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Pour Ilham Moussaïd

Et pour une décolonisation de l’identité nationale, de l’identité féministe et de l’identité de la gauche

par Anne Souyris, Caroline Mécary, Emmanuelle Cosse, Karima Delli, Véronique Dubarry
5 mars 2010

Le texte qui suit a été écrit en février dernier alors que débutait, dans un contexte de campagne électorale et de débat nauséabond sur l’identité nationale, la grotesque et détestable « affaire Ilham Moussaïd ».

Nous pensions que le « grand débat » sur l’identité nationale allait s’achever après les déclarations du premier ministre, en clôture du séminaire gouvernemental, lundi 8 février. Cela ressemblait en effet à un enterrement. Nous étions soulagées et espérions ne plus entendre ce flot de dérapages verbaux auquel nous avions assisté, qui n’était au fond que l’explicitation d’une logique xénophobe au sommet de l’Etat à l’approche des élections régionales.

Nous avons été bien naïves. En fait, ce débat a échappé aux apprentis sorciers gouvernementaux : il a ouvert la porte à la manifestation d’un inconscient colonial, qui mêle peurs de toutes sortes et racisme latent. La France a changé, et le visage qu’elle dévoile déplaît et heurte, notamment ceux qui nous dirigent.

C’est ainsi que nous interprétons les attaques dont est victime Ilham Moussaid, jeune femme, étudiante et militante du groupe local d’Avignon du Nouveau Parti anticapitaliste [NPA], dont elle assure par ailleurs la trésorerie. De nombreux responsables politiques, de droite ou de gauche, y sont allés de leur condamnation, certains y voyant même un coup électoral, alors même que le débat sur l’identité nationale n’a eu de cesse de stigmatiser l’islam et sa pratique et de désigner les Français musulmans comme étrangers au corps national. Il y a mieux comme calcul électoraliste.

Contre Ilham Moussaid, l’argument est rodé, imparable et toujours le même : tout le monde sait mieux que celle qui le porte ce que dit le foulard. En l’occurrence, tout le monde fait dire au foulard ce qu’Ilham Moussaid ne dit pas. Ce que dit cette jeune femme ne semble guère intéresser d’ailleurs tous ceux qui la condamnent. En fait, ses mots n’ont pas le droit de cité. Elle est accusée de vouloir dire ce qu’elle récuse.

Nous ne nous voterons pas NPA aux prochaines élections régionales, mais nous tenons à affirmer notre soutien à Ilham Moussaid. Nous avons lu ses déclarations et ne mettons pas en doute son engagement féministe.
Devant la violence des attaques, nous estimons que le NPA a raison d’assumer d’avoir ouvert sa liste à cette militante.

Nos considérons que l’on peut être à la fois croyante et laïque et que l’on peut s’appeler Ilham Moussaid et être une militante anticapitaliste et féministe. Nous affirmons qu’elle a, comme nous, le droit de se présenter au suffrage des électeurs et n’avons pas de raison particulière d’exiger qu’elle montre patte blanche pour être candidate. Que les choses soient claires : nous nous réjouissons que cette jeune citoyenne ait choisi l’engagement politique dans un pays où nous y sommes toujours sous-représentées.

P.-S.

Karima Delli est deputée européenne (Europe Ecologie-Les Verts) ; Véronique Dubarry, est adjointe au maire de Paris (Les Verts) ; Anne Souyris est membre de la direction des Verts et conseillère régionale d’Ile-de-France ; Emmanuelle Cosse est journaliste et Caroline Mécary est avocate. Les trois dernières sont candidates Europe Ecologie en Ile-de-France.

Cet article est paru dans Le Monde du 19 février 2010. Nous le reproduisons avec l’autorisation des auteures. Le sous-titre est rajouté par le Collectif Les mots sont importants.