Le Gisti estime que les « concessions » du gouvernement face à la mobilisation médiatique de l’équipe du film « Indigènes » sont très insatisfaisantes et ne résolvent que très partiellement le problème posé par les lois de « cristallisation ». Voici un rappel des faits par Serge Slama.
I. Rappel des procédures antérieures : un vieux contentieux toujours esquivé par l’Etat français
D’abord, à titre liminaire, il faut rappeler que le problème n’est pas nouveau : dès les années 1980, des anciens combattants des ex-colonies ont entrepris des procédures juridiques contre la France.
Cela a abouti en 1989, à l’initiative de tirailleurs sénégalais, à la condamnation de la France par le Comité des droits de l’homme des Nations-unies pour violation du principe d’égalité devant la loi (garanti par un pacte des nations unies de 1966, appliquant la Déclaration universelle des droits de l’homme).
Ensuite, après de nombreuses années de procédure, M. Diop (un ancien gendarme auxiliaire sénégalais) a obtenu en 2001 (à titre posthume, car il est décédé en 1996) la condamnation des lois de cristallisation pour violation du principe de non-discrimination figurant dans la Convention
européenne des droits de l’homme (juge de Strasbourg).
Malgré cette condamnation par le Conseil d’Etat, les gouvernements ont ensuite tout fait pour procéder à une revalorisation a minima : la loi de finances en 2002 n’a procédé qu’à la décristallisation partielle des pensions (en fonction du critère de la parité des pouvoirs d’achat et du lieu de liquidation de la pension).
Des décrets de 2003 sont venus aggraver ces inégalités. Saisi par le Gisti, le Conseil d’Etat a estimé que l’Etat disposait d’une « marge d’appréciation » pour discriminer et a confirmé ces textes (arrêt du 18 juillet 2006).
Pourtant la France a été condamnée par la Cour de justice des communautés européennes (juge de Luxembourg) en 2006 pour avoir refusé de verser une pension d’invalidité à un ancien combattant marocain, souffrant d’une invalidité. La décision violait le principe d’égalité de traitement
figurant dans des accords d’association entre l’Union européenne et le Maghreb.
On peut aussi penser que la France serait condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (A. Echouikh, 13 juin 2006, juge de Strasbourg).
II. Les arnaques actuelles dans les annonces de Jacques Chirac et H. Mekachera
Aussi bien dans son entretien du 14 juillet que dans les annonces faites à l’équipe du film à l’Elysée par J. Chirac que les entretiens de Hamlaoui Mekachera (secrétaire d’État aux anciens combattants) à France Info ou au JDD, il n’est pas garanti une pleine égalité des droits.
Pourquoi ?
1°) il s’agit uniquement, selon les propos de Mekachera, de « tendre à une égalité » ou de « tendre vers la parité nominale » Exactement comme après l’arrêt Diop en 2001, il ne s’agit donc toujours pas d’assurer une égalité pleine et entière entre les anciens combattants français et étrangers mais uniquement à une revalorisation tendancielle des pensions, qui pourraient se rapprocher des pensions françaises (on ignore
jusqu’à quel point).
Pour assurer une égalité pleine et entière il faudrait purement et simplement abroger les lois de cristallisation. Cela n’a jamais été fait. En 2002, la loi est venue simplement compléter l’application de ces lois en fixant le critère de résidence (selon le lieu
où sont ouverts les droits) et de "parité des pouvoirs d’achat" (niveau de vie)
LA SEULE REVENDICATION VIABLE EST DONC L’ABROGATION DES LOIS DE
CRISTALLISATION.
2°) l’annonce concerne UNIQUEMENT la retraite du combattant (soit environ 500 euros PAR AN !!!) et les pensions militaires d’invalidité (c’est-à-dire celles versées lorsqu’un ancien combattant a été blessé au combat ou a subi une indemnité lié à son service actif).
Le secrétaire d’Etat les appelle les « pensions du sang ».
C’est très insatisfaisant car les lois de cristallisations touchent toutes les pensions CIVILES et MILITAIRES versées aux anciens fonctionnaires.
Le problème principal est pour les pensions de retraite (acquises après 15 ans de service pour la France) et les pensions de réversion (versées aux veufs ou veuves d’un fonctionnaire décédé ou à leurs enfants).
C’est une situation courante. Imaginons que un cousin marocain de Jamel épouse une fonctionnaire française (par. ex. une institutrice ou un personnel d’ambassade). Si par malheur elle venait à décéder, le mari marocain ou leurs enfants subiraient la cristallisation de leurs pensions
de réversion !!!
Quantitativement il y a bien plus de pensions de retraite ou de pension de réversion versées que de retraite du combattants ou des pensions d’invalidité
CE SONT DONC DES DEMI-MESURES, DES BRICOLAGES A MINIMA qui ne résolveront pas la situation d’un grand nombre d’anciens fonctionnaires des ex-colonies.
Il faut d’ailleurs cesser de faire référence au « prix du sang » ou aux seuls anciens combattants. L’injustice de la cristallisation des pensions touche beaucoup d’étrangers. Elle frappe toutes les personnes qui ont à un
moment donné servi l’Etat français et ont ensuite conservé la nationalité du pays devenu indépendant. Pas seulement les anciens combattants. Les Harki et Moghzanis et autres supplétifs de l’armée française étrangers sont aussi frappées par des mesures discriminatoires.
Il faut aussi avoir à l’esprit que les mesures portent toujours sur des sommes dérisoires.
3°) En aucun cas, ces pensions peuvent déséquilibrer les économies locales alors qu’elles ne dépassent pas le RMI ou le SMIC selon les cas.
D’ailleurs, on donne bien une prime d’expatriation et un salaire à taux plein aux Français qui vont travailler pour l’Etat français dans des pays africains. Ca ne semble pas déséquilibrer les économies locales plus que ça.
4°) Plus globalement, la politique menée par les gouvernements révèlent un rapport honteux de la France à l’égard des vieux immigrés.
On peut faire le lien avec les « Chibanis », ces vieux maghrébins du centre ville de Marseille qui vivent dans des hôtels meublés et à qui les services fiscaux refusent la délivrance des avis de non-imposition pour les priver «
d’avantages sociaux indus ».On veut les virer du centre ville de Marseille et les empêcher de rentrer 6 mois par an au « bled » tout en touchant leurs retraites et minima sociaux.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a d’ailleurs, en juillet 2006, reconnu cette discrimination et saisi le Parquet de Marseille.La HALDE est d’ailleurs saisie depuis novembre 2005 de la question des pensions des anciens combattants.
Communiqué du 25 septembre 2006. Voir le site du GISTI