Tiens encore un de ces réveils moisis. Sensation qui commence à devenir familière depuis les attentats de janvier 2015. Dans ma tête, ça fuse : « C’est pas bon pour 2017, ’tain ils vont s’en prendre encore plein la gueule les musulman-e-s, et maintenant les fachos vont nous faire croire qu’ils défendent les droits des « LGBTQIA ». »
Pfff, je me jette sur les sites d’infos, je collecte, j’amasse, quelques analyses, beaucoup de rhétoriques semblables, des raccourcis, de la platitude. Et si cette fois je ne laissais pas le brouhaha m’envahir ? Et si cette fois je ne laissais pas la parole aux officiel-le-s ? Et si cette fois je me faisais entendre ?
C’est vrai ça, c’est pas comme si on les entendait tous les jours les pd militants avec une grille d’analyse féministe, solidaires de toutes les minorités en lutte contre les oppressions des dominant-e-s (entendez par là les blanc-he-s, les hommes , les cisgenres, les hétérosexuel-le-s, les valides, les riches). Ouais, ouais, je me la pète, mais au moins tu sais d’où je parle.
Les victimes…
Pas un seul gros titre de la presse du jour ne mentionne que le club visé par le tueur d’Orlando était un club homosexuel : c’est le constat amer d’un chroniqueur de France Culture ce matin. La communauté homosexuelle est visée, on préfère parler d’une attaque contre les États-Unis et de rappeler qu’il s’agit de la pire tuerie de masse que le pays a connue.
En fait, non, je t’explique, c’est pas les États-Unis qui ont été visés, c’est pas Wall Street qui a été attaquée, la Maison Blanche ne s’est pas fait prendre d’assaut, Manhattan se porte bien, non c’est une boîte de nuit gay, une boîte de nuit qui avait une réputation militante de lutte contre le VIH et qui accueillait principalement un public latino-américain. En gros, c’étaient pas des blanc-he-s, c’étaient pas des riches, c’étaient pas des hétérosexuel-le-s, c’était pas les États-Unis, non c’était des membres de communautés minoritaires et invisibilisées qui subissent racisme, homophobie et sérophobie.
Certains médias préfèrent parler de barbarie, plutôt que d’homophobie. Passer sous silence le profil des victimes ça s’appelle de l’invisibilisation et c’est une des formes pernicieuses de l’homophobie. Parce que oui, c’est plus facile d’instrumentaliser la mort d’une victime sans caractéristique que d’une trans latina séropositive, plus simple de récupérer les traces de sang anonyme que des visages d’hommes non-blancs aux sourcils épilés. Parce qu’aucun État ne partirait en guerre pour ces gens-là. Et j’ai envie de dire heureusement, heureusement que nos minorités ne peuvent pas leur être utiles au point de leur servir d’arguments belliqueux.
Le tueur...
Parallèlement, les médias nous présentent le profil du tueur idéal, l’islamiste radicalisé soldat de Daech. Voilà le type, il appelle les flics juste avant de faire sa petite tuerie du samedi soir en disant qu’il se revendique de Daech. Et par la grâce du coup de fil de dernière minute, il devient soldat de Daech. On est très loin de la cellule organisée des attentats de novembre 2015. Ça ressemble plutôt au mec qui veut labelliser son action. Attention massacre garanti 100 % islamiste radical. Les témoignages de sa femme le décrivent plutôt comme un pratiquant régulier de la salle de sport que comme un fervent croyant. Doit-on en conclure que les salles de sport endoctrinent leurs adhérents et en font des défenseurs de la virilité dominante ?
J’ai envie de dire pourquoi pas, c’est un lieu de solidarité masculine où l’on se construit un corps pour qu’il soit impossible d’y voir du féminin. Et les corps de certains hommes gay sont des corps d’hommes féminins, tout ce que la virilité dominante déteste, le mélange des genres.
Et puis les médias ont ensuite exploré la piste du profil psychologique, vous savez ce truc flou qui est censé expliquer que ce que vous êtes correspond à ce que vous faites, ou l’inverse, on sait plus tellement c’est couillon. Sa femme a raconté qu’elle a été victime de sa part de violences conjugales. Petit rappel : nous sommes dans une société patriarcale, les violences conjugales (physiques ou psychologiques) sont quotidiennes, présentes dans tous les milieux sociaux, avec une égale intensité. C’est banal, immonde mais banal. Alors ça n’explique rien.
Et puis on nous a servi le thème des enquêtes du FBI. Voilà le mec il avait déjà été interrogé par le FBI. Ben oui, manque pot il est new-yorkais d’origine afghane dans un pays qui a subi une attaque terroriste organisée depuis l’Afghanistan et qui a fait voter après les attentats du 11 septembre le Patriot Act, une sorte d’état d’urgence qui permet de te suspecter de terrorisme si tu te brosses les dents dans le mauvais sens. En plus de cela, il avait la mauvaise idée de bosser dans une boîte de sécurité. Alors franchement, ça n’explique pas grand-chose.
