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Pour une solidarité avec les émeutiers

Ne laissons pas punir les pauvres

par François Athané
27 octobre 2012

On commémore ici ou là – et notamment cet après-midi à Saint Denis – le septième anniversaire des révoltes de novembre 2005. Sans surprise, l’approche dominante dans les médias dominants est, comme au premier jour, au mieux misérabiliste (souvenons-nous, en ce jour d’anniversaire, que ces pauvres banlieusards sont toujours aussi pauvres) et au pire étroitement sécuritaire (dites-nous, messieurs les experts, si risque il y a, ou pas, que ça re-pète !). Ce qui, une fois encore, passe au douzième plan, voire aux oubliettes, c’est d’une part la mémoire de Bouna Traoré et Zied Benna, morts à 15 et 17 ans pour avoir simplement croisé le chemin des forces de police, et d’autre part la dimension politique de l’émeute qui a suivi leur mort, à Clichy-sous-Bois puis dans tout le pays. Il nous a donc paru utile de republier un important texte de François Athané, écrit en novembre 2005 mais hélas toujours actuel en 2012 – plus que jamais pourrait-on même dire, après le lynchage judiciaire des cinq de Villiers-le-Bel en juillet 2010, ou plus récemment les odieuses injures adressées cet été par Jean-Luc Mélenchon aux émeutiers d’Amiens. Il revient sur la dimension politique des émeutes, et interpelle par là-même les organisations de la gauche et du mouvement social sur leurs responsabilités.

Pourquoi les illégalismes commis par de multiples mouvements sociaux nous paraissent ne pas devoir faire l’objet de poursuites judiciaires, alors que ceux commis par les prétendus « émeutiers » ne reçoivent, pour le moment, presque aucun soutien de ce genre ? Les luttes sociales comportent toujours, en leur sein, une lutte pour dire quelles sont les formes légitimes de la lutte. Sur ce plan, nous – acteurs des mouvements progressistes, militants associatifs, syndicaux et des partis politiques de gauche – avons perdu beaucoup de terrain – le droit de grève étant lui-même insidieusement remis en cause. Toutefois, l’actualité française, après douze nuits d’insurrection dans nos banlieues, requiert que cette question soit posée de la façon la plus explicite possible. Je souhaite montrer, dans les lignes qui suivent, que les diverses raisons exposées à gauche pour se désolidariser des jeunes révoltés de ces dernières nuits méritent d’être réexaminées, et qu’elles ne résistent pas à l’examen.

Une solidarité à géométrie variable

Quand les postiers de Bègles commettent des actes illégaux dans leur lutte légitime, en séquestrant leur supérieur hiérarchique, nombreux sont les acteurs du mouvement social qui les soutiennent, demandent l’abandon des poursuites ou appellent les juges à la clémence.

Quand les lycéens commettent des actes illégaux dans leur lutte légitime, en cadenassant l’entrée de leurs bahuts, nombreux sont les acteurs du mouvement social qui les soutiennent, demandent l’abandon des poursuites ou appellent les juges à la clémence.

Quand les marins de la SNCM commettent des actes illégaux dans leur lutte légitime, en détournant un navire, nombreux sont les acteurs du mouvement social qui les soutiennent, demandent l’abandon des poursuites ou appellent les juges à la clémence.

Mais quand la lutte n’est pas tout à fait ce qu’on croit qu’elle devrait être, quand il n’y a ni porte-parole, ni organisation, quand ce sont les plus déshérités des dépossédés [1] qui commettent des actes illégaux, alors tout change : on a beau reconnaître que leur colère est légitime, on a beau entendre, dans les bribes d’interviews que nous en proposent les journalistes, que leur discours est plus et mieux politisé, plus lucide que celui de la plupart de nos élus, personne ou presque ne les soutient, ne demande l’abandon des poursuites, ni n’appelle les juges à la clémence (à l’exception de quelques structures très minoritaires, telles que les Indigènes de la République ou DiverCité).

J’aimerais bien qu’on m’explique cette petite incohérence. Je crains qu’elle soit beaucoup plus difficile à justifier qu’il n’y paraît. L’article de Dominique Simonnot, paru le 9 Novembre 2005 dans Libération, ainsi que divers comptes rendus d’audience ayant circulé sur la toile, ont pourtant la vertu de nous informer clairement du genre de « justice » qui est en train d’être rendue pour cette série de cas : on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

Anatomie d’une « réticence »

Examinons donc les apparences de bonnes raisons avancées à gauche pour ne pas se solidariser avec les jeunes interpellés lors de ces dernières nuits.

