Cinq ans plus tard, annonçant qu’ils ont « atteint les limites de l’abnégation », les zozos lancent un appel : « L’abonnement ou l’abandon ». Ils réclament deux mille nouveaux abonnés d’ici novembre. C’est peu dire qu’ils les méritent. Soyons très clairs : qu’ils doivent porter à bout de bras un journal de cette qualité, ce n’est pas normal. Ça ne peut tenir qu’à un défaut de publicité — raison pour laquelle on se permet ces modestes signaux de fumée périphériques.
CQFD doit continuer parce que c’est un vrai journal, bien pensé, bien écrit, et qui n’oublie pas de perpétuer une tradition de la presse un peu tombée en désuétude, mais qui ne manque pas de charme : l’information. Parce qu’il y a un moment où la chronique ou la satire ne suffisent plus si par ailleurs on ne se soucie pas aussi d’élargir le champ, de disputer aux médias leur compte rendu du monde, au lieu de simplement le commenter — ce qui revient à les laisser fixer seuls le cadre du débat. C’est ce que fait CQFD, qui plus est à partir du prisme marseillais, ce qui change agréablement de l’actualité parisiano-centrée.
Evidemment, ce que le journal montre de la réalité française et, parfois, internationale, est rarement joyeux et rassurant : on défie quiconque, par exemple, de ne pas sortir le ventre noué de la rencontre, ce mois-ci, avec l’épouse française d’un sans-papiers turc expulsé. Mais, en même temps, il se mêle à l’accablement procuré par leurs informations le soulagement de les voir imprimées noir sur blanc, de voir exposé l’envers du décor.
Que ceux qui trouveraient CQFD déprimant se plantent devant Carla Bruni chez Drucker, ou qu’ils prêtent l’oreille aux anecdotes censément divertissantes dont sont désormais truffés les programmes d’information de France-Inter, et on en reparlera.
D’autant que le journal est loin de laisser aux « grands médias » le monopole de la réflexion sur le bonheur, dont il se fait une idée nettement moins indigente et plus stimulante. L’utopie, l’agitation d’idées, l’expérimentation sociale y occupent une place non négligeable. C’est dans CQFD qu’on a pu lire le « Manifeste des chômeurs heureux », venu d’Allemagne (le texte a été publié en livre aux éditions Le Chien Rouge, mais il est malheureusement épuisé).
En matière de « chômage heureux », l’équipe sait de quoi elle parle, et constitue à cet égard ce que certains appelleraient une « avant-garde de situation » passionnante (même si elle doit être un peu sportive à vivre...). L’ensemble, loin des coteries et des calculs partisans, donne une mise à plat des questions de société — les vraies, pas les hochets qu’agitent les éditorialistes — introuvable ailleurs, un mélange rageur et tonique dont on n’a aucune envie de devoir se sevrer.
N’ayez pas peur du chien rouge, ce n’est pas pour vous qu’il montre les crocs. Si vous vous y prenez convenablement, avec un peu de chance, peut-être même qu’il vous laissera lui gratter le ventre.