Connu notamment pour son engagement en faveur du PACS, et plus largement contre toutes les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, Daniel Borrillo a constitué un groupe de travail pluridisciplinaire (constitué essentiellement de juristes et de sociologues) autour des discriminations, dont l’un des grands intérêts est qu’il croise des approches diverses et des objets divers.
Cette diversité se retrouve dans le livre collectif qu’il vient de publier, puisque sont abordées les discriminations racistes, mais aussi les discriminations qui frappent les femmes, les homosexuels et les handicapés.
Enfin, dans chacun de ces champs, ce sont des formes de discrimination également très diverses qui sont prises en compte : dans l’accès au travail, sur le lieu de travail, dans l’accès au logement, ou encore dans la vie quotidienne, sous des formes populaires.
On pourra, sur ce point, regretter que soit très peu traité un autre pan important de la discrimination, notamment raciste : la discrimination institutionnelle, et notamment la discrimination à l’école, face à la police et face à la justice.
Le livre est construit en deux temps. Dans une première partie, la plus théorique, le concept de discrimination est défini , interrogé, et confronté à d’autres concepts avec lesquels il entre en relation, soit dialectique, soit polémique : égalité, inégalité, minorité, communauté, etc. Dans cette première partie, on retiendra surtout l’analyse d’Éric Fassin sur la genèse et l’état du débat public autour de la discrimination, et sur les moyens de dépasser les alternatives paralysantes qui nous sont trop souvent imposées - par exemple entre "universalisme" et "communautarisme", ou entre "égalité" et "différence", etc... L’intérêt de son article est aussi qu’il permet d’envisager sur un mode moins passionné, voire phobique, l’hypothèse de la "discrimination positive" comme moyen de lutte contre la discrimination.
On retiendra aussi l’analyse de Danièle Lochak, qui met en évidence le lien qui existe entre la logique libérale et la discrimination raciste (ou du moins son acceptation tacite) : la "liberté contractuelle" des théories libérales est une liberté dissymétrique, le "laisser-faire" mettant les possédants en position d’abuser des dépossédés, par exemple en choisissant arbitrairement d’embaucher untel plutôt qu’un autre. En bref : la liberté des libéraux inclut "la liberté de discriminer". Par ailleurs, en plus de cette légitimation, les logiques libérales suscitent, ou du moins encouragent la discrimination : la recherche du profit pousse les entreprises à sélectionner leurs employés en fonction de leurs "profils", ou les offices HLM à écarter les candidats suspectés d’être des "mauvais payeurs".
D’une manière générale, on peut dire que, dès lors que des représentations racistes existent dans une société, le libéralisme, en laissant une marge de manœuvre exorbitante aux "décideurs", offre à ces derniers l’opportunité de traduire ces représentations racistes en actes racistes. Il en va de même lorsque des entreprises écartent certains employés du contact avec la "clientèle", en suivant ou en anticipant les réactions racistes de cette dernière. Quand "le client est roi", certains employés peuvent se retrouver "moins égaux que d’autres".
La seconde partie du livre est plus factuelle, mais non moins intéressante. Elle présente un état des lieux des politiques publiques de lutte contre les discriminations en France, au Canada et en Suède, ainsi que les textes et dispositifs émanant de la Communauté européenne. Si l’on ne peut pas ici en décrire toutes les nuances, on peut au moins signaler que la conclusion est critique : les politiques mises en œuvre sont encore loin d’être à la mesure du problème. Raison de plus pour penser et agir sur la discrimination, à l’aide notamment de ce livre précieux.