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Pourquoi être en grève dans l’ESR (Enseignement supérieur et recherche) ?

Aux enseignant.e.s et enseignant.e.schercheur. e.s, titulaires et non-titulaires.

par Lune Riboni
27 février 2020

Faire grève c’est cesser de travailler. Cesser de travailler c’est d’abord cesser d’enseigner et cesser les tâches administratives. Et il faut faire grève collectivement, au niveau des UFR et départements. C’est ce que plaide Lune Riboni, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, en accompagnant son geste d’une réflexion particulièrement utile. Parce que tout-e enseignant-e s’interroge sur les conséquences de la grève, mais se voit aussi régulièrement opposer une série d’arguments, voici une réponse en plusieurs points, précieuse pour toute personne voulant « faire grève dans l’ESR ».

* Argument : La grève ça sert à rien, regarde les cheminots qui ont fait plus de 40 jours de grève pour rien, nous on n’est même pas un secteur bloquant.

Nous ne sommes pas un secteur bloquant sauf si nous ne délivrons pas nos diplômes, sauf si nous ne participons plus aux commissions d’évaluation, sauf si nous grippons les machines administratives en les prenant à leur propre jeu (candidature collective à l’HCERES par exemple).

Par ailleurs faire la grève collectivement n’est pas simplement bloquer mais c’est aussi :

 libérer du temps pour se mobiliser. Faire cours, continuer ses charges administratives, ne permet pas de participer à l’organisation de la mobilisation, ce n’est pas vrai.

 Permettre à tous les collègues précaires (ater, chargé.e.s de cours vacataires doctorant.e.s et docteurs) de se mobiliser sans risquer des retraits de salaire ou de s’afficher publiquement et mettre en danger leur carrière

 Permettre aux étudiant.e.s de se mobiliser

* Argument : Oui mais les étudiant.e.s ne sont pas mobilisé.e.s et si nous ne faisons pas cours nous perdons les étudiant.e.s.

1.Les étudiant.e.s sont souvent plus conscient.e.s qu’on ne le croit et il faut cesser de les infantiliser. Tous les mouvements étudiants ont été insufflés par des étudiants, sans l’aide de leurs enseignant.e.s. Il faut aussi se rappeler qu’elles et eux même sont potentiellement des travailleurs/ses et qu’ils sont parfois mobilisés dans leurs secteurs, par exemple les AED qui sont très souvent des étudiant.e.s.

2. La LPPR touche directement notre profession et nos statuts. La réforme des retraites nous concerne, autant que les étudiant.e.s, en tant que travailleurs/ses. Notre enjeu aujourd’hui n’est pas de mobiliser les étudiant.e.s mais nos collègues ! Par ailleurs nous ne pouvons plus attendre que les mobilisations viennent d’elles et eux, nous devons prendre nos responsabilités.

3.Ne pas faire cours ne signifie pas ne pas pouvoir organiser des évènements destinés à expliquer les causes de la mobilisation, rendre intelligibles les discours bureaucratiques et politiques

* Argument : Nous sommes des enseignant.e.s et notre rôle est d’enseigner, de transmettre, d’éduquer. ET/OU Nos étudiant.e.s sont des publics fragiles qui risquent déjà beaucoup parce qu’ils et elles ne sont pas de milieux favorisés et c’est les mettre un peu plus en danger.

1.Se battre aujourd’hui c’est faire plus pour nos étudiant.e.s que simplement leur fournir un diplôme. C’est vouloir défendre leur futur. Tout comme les enseignant.e.s de la maternelle au lycée qui sont régulièrement culpabilisés et accusés d’abandonner leurs élèves alors qu’ils et elles se battent pour le futur de ces enfants et adolescent.e.s.

2.Un UFR en grève a un effet bien plus pédagogique qu’un.e enseignant.e seul.e qui pourra toujours être perçu comme le prof « gauchiste ». Un UFR entier qui se mobilise c’est un geste fort à destination des étudiant.e.s qui voient des dizaines d’adultes se mobiliser, collectivement.

3."Enseigner et transmettre" ce n’est pas uniquement faire cours. Prendre position, créer du collectif et des solidarités, inventer des modes d’action, ça peut aussi être ça enseigner et transmettre.

4.C’est parce que l’enseignement est notre coeur de métier que c’est ce qu’il faut arrêter. Ce n’est pas nous qui sommes responsables de ne plus pouvoir enseigner.

5.Nous ne sommes pas simplement des enseignant.e.s, nous sommes des travailleurs/ ses, nous sommes un secteur de travail qui rejoint d’autres secteurs de travail en lutte et c’est un moment crucial de cette lutte alors que les autres secteurs mobilisés depuis un mois ou plus sont de plus en plus épuisés.

La grève n’est pas quelque chose de reposant. Elle implique de prendre des risques, comme l’ont fait les enseignant.e.s du secondaire avec la rétention des notes du bac. Elle implique que chacun.e se pose la question de quelle est sa place, quelles sont ses responsabilités et comment il ou elle peut participer à enrayer la machine.

Nous ne pouvons pas continuer à critiquer ce système tout en continuant à l’alimenter et en nous cachant derrière une bonne conscience impuissante s’exprimant dans des motions sans effets.

Faire grève n’est pas cesser de travailler et rentrer chez soi finir ce travail de recherche que nous n’arrivons plus à mener. Il s’agit de libérer du temps pour participer à l’organisation de la mobilisation activement. Activement signifie ne pas attendre que d’autres préparent des AG et des actions. C’est les inventer, les diffuser, y participer.

On peut imaginer des modalités d’action, pas des modalités de grève. Il faut faire grève d’abord puis inventer de quoi la rendre visible et gênante.

Enfin, la grève c’est aussi un moment de rencontres, d’échanges, un moment collectif puissant qui construit de la solidarité et des amitiés et qui bouleverse déjà les isolements de ces enseignant.e.s qui se croisent à peine dans leurs établissements fragmentés. Pour nous rappeler que nous sommes des collectifs de travail et donc de potentiels collectifs de lutte.

Pour terminer, comme nous le rappellent nos collègues organisés dans le collectif des Précaires d’Ile de France dans leur dernier communiqué : « On ne soutient pas la grève, on la fait ou on l’empêche. »