Accueil > Études de cas > Libéralisme et néo-libéralisme > Parcoursup va-t-il imploser ?

Parcoursup va-t-il imploser ?

Troisième partie : une réforme infaisable.

par Philippe Blanchet
13 avril 2018

La plateforme « Parcoursup » d’admission à l’Université fait l’objet de fortes critiques. Au moment où les demandes sont transmises aux universités pour réponse sous 6 semaines, de nombreux universitaires, départements, UFR et même universités entières refusent de le mettre en œuvre, soutenus par la plupart des syndicats du secondaire et du supérieur. Pourquoi ? Et si « Parcoursup » implosait ?

Deuxième partie : Parcoursup, une réforme injuste.

5. Orientation ou divination ? Entre algorithme absurde et boule de cristal

A l’examen, on s’aperçoit très vite de l’arbitraire et même de l’absurdité du dispositif, de ses critères et de sa mise en œuvre.

Comme il est matériellement totalement impossible de traiter ces milliers de dossiers de façon précise dans les universités, le ministère de l’enseignement supérieur a élaboré un « outil d’aide à la décision » qui est un algorithme informatique. Si l’on estime à dix minutes l’examen de chaque dossier, ce qui est très peu et même bâclé, il faudrait par exemple dans mon département, environ 400h pour les 2400 dossiers transmis (pour 400 places), soit une semaine complète à plein temps pour dix personnes déjà épuisées (nous sommes 16 titulaires en tout et nous avons déjà 1300 étudiant·e·s cette année) qui doivent exactement sur la même période assurer les cours puis les examens et corriger les copies, dossiers et mémoires, recevoir les étudiant·e·s, tenir des jurys, faire fonctionner leur département et leur unité de recherche, participer aux commissions de recrutement des enseignant·e·s—chercheur·e·s, assurer leur mission de recherche, dormir quelques heures par jour, etc..., le tout avec un manque crucial de personnels administratifs et de moyens financiers et techniques (vieux ordinateurs souvent personnels, wifi saturé, mobilier non ergonomique, vu la pauvreté de nos universités...).

Du coup, l’algorithme va « mouliner » les notes scolaires, des équivalents chiffrés des avis donnés par le lycée, et on l’envisage même de la lettre de motivation ramenée à un chiffre identique pour tous les dossiers (puisqu’évidemment son contenu qualitatif ne peut pas être mis en chiffres) et donc, au final, non prise en compte. Il en va de même pour le CV s’il est demandé. Et chaque commission de chaque département de chaque université peut paramétrer l’algorithme à sa guise, modifier les coefficients, annuler un ou plusieurs critères. L’examen des vœux sera donc vidé du peu de sens qu’il aurait pu avoir. Il sera injuste, inégal, inique, absurde.

Et ceci d’autant plus que les informations données sont peu fiables, inégalitaires et confinent à la divination. Jusqu’ici, les résultats étaient ceux du bac, qui valident une formation déjà reçue. Désormais, les résultats du bac seront inconnus, ce qui, soit dit en passant, conduira ensuite à ce que des personnes acceptées n’aient pas leur bac (donc ne pourront pas s’inscrire) et d’autres refusées l’obtiennent y compris brillamment (ce qui leur donnera une priorité d’admission a posteriori, autre inégalité). On sait que le CV et la lettre de motivation peuvent être rédigés par les parents ou des proches, et contenir davantage d’éléments favorables hors scolarité, dans les familles à plus fort capital culturel que d’autres.

Il s’agira surtout d’une estimation a priori de la « cohérence du vœu avec le projet de formation » et sur la « capacité à réussir » sur la « fiche avenir ». Le problème, gravissime, c’est que personne n’est en mesure de déterminer de façon fiable ce que sera l’avenir... Il n’y a pas de prédictibilité rationnelle de la réussite éducative.

On sait très bien que des lycéen·ne·s aux résultats scolaires médiocres se sont révélé·e·s en découvrant les disciplines et les contenus de l’enseignement supérieur. J’en ai parmi mes brillant·e·s collègues qui n’auraient pas franchi la barrière de « Parcoursup ». On sait tout aussi bien que de bons élèves du secondaires se sont retrouvé·e·s perdu·e·s face aux modalités non scolaires de travail et la méthode du doute scientifique à l’université. La seule chose dont on soit certain, hélas, c’est que tendanciellement les enfants de pauvres, de milieux populaires et d’immigrés sont mis en échec et souvent discriminés par le système éducatif français : va-t-on s’appuyer sur cette terrible tendance sociologique pour prévoir leur échec et les trier individuellement pour favoriser les enfants des milieux aisés de « bonnes familles françaises » ? Qui peut assumer de faire le pari de refuser quelqu’un·e qui aurait peut-être trouvé sa voie à l’université ? De refuser de donner une chance à quelqu’un·e qui le souhaite ?

