Les sondages sur les intentions de vote donnent un aperçu, une évaluation, avec une marge d’erreur dont on sait qu’elle peut être importante. A fortiori quand de plus en plus d’électeurs se déterminent au dernier moment en fonction des derniers sondages, bien souvent dans le but précis, pour une raison ou une autre, de les « faire mentir ».
Par exemple, dans le cas présent, nombre d’électeurs de gauche écoeurés par Macron et effrayés par une présidence Le Pen se réjouissent des sondages indiquant un écart qui se creuse en faveur du président sortant en se disant, en substance : « C’est bon, le salopard a déjà gagné, il se passera de ma voix. »
Cette position est même théorisée et promue collectivement sur les réseaux sociaux : « Je ferai barrage si et seulement si l’écart est faible », et elle peut donc s’avérer massive – et fatale.
Bref : il n’y a pas de contradiction à dire « Prenez au sérieux les sondages qui donnent un écart réduit » et « Ne vous fiez pas trop à ceux qui donnent une large victoire au sortant », puisque :
– le premier énoncé (« Prenez au sérieux les sondages inquiétants ») signifie « Peut-être qu’ils tombent juste, peut-être pas », ou encore « Peut-être que ça va s’arranger, peut-être pas », bref : « Peut-être qu’elle passe, peut-être pas », bref : « Il y a un risque que Le Pen passe » ;
– le second énoncé (« Ne croyez pas trop les sondages rassurants ») signifie « Peut-être qu’ils disent vrai, peut-être qu’ils se trompent », ou du moins : « Peut-être que c’est bien le dernier mot du rapport de forces, peut-être que cela va s’inverser », bref : là encore, il y a le risque que Le Pen passe.
En somme, que les sondages se rapprochent de 50-50 ou de 55-45, nous vivons une période trouble où l’électorat bouge vite et où les sondages ont fait la preuve de leur fragilité, pas plus tard qu’au premier tour. À titre indicatif, les 5% gagnés par Mélenchon entre ses derniers sondages, quelques jours avant le premier tour (17%) et son score le jour du scrutin (22%) représentaient un saut de +29%. Si la même marge d’erreur – ou la même progression – se reproduisait sur le vote Le Pen à partir des 47% que lui donnent les derniers sondages, on aboutirait à un résultat final de :
47 + (47 x 29/100) = 47 + 13,6 = 60,6%.
La possibilité d’une telle progression est tout à fait envisageable pour Le Pen, ne serait-ce que par le relâchement du vote barrage qu’on a évoqué plus haut, dans un électorat de gauche détestant (à bon droit) Macron et estimant (bien à tort) sa réélection acquise, justement en voyant un écart se creuser jusqu’à ces derniers jours.
Il suffirait en fait d’une progression quatre fois moindre, de simplement 7%, pour que Marine Le Pen emporte le second tour :
47 + (47 x 7/100) = 47 + 3,29 = 50,29%.
Et même d’après le sondage le plus favorable de ce jour (43,5% pour Le Pen, 22 avril 2022), un écart de 15% suffirait :
43,5 + (43,5x15/100) = 43,5 + 6,52 = 50,02%.
Quoi qu’il en soit, si l’on est persuadé de la différence de nature entre l’ultra-libéralisme autoritaire d’un Macron et le fascisme d’une Le Pen (tout aussi anti-social, et par ailleurs autrement plus liberticide, raciste et xénophobe), on ne joue pas aux paris sportifs dans cette fourchette de dix pour cent.