La mise en place de la plateforme « Parcoursup » et de ses « critères d’orientation » par le gouvernement est présentée comme soutenue par trois arguments principaux :
• il y a trop de demandes d’inscription dans certaines filières, localement ou nationalement, qui n’ont pas les « capacités d’accueil » suffisantes et que le gouvernement nomme « en tension » ;
• du coup la plateforme précédente de préinscriptions nommée « Admission Post-Bac » (APB) aboutissait à ce que des bacheliers et bachelières ne trouvent pas de places, d’autres étant tiré·e·s au sort, procédés injustes ;
• le taux d’inscrit·e·s en première année à l’université qui ne terminent pas cette première année est très élevé (environ 50% en moyenne) et on pourrait éviter ces inscriptions « erronées » ou « inutiles », pour réduire la charge des universités et « améliorer » l’orientation initiale des étudiant·e·s.
Or, cette analyse et le dispositif « Parcoursup » font l’objet de très fortes critiques, au point qu’aujourd’hui, au moment où les demandes sont transmises aux universités qui doivent constituer des commissions d’examens des vœux pour y répondre en six semaines maximum, de nombreux universitaires, départements, UFR et même certaines universités entières, refusent de le mettre en œuvre. La plupart des syndicats du secondaire et du supérieur ont d’ailleurs appelé à prendre cette position de refus.
Pourquoi ?
1. Une analyse de départ biaisée par l’idéologie : « en tension » ou « en manque de moyens » ?
Le fait d’avoir nommé « en tension » les filières où il y a plus, beaucoup plus, de demandes d’inscriptions que de possibilités de les accueillir est significatif d’un certain positionnement. En disant « en tension » on met l’accent sur l’inadéquation entre demandes et moyens, ce qui peut se régler soit en augmentant les moyens, soit en réduisant les demandes.
En fait, au regard de la loi et de son esprit de démocratisation de la formation supérieure, avant sa modification fondamentale par la nouvelle loi nommée de façon un peu cynique « Orientation et Réussite des Étudiants » (ORE), le service public d’enseignement supérieur avait obligation d’accueillir les diplômé·e·s du bac et de fournir aux universités les moyens de les former, y compris d’accompagner leur réussite. Dès lors, l’ensemble du problème serait résolu par avance et ne se poserait même plus.
Mais l’idéologie néolibérale au pouvoir depuis plusieurs décennies a conduit les responsables politiques à ne pas donner aux universités publiques les moyens d’accueillir et d’accompagner suffisamment les étudiant·e·s, ni même, depuis la loi de 2007 dite « relative aux Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU) les moyens d’assurer ses missions de bases (enseignement et recherche) au point que nombre d’entre elles sont tombées en déficit, ont fermé des postes, des formations, des unités de recherche, etc.
La sélection à l’entrée de la licence vient compléter un système de réduction drastique de l’entrée en doctorat par instauration de quotas (depuis 2002 déjà...), puis de sélection à l’entrée en master. On voit bien le projet s’étendre à toute la formation universitaire.
2. Un projet profondément idéologique et pas uniquement technique
Le fond du problème revenait donc (et reste de toute façon) un manque drastique de moyens, qui est la concrétisation d’une idéologie qu’on appelle communément « néolibérale » et qui consiste à détruire la société comme système de relations humaines et sociales de solidarité et de justice pour revenir en arrière, vers un état de jungle, où seule une compétition généralisée détermine qui est dominant et qui est dominé, qui réussit et qui est détruit.
Avec en plus un point de départ faussé car les prédateurs ont déjà installé leur domination, leur captation des moyens économiques, politiques, éducatifs (précisément). Ils se sont préalablement assurés de vaincre (sauf quelques exceptions alibis) dans une société-jungle sur laquelle ils imposent déjà leur contrôle, y compris par les forces de leur ordre pour empêcher la contestation, voire le renversement, de leur domination.
Il ne faut pas se leurrer : la loi ORE et « Parcoursup » sont un élément d’un projet politique global que l’on voit déployer dans tous les domaines de ce qui est de moins en moins une société humaine. Mais c’est une stratégie commode et devenue courante de faire passer un dispositif politique sous un dispositif présenté comme technique. D’ailleurs, c’est sur l’aspect superficiel dit « technique » du dispositif que se concentrent les arguments et les pseudo-interrogations de ses partisan·e·s, à propos de « Parcoursup ». On se demande « comment on va le faire (bien) fonctionner » et pas, fondamentalement « si et pourquoi on va le faire fonctionner ou non ». Dans l’univers pyramidal et autoritaire qu’est devenu la société française, on n’est pas censé dire « non », mais seulement « oui » ou « oui si » aux grands chefs cravatés.
Sauf que les universités sont autonomes et les universitaires statutairement indépendant·e·s... (mais le projet de les remplacer par des contractuel·le·s hors statut se développe depuis la LRU....). Sous APB, c’est le rectorat, donc le ministère de l’éducation, qui assumait une sélection moins sévère que sous « Parcoursup » et qui ne disait pas son nom. Aujourd’hui le gouvernement veut imposer aux universités et donc aux universitaires d’y collaborer.
Mais voilà, soutenus par la quasi totalité des syndicats, beaucoup d’universitaires dont je suis (et d’enseignant·e·s du secondaire) refusent d’être des collabos d’un projet politique avec lequel ils et elles sont en désaccord absolu, parce qu’il est contraire à leurs missions, à leur déontologie, à leur intégrité intellectuelle (voir la question des critères ci-dessous). Et nous en avons le droit y compris sur le plan légal.
Deuxième partie : une réforme injuste.