vie, des experts, des caméras et une habile mise en scène, le scénario est le même que lors de l’épisode des « papas perchés ».
Si les masculinistes adoptent parfois une façade médiatique favorable à « l’égalité », Mary Plard déclare leur lutte résolument « féministe ». Cette stratégie politique leur permet de brouiller les pistes, et de voir leurs idées amplifiées y compris dans un magazine comme Causette. Cela doit nous alerter sur l’audience du mouvement masculiniste, sa capacité à dérouter nos analyses des rapports sociaux de sexe, à infiltrer y compris les espaces et les luttes féministes et pro-féministes.