Entendre des gens dire qu’il est scandaleux de brûler des voitures ou des bus parce que cela empêche les gens de travailler n’a rien d’étonnant. L’empêchement de travailler, les salariés pris en otage, n’est-ce pas là le vieil argument de la droite contre les grévistes de la RATP, de la SNCF, de la RTM aujourd’hui ? Que des gens qui se disent de gauche avancent ce genre d’argument est, en revanche, plutôt consternant. Entendre dire qu’il est scandaleux de brûler des magasins, parce que c’est l’emploi des gens qui y sont salariés qui est menacé, rejoint sur le fond le même argumentaire de la droite, qui brandit la menace des licenciements quand un mouvement social lui déplaît.

Aussi, de deux choses l’une : ou bien c’est la droite qui a raison, et a ce moment-là il faut dire oui au service minimum dans les transports en commun et se ranger aux positions de l’UMP. Ou bien cet argumentaire n’est pas valable pour ce qui concerne les grévistes de la SNCF, et il n’y a dès lors pas lieu de l’avancer pour justifier de laisser les jeunes révoltés seuls face à l’institution judiciaire.

Ira-t-on dire que la différence cruciale avec d’autres formes de contestation est que les incendies en banlieue ont touché des biens privés, les rares biens des travailleurs habitant les cités ? On se range alors à l’idée qu’il faut protéger par-dessus tout la propriété privée, et qu’elle seule doit être défendue, tandis que la colère sociale ne devrait pas l’être. Je ne crois pas que ce soit une position satisfaisante pour la gauche. Je ne crois pas en tout cas que cela justifie, encore une fois, qu’on laisse les prétendus « émeutiers » se débrouiller seuls avec l’institution judiciaire, sans soutien du mouvement social.

Ira-t-on dire encore qu’il s’agit de destruction de richesses ? Mais lorsqu’une grève a pour effet une diminution de la production marchande, cela coûte de l’argent. Des richesses qui pourraient être produites ne le sont pas. Là aussi, la différence n’est pas essentielle. Elle est seulement d’apparence et d’émotion : ce sont deux formes de déperdition de richesses – par les flammes et impressionnante dans un cas, imperceptible et inaperçue dans l’autre. La véritable distinction à faire est que, dans le cas des grèves, c’est d’abord le patron qui perd de l’argent. Mais cet argument n’est certainement pas décisif à lui seul pour nier toute légitimité à cette autre forme d’expression de la colère sociale.

Des leçons de radicalité

D’autres encore disqualifient la révolte des jeunes des cités au motif qu’ils ne seraient pas motivés par une volonté de changement social, mais par un désir d’argent et de consommation. Ce discours est consternant. Car personne, à gauche, n’a contesté les nombreux mouvements sociaux et grèves qui visaient, ces dernières années, à l’augmentation des salaires ou au rétablissement des indemnités des chômeurs ou intermittents du spectacle.

Autre argument, plutôt creux, entendu ici ou là : ces jeunes s’attaquent à des objets qui n’ont pas de portée symbolique, il n’attaquent pas les signes du capitalisme. Mais lorsqu’ils lancent des cocktails Molotov sur des véhicules de police, qui peut nier que cela a une portée symbolique ? Faut-il défendre ceux qui attaquent la police, plus que ceux qui brûlent les voitures ? Evidemment non – mais il faut observer que la fréquente bienveillance avec laquelle on parle des pavés jetés sur les CRS par les étudiants de Mai 68 ne rencontre pas semblable désapprobation. Pourquoi donc ? Parce que les étudiants de Mai 68 avaient de jolis mots d’ordre lettrés ?

Derrière tout cela, se dissimule une falsification inaperçue, insidieuse de l’histoire, qui va parfaitement dans le sens des intérêts des dominants. Certains semblent s’imaginer que le progrès social passe exclusivement par les chancelleries et les dîners de gala – comme en attestent parfaitement l’irréprochable paix sociale qui, en 1936, a gentiment mené nos grands-parents vers l’obtention des congés payés, ou encore la façon dont on a obtenu les accords de Grenelle en 1968. Il faut se garder de céder à ces reconstructions mythologiques, et quelque peu iréniques, de notre histoire sociale. Il y a eu, en 1936, en 1968, des grèves largement suivies, mais à la même période, la protestation a également pris des formes émeutières ou insurrectionnelles qui n’épargnaient pas toujours, loin s’en faut, les biens d’autres pauvres.