Hey, j’ai une idée. Son père a dit qu’il s’était récemment mis en colère en voyant deux gars s’embrasser devant sa femme, son gosse et lui. Et si le mec il était homophobe dans un pays homophobe qui permet d’acheter des armes de guerre comme des carambars ? Et si effectivement il était un peu pété du casque et si depuis 2001, tout le monde le voyait comme un terroriste parce qu’il est d’origine afghane ? Et s’il avait vu les attentats du Bataclan en se disant que franchement ça serait mieux de faire ça au Pulse ? Et s’il passait son temps entouré de gros gars à grosses couilles méga cons ? Et si ce mec s’est dit que comme il était musulman et qu’on le faisait chier à cause de ça, il allait dramatiser son acte en se faisant passer pour le bras armé de Daech ? Et si en fait on arrêtait de délirer. Le mec est homophobe. Et sa religion en serait la seule raison ?
Petit rappel : les États-Unis ont voté à l’échelle fédérale la légalisation du mariage homosexuel en juin 2015 (vous êtes en retard mes cocos d’ailleurs), depuis les conservateurs républicains ont décidé de riposter en faisant passer une loi en Caroline du Nord qui obligent les personnes transgenres à utiliser les toilettes qui correspondent au sexe de leur état civil. La campagne électorale s’est emparée de la polémique, s’en est suivi un déferlement transphobe. Les États-Unis ont connu par le passé des crimes homophobes de masse : 1973, incendie d’un bar gay à La Nouvelle Orléans, 32 morts, entre 1996 et 1998, un terroriste fait trois attentats à la bombe contre « l’idéologie homosexuelle » et la pratique de l’avortement, en 2000 un type ouvre le feu dans un bar gay de Roanoke. Et puis il y a tous les crimes moins médiatiques, toutes les insultes et appels au meurtre sur les réseaux sociaux.
Et nous…
Mais alors qu’est-ce qu’on fait si on ne peut même pas accuser Daech et montrer du doigt les autres, les ignobles, les barbares ? Ceux qui oppressent les femmes et les homosexuel-le-s ? On pourrait regarder qui sont les oppresseurs, ici chez nous, qui alimentent un discours qui défend le maintien des privilèges patriarcaux. Qui ? Ménard, Boutin et La Manif pour tous, se sont fendus d’un tweet de solidarité. Tiens, en omettant que les victimes étaient les mêmes pédales contre lesquelles ils ont déboulé dans nos rues depuis fin 2012.
Nous laissons passer tous les jours des remarques, des phrases, des regards, des implicites douteux. Nous nageons dans une eau tièdement hostile dont la température se réchauffe à mesure que nos droits sont validés législativement. Le Centre LGBT de Nantes a été attaqué. Et on a fait quoi ? Un groupuscule d’extrême droite tendait à la GayPride une banderole « LGBT Foutez nous la paix » ? Et on a fait quoi ? Un lieu de drague extérieur à Nantes a été attaqué l’été dernier par des jets d’acide ? Et on a fait quoi ? Je veux dire collectivement, avec offensive et détermination. Je veux dire avec violence.
Une partie des « mouvements LGBTQIA » restent pendus aux basques des politicien-ne-s, réclamant subventions et avancées législatives, laissant la rue aux autres, laissant la communauté sans arme, sans technique d’autodéfense verbale, physique et mentale. On attend qu’on nous protège et en attendant on se sent vulnérable. Ce n’est pas en dansant derrière des chars qu’on se sentira plus fort-e-s, ou si peu, le temps d’une marche. Et nous retournons dans l’ombre jusqu’à l’année prochaine. Zigzagant entre les flèches de l’homophobie. Et maintenant nous allons assister à quoi ? Je les entends déjà nous faire des discours sur la laïcité, sur le respect de la différence, sur la tolérance, condamnant les méchants musulmans intégristes, validant les gentils musulmans intégrés dans un élan de condescendance.
Ben non, moi je ne veux pas de ce monde là. Didier Lestrade nous met en garde sur Slate sur les dangers de l’homonationalisme, autrement dit sur la récupération de la « défense des droits des personnes LGBTQIA » dans le but de valider des discours islamophobes et racistes. Mon homosexualité n’est pas celle de Florian Philippot, mon homosexualité est une chance, une communauté, une féerie par laquelle j’entrevois toutes les possibilités de solidarisation avec d’autres minoritées, les musulman-e-s, les rrooms, les femmes, les non-valides, les migrant-e-s, les travailleuses du sexe, les non-blanc-he-s… c’est un pont qui fait que je sais que ce que c’est de n’être jamais représenté, de ne pas avoir de modèle, d’avoir des modes de vie méprisés, d’être regardé bizarrement ou insulté, de subir des agressions et de se demander s’il faut répliquer ou laisser passer, de se demander ce qu’il faut faire pour être invisible, pour être tranquille le soir dans la rue.
J’avoue, j’ai écrit ce texte parce que j’ai peur, pas parce que j’ai peur d’aller en boîte et de perdre mes espaces de sociabilité, mais parce que j’ai peur que nos espaces deviennent encore plus islamophobes, encore plus laïcards, encore plus hostiles, parce que j’ai peur que nous manquions d’intelligence.