Si n’était en cause le sort de deux lycéennes désormais privées du droit d’aller en cours, l’incrédulité le disputerait à la moquerie, et la colère à l’hilarité, en voyant deux militants révolutionnaires choisir de remplacer le combat idéologique par des mesures administratives de répression - approuvant au passage et sans réserve une décision qui n’évoque ni tenue ostentatoire, ni prosélytisme, ni discrimination sexiste, et dont la seule motivation reposant sur des faits tangibles reproche à ces lycéennes leur participation à une manifestation.
Quel paradoxe ! On ne reprendra pas ici la critique de la présentation, pourtant bien tendancieuse, des faits tels qu’ils sont relatés par Pierre-François Grond et Matthew Berrebi dans leur article (Rouge, 16 octobre 2003). Et on attribuera, pour éviter la polémique, à leur rapidité de plume, l’affirmation que les élèves en cause entendent ’défendre le port du voile’, alors que c’est seulement, et expressément, le droit de choisir en toute liberté de porter ou de ne pas porter le foulard qu’elles défendent.
Car si l’on se plait à évoquer leur " caractère militant affirmé ", l’honnêteté impose de préciser que l’un de nos auteurs a tenté d’en savoir plus, et vainement interrogé ses élèves sur un éventuel prosélytisme de la part des ’militantes’ en question. Rien de tel. Pas un mot. Espérons que les militantes et militants de la LCR sont plus loquaces lorsqu’ils s’attachent à convaincre leurs interlocuteurs qu’on peut changer le monde.
Le choix de ces jeunes femmes de cacher cheveux, oreilles et cou, est assurément regrettable - tant par ce qu’il est que par ce qu’il symbolise. On se plait à penser qu’elles y renonceront un jour. Mais que dire du choix d’un militant, professeur d’histoire et de géographie qui, renonçant à l’effort pédagogique qu’il aurait pu déployer pendant toute une année scolaire, préfère à accueillir d’un sourire de satisfaction l’exclusion définitive de son élève, trois brèves semaines après la rentrée des classes, et déclarer urbi et orbi que cette exclusion était inéluctable ? Considère-t-il qu’une fille de seize ans que l’on n’a pas convaincue en vingt minutes de conversations, espacées sur trois semaines, doit être assimilée à un cancer qu’il faut extirper pour ne pas en mourir ? Peut-on sans rougir prétendre, dans un tel délai, avoir tout essayé ? Quel temps donne-t-on à la pédagogie ? Quelle urgence absolue imposait cette violence ? Rappelons que le diktat de la communauté ’éducative’, relayée par son supérieur hiérarchique, l’inspecteur d’Académie, était que les lycéennes concernées découvrent " la racine de leurs cheveux, le lobe de leur oreille, et la naissance de leur cou ". Tel était le prix vestimentaire - quelques centimètres carrés de tissu - qu’elles devaient acquitter pour poursuivre leur scolarité. Est-ce vraiment là que vont se nicher la dignité féminine et le sort de la République ?
La médiatisation, imposée aux victimes de ce procès en sorcellerie par le choix délibéré de professeurs irresponsables d’aviser la presse est l’un des éléments qui aura conduit au succès de la Sainte Alliance d’un pouvoir chiraquien, trop heureux de caresser dans le sens du poil l’islamophobie ambiante de la société française et de diviser la gauche radicale sur des questions qui ne coûtent pas cher, et de militants interpellés par les nouveaux défis d’une société en mouvement, et peut-être plus soucieux de leurs alliances électorales (on sait le rôle essentiel des militants de Lutte Ouvrière dans le déclenchement et dans l’issue de cette affaire) que de l’intérêt concret des personnes réelles concernées par cette affaire.
Dans un tout autre contexte, le vieil Engels insistait sur le fait qu’on " ne transforme pas les gens en athées par ordre du Mufti ". Les mesures administratives et policières, la répression, ne peuvent jamais remplacer le combat idéologique - même si ce combat ne se mène assurément pas dans le seul domaine des idées, mais aussi dans celui des pratiques sociales.