Et lorsque les jeunes banlieusards brûlent aujourd’hui une entreprise, un centre commercial, est-on sûr que cela n’a pas de signification symbolique ? Evidemment non : cette colère, alors dirigée vers les lieux concrets où l’on travaille et consomme, lieux de la société salariale dont l’accès est refusé à une partie importante de notre jeunesse, a un sens. Lorsque brûlent les écoles, les crèches, certes, cela peut être considéré comme contre-productif, mais enfin sommes-nous si bon sémiologues et sociologues pour dire ce qui a une signification symbolique et ce qui n’en a pas ? À quel titre, du haut de quel point de vue surplombant et omniscient s’autorise-t-on à dire ce qui est sensé et mérite d’être soutenu, et ce qui sera disqualifié comme absurde ou irrationnel ?

D’autant qu’on n’hésitera pas, deux phrases plus loin, à parler des « voies de garage » dans les formations scolaires qui leur sont proposées – quitte à mépriser au passage le travail des enseignants desdites formations, et perpétuer ainsi ce qu’on dénonce – et de tri social à l’école : comment prétendre ensuite que brûler l’école n’a pas de signification ? L’incohérence, ici, est manifeste ; et l’absurdité est du côté de ceux qui croient la dénoncer.

Pour prendre le cas apparemment le plus dépourvu de signification symbolique : brûler une voiture, au hasard dans la rue. Il n’est pourtant pas besoin d’être grand clerc pour voir là une portée symbolique tout à fait limpide. Quelle valeur peut avoir une voiture, si, aussi loin qu’elle aille, elle ramène toujours ses passagers dans les quartiers de relégation sociale ? Si elle ne peut pas mener au-delà de la désespérance et de l’inexistence sociale, plus loin que la fatalité d’être mal né, pourquoi pas la détruire ?

Il ne s’agit là que d’une manière de trouver une signification à de tels gestes : l’exposer ici a seulement pour objet de montrer que l’insignifiance symbolique n’est pas aussi simple à déceler qu’on le prétend parfois.

De ces réflexions, je conclus qu’il n’appartient à personne de dire ce qui a valeur de symbole ou pas. Je conclus également : il semble que pour bon nombre de gens réputés de gauche, ce qui a valeur marchande ne peut pas faire symbole, et ne peut dès lors être pris pour cible d’un mécontentement social. Idée qui est, en soi, très chargée de signification quant aux capacités véritables de beaucoup d’entre nous à rompre avec l’ordre symbolique capitaliste : il est à craindre que la contestation de la société marchande appelée à sortir de ce genre de présupposés n’ait, pour le coup, qu’une portée purement symbolique, voire : anecdotique.

Des leçons de stratégie politique

Autre argument creux pour justifier l’absence de soutien aux prétendus « émeutiers » : leur action serait inefficace, et vouée à l’inefficacité. Elle serait motivée par un souci spectaculaire : passer à la télé, rivaliser dans les médias avec les gars de la cité d’à côté. Mais quand les marins de la SNCM ont détourné un bateau vers la Corse, cette action avait surtout cette efficacité, médiatique, de faire monter la pression sur le gouvernement, d’exprimer spectaculairement leur détermination, enfin d’œuvrer à la prise de conscience de tous via les médias.

Sur ce point, on voit mal la différence de principe avec les prétendus « émeutiers ». On peut aussi penser que les marins, franchissant la borne de l’illégalité, ont voulu à juste titre surenchérir (rivaliser ?) par rapport aux autres groupes sociaux en lutte, par exemple les enseignants, qui n’ont pas franchi cette borne en 2003  [2], et dont les revendications sont passées dans les poubelles de l’Hôtel Matignon.

Et pour ce qui est de l’efficacité autre que spectaculaire, on ferait peut-être mieux de se taire : voilà des années, depuis le premier budget du premier gouvernement Raffarin, que syndicats enseignants, associations de quartiers, travailleurs du ministère de la Jeunesse et des Sports, éducateurs, travailleurs sociaux, font inlassablement savoir, mais seulement par des voies légales et institutionnelles, qu’il est désastreux de supprimer les subventions aux associations travaillant dans les cités. Cela n’a abouti à rien, rien qu’au mur du mépris gouvernemental. Douze nuits de voitures brûlées, et voilà que soudain le grand homme d’Etat Villepin parle d’augmenter ces subventions, et qu’à côté du lot attendu de mesures régressives et répressives il reconnaît l’erreur commise. Le Premier Ministre semble même enfin concevoir que le rétablissement des postes d’assistants d’éducation en ZEP peut avoir une utilité. J’en conclus que le bilan est pour le moins ambigu, et que les douze nuits d’incendies auront peut-être plus d’efficacité que les trois dernières années de protestation syndicale continuelle et de grèves perlées.

