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« Pour m’élire premier ministre »

Retour sur une provocation lourde de sens et de conséquences

par Pierre Tevanian
22 avril 2022

Une dynamique populaire, un élan massif, une espérance à gauche, comment ne pas être pour ? Mais une telle dynamique peut-elle exister sans un message simple, clair, lisible, sur les valeurs ? Peut-elle exister quand on ménage la chèvre et le chou, en invoquant une stratégie de billard à cinq bandes que seuls pourrait décrypter un petit nombre d’initiés ? Et quand en plus ladite stratégie ésotérique revient à brouiller les frontières, piétiner les tabous les plus fondamentaux et banaliser l’extrême droite lepéniste comme jamais un leader de gauche ne l’avait fait jusqu’ici ? C’est cette question que posent les lignes qui suivent, après les sidérants propos tenus par Jean-Luc Mélenchonsur BFMTV, mardi 19 avril 2022, concernant sa possible cohabitation, à Matignon, avec une présidente fasciste.

Quand le candidat qui connait (et dénonce) le mieux le pouvoir exorbitant que notre constitution donne au président de la république, qui en a même fait un important thème de campagne, explique qu’il pourrait être le premier ministre d’une présidente fasciste et ainsi mener sa politique progressiste à lui, et éviter celle de la fasciste, on doit se dire quoi ?

Qu’il prend les gens pour quoi ?

Quand il explique que, dans ce régime présidentiel qu’il connait si bien et qu’il a si souvent disséqué depuis tant d’années, sa puissance de premier ministre rendrait « secondaire » (ce sont ses mots) la question de savoir s’il est premier ministre d’un président Macron ou d’une présidente Le Pen, quand il laisse ses lieutenants et lieutenantes déclarer que cette place à Matignon est « la seule question importante » [1], à quatre jours d’une possible accession des fascistes à l’Élysée, on doit se dire qu’il nous prend pour quoi ?

Et plus particulièrement qu’il prend pour quoi les centaines de milliers – voire les millions – de personnes qui comme moi ont voté pour lui au premier tour essentiellement pour faire barrage au fascisme et à la fascisation ?

Lorsqu’à cinq jours d’un second tour de tous les dangers, ce candidat, fort de ce poids de 22% que tant de citoyen.ne.s antifascistes ont contribué à lui donner, appelle solennellement et explicitement à un vote de « troisième tour » (entendre : aux élections législatives) qui doit « donner une majorité à l’Union Populaire », cela (ce sont ses mots, toujours) « pour m’élire premier ministre », mais refuse d’appeler solenellement et explicitement à un vote permettant de battre la fasciste au second tour, un second tour qu’il sait pourtant bien plus décisif que le « troisième » (précisément parce qu’il sait le caractère présidentiel du régime et a fait campagne dessus), on doit se dire qu’il nous prend pour quoi ?

Ce ne sont pas des questions rhétoriques, je suis vraiment perplexe. Une seule certitude : on verra plus tard pour ce « troisième tour » qui obnubile nos hommes pressés – au-delà de toute décence commune – mais il faudra sérieusement revenir sur cet épisode, et sur ces mots. Et singulièrement sur ce mot : « secondaire ».

L’urgence, toutefois, aujourd’hui, c’est le second tour. C’est ni plus ni moins que le fascisme qui est là, face à nous, à écarter. Avec le bulletin Macron, sans illusion mais sans hésitation – on sait pourquoi on le fait.

Notes

[1Voir le tweet reproduit en ouverture de cet article