Et ceci d’autant plus que beaucoup de disciplines universitaires n’existent pas ou sous des formes très différentes dans le secondaire, sont inconnues des collègues du secondaire, qui disent ne pas savoir évaluer une « cohérence du projet » ni une « capacité de réussite » vers ces disciplines. Cela revient à lire dans une boule de cristal. Bref, c’est une loterie, un tirage au sort : on en prendrait 400 dont on a aucune assurance qu’ils et elles réussiront mieux que les 2000 autres qu’on n’aurait pas pris. On voit bien pourquoi la question technique (« comment faire ? » rejoint forcément la question politique (quoi faire ?) au croisement de la déontologie des enseignant·e·s.

6. « Parcoursup » va-t-il imploser ?

Construit dans une grande précipitation, sans consultation, sans temps de discussion ni même d’expérimentation, fondé sur une analyse erronée et des critères inadaptés, biaisé par l’idéologie et l’arrogance, mis en place avant même que la loi l’y autorise, matériellement inutilisable et déontologiquement inacceptable, le dispositif « Parcoursup » va se retrouver confronté, et avec lui ses décideurs et décideuses, à son blocage dans les universités, où l’on refuse massivement d’y collaborer, à des recours très nombreux devant les tribunaux administratifs (voire au pénal pour discrimination).

La règlementation prévoit que : « si les candidats en font la demande, l’établissement dispensant une formation de 1er cycle devra leur communiquer les informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que les motifs pédagogiques qui ont justifié la décision prise ». Que va-t-on leur répondre ? Que c’est un algorithme neutralisant le contenu de leur dossier qui a décidé et qu’une commission fantoche a signé le PV ? Que les enseignant·e·s n’ont pas eu le temps d’étudier les dossiers et qu’on a tiré au sort ?

Il va conduire à une rentrée chaotique en septembre prochain (qui pourra s’inscrire en première année, où et comment ?). Les départements qui refusent « Parcoursup » ont été menacés de fermeture de leur 1ère année à la rentrée prochaine, faute d’admissions / inscriptions. Comment pourrait-on fermer par exemple dans mon université, les licences de psychologie ou de communication qui attirent des milliers de demandes, qui sont parmi les trois ou quatre plus importantes en effectifs, dont il n’y a pas d’équivalent dans tout le grand ouest (communication), sans s’exposer à une crise majeure à haut risque pour le gouvernement ?

Beaucoup d’universitaires et d’étudiant·e·s, de collègues du secondaires et de lycéen·ne·s, le disent depuis le début de ce projet, en décembre dernier. On aura eu tort de ne pas les écouter. Ils et elles sont pourtant les mieux placé·e·s pour envisager la question.

Il est difficile (là aussi !) de prédire ce qui va se passer. Le gouvernement peut refuser de voir qu’on va dans le mur parce qu’il tient à son projet sur le fond et que l’idéologie aveugle. D’autres éléments portent d’ailleurs à penser qu’il veut continuer à détruire l’université comme service public ouvert avec l’ensemble des services publics. Il peut s’obstiner à vouloir détruire par tous les côtés l’ensemble d’un projet de société humaine et sociale, juste et solidaire, où l’éducation est offerte à toutes et à tous jusqu’au plus haut niveau, projet déjà bien mis à mal par les gouvernements précédents.

Mais il peut aussi entendre les objections, faire valider toutes les demandes d’inscriptions de cette année, laisser les jeunes choisir, ajuster les moyens aux besoins à la rentrée, et reporter au moins d’un an l’élaboration d’un autre système d’inscription, plus juste et plus fonctionnel, acceptable pour tous et toutes, dans des universités correctement dotées des moyens de bien accompagner le plus grand monde possible vers la réussite.

7. Une fiche d’avenir à remplir ?

Le mouvement de protestation et de refus est en plein développement. On voir mal comment d’ici au 18 mai un changement complet de position pourrait intervenir. Dans tous les cas, l’avenir de « Parcoursup » est plus qu’incertain.

Et si pour l’instant on remplissait la « fiche avenir » du candidat nommé Parcoursup : « Avis défavorable, capacité à réussir très incertaine, projet incohérent » ? Ni « oui » , ni « oui si ». Vœu refusé. Il faut aussi savoir dire « NON », ça dépend à qui, à quoi et pourquoi.

P.-S.

Ce texte a été initialement publié sur le blog Médiapart de Philippe Blanchet. Nous le reproduisons avec son amicale autorisation.