Des visions sécuritaires

S’il y a bel et bien, comme on le dit à gauche, état d’urgence social, le minimum serait d’exiger que les personnes victimes d’atteintes à leurs biens lors de ces dernières douze nuits soient indemnisées en totalité par des fonds publics, sur la base de leur valeur d’usage et non de leur valeur marchande, et que personne ne soit poursuivi pour ces atteintes. Cette mesure serait vraisemblablement la plus à même d’éviter l’apparition d’un esprit de revanche et de vindicte, et d’œuvrer ainsi, dans les quartiers populaires, à la nécessaire réconciliation entre les personnes ayant perdu leur bien et ceux qui ont commis les dégradations.

Quoi qu’on pense de cette dernière proposition, il est impératif que la gauche rompe totalement avec le lexique des « violences urbaines » et autres expressions de ce genre, qui sont de purs artefacts de la sphère spectaculaire-sécuritaire, et ne veulent rien dire de précis. Car, ne permettant pas de faire la distinction minimale entre les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes, l’expression de « violences urbaines » ouvre la voie à tous les amalgames, sur fond du présupposé fondamental : la marchandise doit être en toute circonstance protégée, au même titre que les personnes.

Or, les atteintes graves aux personnes ayant un lien formellement établi avec les prétendues « émeutes » n’ont été pour l’instant que très peu nombreuses. Il y a eu des actes injustifiables, tels que l’incendie d’un bus occupé. Il n’en reste pas moins que la très grande majorité des violences s’est cantonnée à des atteintes aux biens, ou à des affrontements avec les forces de l’ordre ne mettant pas en danger la vie des agents. De ce point de vue, la prétendue « explosion de violence » des jeunes banlieusards n’est certainement pas aussi irrationnelle et incontrôlée que les médias dominants l’ont prétendu.

J’étais, mercredi 9 novembre, de 17 heures à 19 heures, à Bobigny : au Tribunal de Grande Instance, où comparaissent les prévenus ; je n’ai pas vu un militant, pas un tract. Cent mètres plus loin, devant la préfecture : mille personnes rassemblées pour manifester contre l’état d’urgence.

Il me semble qu’il faut immédiatement rectifier cette stratégie, ou cette absence de stratégie. Nous ne pouvons pas laisser ces adolescents et jeunes adultes sans soutiens devant la justice  [3].

Il serait évidemment absurde et falsificateur d’en conclure que j’appelle à cautionner tous les actes commis durant les prétendues « émeutes ». Mais l’attitude actuelle des acteurs du mouvement social revient, de fait, à un blanc-seing donné à l’institution judiciaire, qui elle-même ne statue pratiquement que sur des rapports de police, pour cette série d’affaires. Par conséquent, la question est : faut-il donc toujours faire une confiance totale à la police, dès lors que les gens interpellés viennent des cités, et ne sont ni syndiqués, ni membres d’organisations progressistes ?

Je doute, pour diverses raisons, que ce soit la bonne approche. Certaines organisations s’opposent à l’expulsion immédiate des ressortissants étrangers arrêtés durant ces dernières nuits, mais cette exigence n’est certainement pas suffisante.

La république contre le droit

Etant donné les circonstances, il faut en finir, à gauche, avec le dérisoire plaidoyer pour l’ordre républicain. On appelle au respect des valeurs et du droit, et le résultat est le suivant : la loi d’exception de 1955, la menace sur les libertés publiques, le simulacre de droit devenu ouvertement non-droit. L’ordre républicain, tel qu’en lui-même, enfin, l’Etat d’urgence le montre : ordre colonial ou policier, plus ou moins euphémisé, plus ou moins soft ou hard, c’est selon :

 l’ordre républicain de la double peine tantôt abolie, tantôt rétablie, c’est selon ;

 l’ordre républicain de la traque des sans-papiers, par le biais d’un non respect massif des lois qui réglementent le contrôle d’identité ;

 l’ordre républicain où l’on exige en toute illégalité discriminatoire que certaines catégories de la population aient toujours leurs papiers sur eux ;

 l’ordre républicain de la destruction des familles dont l’un des membres n’a pas de papiers ;

