« Mais avec ces histoires de voile, de burkini, de domination de la femme... Les Arabes devraient être plus discrets. On n’avait pas ça avec les autres vagues d’immigration, avec des gens comme toi quoi
- Moi ?
- Oui les Espagnols, les Portugais, les Italiens... Enfin tu es quoi toi ?
- Moi ?
- Oui toi ?
- Moi je suis Française
- Oui mais en vrai
- En vrai ?
- Oui
- Bougnoule... Pur jus !
- Euh... Non... C’est pas ce que je voulais dire
- Mais si
- Non... Vraiment... Je parlais pas de ça. J’ai rien contre les immigrés, j’ai juste un problème avec le machisme, la burqa, le burkini, le voile...
- Je portais le voile tu sais
- Hein ???
- Oui j’ai porté le voile
- Et tu étais forcée ? C’est pour ça que tu as fini par l’enlever ? Pourquoi l’avoir porté ??
- Ça ne te concerne pas. Sache juste que je l’ai porté parce que j’en avais envie et que je l’ai retiré parce que j’en avais envie
- Oui mais tu étais la même personne ?
- Pardon ?
- Tu t’habillais comme aujourd’hui ? T’avais fait des études ?
- J’allais même à la mer...
- Mais tu portais des vêtements normaux ? »
Je n’ai pas pu aller plus loin dans la discussion. Je ne suis ni psychologue, ni assistante sociale. Si les gens sont ignorants et racistes à l’ère de YouTube et Ryanair, je n’y peux rien. Voilée ou pas, je reste une femme / issue de l’immigration / fille d’ouvrier / issue de banlieue qu’on discrimine pour un tas de raisons et dans un tas de contextes. C’est injuste mais ça ne m’empêche pas de vivre, heureusement !
L’actualité ne me choque pas. Quand j’étais voilée :
– j’ai été physiquement agressée par des inconnus dans la rue
– j’ai reçu des crachats de la part d’inconnus dans la rue
– la proviseure de mon lycée mesurait à la règle la taille du bandeau de cheveux (et non voile) que j’avais sur la tête avant de me laisser entrer dans l’établissement (avant la loi de 2004)
– j’ai été interdite de cours pendant plus d’un mois l’année du bac tout en ayant l’obligation de pointer quotidiennement au lycée (parce que je portais un bandeau pour cheveux Claire’s et non un voile, et que je ne pouvais donc pas être renvoyée pour non respect du règlement intérieur. Mais ils considéraient ça comme un "substitut de signe religieux". C’était après l’adoption de la loi de 2004)
– avec certains professeurs, du collège jusqu’à la fac, j’avais moins de la moyenne toute l’année et quand les copies étaient cachetées, j’avais plus de 16/20
– mes candidatures ont très souvent été retenues pour des concours/appels à projets, business ou scolaires, mais lors de l’étape de l’oral, de la rencontre physique, on me faisait comprendre que ce n’était finalement pas possible...
– à chaque actualité terroriste dans le monde, j’avais droit à des réflexions dans les transports en commun, à des passagers qui refusaient de retirer leur sac du dernier siège disponible et qui avaient le soutien de tous les passagers du wagon en mode "on est chez nous"
– un policier, là pour une ex-ministre avec qui j’intervenais lors d’un colloque, m’avait bousculée alors que je tentais de regagner la loge des invités parce que je cite "j’avais pas une tête à faire des interventions"
Et la liste est longue !
Aujourd’hui, sans voile, je fais face à d’autres injustices. Elles sont teintées d’exotisme, elle sont moins frontales, plus insidieuses. J’en suis venue à regretter l’époque où je pouvais gagner du temps en lisant instantanément la haine sur le visage du facho.
Bref, je ne suis plus voilée mais je suis toujours une bougnoule ! Mais comme disait un grand philosophe, qui peut me stopper ? ;-)