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Les retours humanitaires forcés : un nouveau concept !

Un communiqué du GISTI

par GISTI
14 novembre 2007

Une juste combinaison d’ « humanité » et de « fermeté »… c’est la formule censée, depuis que la « maîtrise des flux migratoires » est devenu l’objectif numéro un des politiques d’immigration, légitimer les recours à la force et les dénis de droit. Avec les « retours humanitaires forcés », concept décortiqué ici par le GISTI, on voit à ce quoi se réduit désormais la part d’ « humanitaire » : un chèque de 153 euros.

Le ministre de l’Immigration a bien du mal à atteindre l’objectif de
25.000 reconduites à la frontière qui lui a été fixé pour 2007... Il
s’en était justifié en août dernier en mettant en avant « la difficulté
d’expulser Roumains et Bulgares », dont les pays sont désormais membres
de l’UE, ce qui rend les procédures « plus complexes ». Il vient de
trouver une solution : des dispositifs d’aide au « retour humanitaire »,
instaurés par une circulaire de décembre 2006, ont été utilisés à
plusieurs reprises pour habiller des opérations d’expulsion de ces
nouveaux citoyens européens.*

A Bondy (93) le 26 septembre dernier, à Saint-Denis le 10 octobre,
Bagnolet le 24, et dans d’autres villes encore, la police a investi à
l’aube des terrains occupés par des Rroms, ressortissants bulgares ou
roumains selon les cas, a fait monter les habitants dans des bus
affrétés tout exprès, et leur a donné à choisir entre « la prison » ou
« l’expulsion immédiate avec l’aide au retour ». Personne n’a été
autorisé à récupérer ses affaires, ni à présenter les documents qui
auraient pu prouver qu’il remplissait toutes les conditions pour avoir
le droit de rester durablement en France. Ceux qui avaient sur eux leurs
passeports se les sont vu confisquer. Les bus ont emmené tout le monde
directement en Bulgarie ou en Roumanie, quasiment sans faire de halte.

À l’arrivée, des chèques correspondant à la fameuse « aide au retour »
ont été remis à chacun des passagers de ces bus, d’un montant de
153 euros pour les adultes et de 46 euros pour les enfants.

Les expulsions de terrains occupés parfois depuis des années par des
Rroms, de quelque nationalité qu’ils soient, ne sont pas
exceptionnelles. Dès le début de l’été, ces expulsions ont été
accompagnées de distribution en rafales d’OQTF (Obligation à quitter le
territoire français), motivées de façon plus que fantaisiste. Les
opérations de ces dernières semaines sont, elles, d’un genre tout
nouveau, où se conjuguent brutalité et mépris total du droit.

Les victimes de ces retours forcés sont en effet des citoyens européens,
et depuis janvier 2007, Bulgares et Roumains, à l’instar des
ressortissants des dix Etats devenus membres de l’UE en mai 2004,
jouissent du droit à la libre circulation en Europe.

En cas de contestation de ce droit en France, il doit leur être remis
une OQTF dûment motivée. Seulement voilà : une mesure administrative est
susceptible de recours, et la procédure qui s’ensuivrait empêcherait
d’exécuter l’expulsion du territoire ou rendrait difficile de l’exécuter
rapidement. Or il faut faire du chiffre ! Et peu importe que les
personnes chassées reviennent quelques semaines après...

Par bonheur, une circulaire de fin 2006 organise des retours
dits « humanitaires », gérés par l’ANAEM, pour les étrangers en
situation irrégulière ou de dénuement. Quelle aubaine ! Partout en
France on s’est empressé d’utiliser ce dispositif.

Certes, la circulaire détaille toute une procédure à mettre en oeuvre :
information, préparation d’un projet de réinstallation, accompagnement
personnalisé avant le départ et le cas échéant à l’arrivée dans le pays
de retour. Dans les opérations des dernières semaines, rien de tout cela
n’a été respecté : ni vérification du droit au séjour des intéressés, ni
notification d’une OQTF, ni information, ni enquête sociale... Rien,
sinon les 153 euros, gages apparemment qu’il s’agit bien de la procédure
ANAEM de retour « humanitaire ».

Nicolas Sarkozy, lors de sa récente visite en Bulgarie, a déclaré,
évoquant le sauvetage des infirmières bulgares, que tout « opprimé (...)
devient automatiquement français » !! Le paradoxe entre les larmes
versées sur les infirmières bulgares (en Bulgarie) et le traitement
réservé aux Bulgares (en France) est aussi éclatant que celui qui
associe l’idée d’aide au retour « humanitaire » avec le sordide de ces
rafles menées au petit jour, dans la précipitation, sous les menaces et
le chantage, avec destruction de tous les biens des personnes raflées...
Nouvelle figure de l’humanitaire, ces citoyens européens enfermés à bord
de bus roulant à tombeau ouvert ?...

Ce communiqué du GISTI est paru le 26 octobre 2007