 l’ordre républicain des charters d’expulsion vers l’Afghanistan ;

 l’ordre républicain du démantèlement méthodique, par tout moyen, des lois régissant le travail ;

 l’ordre républicain de l’impunité de Supermenteur ;

 l’ordre républicain d’un ministre de la Justice qui revendique à haute voix l’anti-constitutionalité de sa loi rétroactive sur le bracelet électronique ;

 l’ordre républicain du missilier Dassault, à la fois sénateur et fournisseur d’armements à l’Etat, qui vote les budgets de la Défense Nationale dont une part substantielle iront dans sa poche ;

 l’ordre républicain du pillage des biens publics au profit des actionnaires et d’un copain d’études du Premier Ministre (cas de la SNCM) ;

 l’ordre républicain où même les banquiers qualifient de « hold-up » (Le Monde daté du 10 Novembre 2005) l’action économique du gouvernement (s’agissant de la suppression du fonds de garantie des prêts à taux zéro, profitables aux classes moyennes et populaires).

L’ordre républicain du respect du droit – ou de sa mise en pièces, c’est selon. L’ordre républicain, tel qu’en lui-même : celui où chacun se croit tenu, par bienséance ou intimidation, d’appeler rituellement (et jusque, hélas, dans les colonnes de Politis) à la punition de certains illégalismes, tandis que d’autres sont tellement banalisés qu’on oublie de les considérer comme des scandales à sanctionner – tant la conception prédominante du droit et de l’ordre est-elle même indigente, soumise et confortable aux intérêts marchands ou électoralistes de quelques-uns. Et surtout : docile à la plus inique et la plus invisible des lois : la loi du plus fort.

L’ordre républicain – qui, à gauche, pourrait décemment le nier en pareilles circonstances ? – est une certaine modalité du désordre : celle qui arrange les groupes ayant pouvoir d’accréditer la conception de l’ordre et du désordre conforme à leurs intérêts, réels ou imaginaires.

Brûler des voitures ? Laisser libre cours à sa rage devant l’injustice et l’indécence ? Casser, tout casser ? Nombreux, nous l’avons rêvé. Ils l’ont fait. Je laisse à d’autres la responsabilité de punir ces actes plutôt que d’autres. Je ne me reconnais pas dans cette parodie d’ordre républicain. Je refuse que les prétendus « émeutiers » soient punis de cette façon en mon nom. J’invite ceux qui partagent cette analyse à assister aux audiences des jeunes en comparution immédiate, à manifester notre solidarité à leurs familles et leurs amis, comme aux victimes de toutes les violences de ces dernières nuits, enfin à protester contre l’Etat d’urgence.

P.-S.

Ce texte est paru initialement le 16 novembre 2005, sur ce site entre autres, sous un titre sensiblement différent : « Ne laissons pas punir les pauvres. Pour une solidarité avec les émeutiers inculpés. ». Les intertitres ont été rajouté par le collectif Les mots sont importants.

Ce samedi 27 octobre 2012, Rencontre-Concert en hommage aux révolte de 2005, à . Renseignements ici.

Notes

[1Dépossession qu’il est désormais urgent de ne plus réduire à sa seule dimension économique. En effet, l’absence de porte-parole et d’organisations de masse véritablement représentatives de la jeunesse des quartiers pauvres atteste au grand jour que cette dépossession est également politique. Ce qui n’implique nullement l’absence d’une conscience politique chez beaucoup de ces jeunes pauvres ; mais bien plutôt l’inexistence des moyens institutionnels et organisationnels de la faire entendre. Cette situation n’est vraisemblablement pas pour rien dans le fait que la contestation se trouve prendre les formes spectaculaires que l’on a vues ces dernières nuits. Retracer les déterminants de cette dépossession politique serait nécessaire ; ce n’est toutefois pas directement l’objet de mon propos.

[2Les grèves des enseignants de l’école publique ont pris fin en juin 2003 lorsque les grévistes ont préféré ne pas « bloquer le bac », mettant ainsi un terme à leur mouvement de protestation contre la réforme des retraites et la décentralisation de certains personnels de l’Education Nationale, organisées par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

[3Depuis que ces lignes ont été écrites (le 10 novembre 2005), divers groupes de militants ont commencé à se mobiliser dans ce but. Mais il est regrettable que ces actions soient pour l’instant cantonnées à des réseaux aux effectifs très restreints, et qu’aucune organisation de masse n’ait appelé à y prendre part.