Pour ne pas être réduites au rang de simples réactions épidermiques face à des " dérapages " personnels, les textes présents dans cette rubrique appellent au moins une courte introduction, afin que soit re-situé le rôle joué depuis de nombreuses années dans la stigmatisation des immigrés ou des "jeunes issus de l’immigration" par une association censée défendre ces derniers. Cette association, SOS Racisme, a une longue histoire (1), dont on se bornera ici à rappeler les très grandes lignes.
Il y a eu d’abord, à partir de 1984, le lancement de l’association par des militants du Parti socialiste, en étroite collaboration avec l’Élysée et avec le soutien actif de nombreux médias proche du pouvoir socialiste (en particulier Le nouvel observateur et Libération). L’association, dirigée par Harlem Désir, est alors parvenue à s’arroger le monopole de la parole publique antiraciste, et à promouvoir un discours moral et "apolitique", aux dépens du discours porté depuis la Marche pour l’égalité et Convergence 84 par de nombreux jeunes issus de l’immigration. SOS Racisme a en effet réussi à reléguer dans l’ombre le discours et la pratique militante de ces jeunes auto-organisés, et à imposer un antiracisme fondé sur l’intégration plutôt que sur l’égalité. Du même coup, ce sont toutes les revendications offensives du "mouvement beur" - par exemple le droit de vote des étrangers, l’abrogation de la double peine, la lutte contre les discriminations et contre les violences policières - qui ont été chassées de l’espace médiatique, avec le concours actif de SOS Racisme, répétant maintes fois qu’une posture trop "maximaliste" risquait de "faire le jeu du Front national" (2).
De la phase suivante, on ne retiendra que les tergiversations de Fodé Sylla, successeur de Harlem Désir, son incapacité à soutenir la lutte des sans-papiers, et ses tentatives malheureuses de diviser le Collectif de Saint Bernard entre les "parents d’enfants français", défendables, et les autres, indéfendables (3). On retiendra aussi ses très regrettables déclarations en faveur d’une politique de "quotas" d’immigrés. Fodé Sylla finira au bureau politique du Parti communiste.
L’arrivée de Malek Boutih à la tête de l’association a pu, dans un premier temps, laisser penser que celle-ci, en perte de vitesse, parvenait à quitter le giron du Parti socialiste et à s’orienter vers un véritable travail politique, autour de la question de la discrimination. En menant et en médiatisant des opérations de "testing" dans les boîtes de nuit, SOS Racisme a en effet contribué à lever partiellement le déni qui existe en France autour de la discrimination. Certes, on aurait aimé que des opérations de même ampleur soient menées dans le domaine de l’emploi et du logement, mais enfin, pour la première fois depuis longtemps, l’association faisait parler d’elle sans jouer contre les immigrés et leurs enfants.
C’était oublier un peu vite l’appartenance de Malek Boutih à la Gauche socialiste. Très rapidement, le président de SOS Racisme a suivi le virage sécuritaire de la gauche de gouvernement, et multiplié les déclarations sur "la violence des jeunes de banlieue", responsable selon lui des "réactions racistes" de l’opinion publique. Malek Boutih n’a alors plus parlé du racisme que pour en minimiser l’ampleur (en déclarant par exemple que la France n’est pas un pays raciste, puisque les mariages mixtes y sont plus fréquents qu’ailleurs en Europe…(4) ), et il s’est en revanche répandu en propos accusateurs contre les "caïds" qui sévissent en banlieue. Le président de SOS Racisme a même poussé le vice jusqu’à réserver l’appellation de "petits Le Pen" aux petits délinquants des "quartiers" plutôt qu’aux électeurs du Front national.
On a pu apprendre, également, que la banlieue était une terre sauvage et décivilisée où, lorsqu’ils s’ennuient, les jeunes partent faire des "batailles rangées à coup de machettes" (5). Malek Boutih a enfin eu le mauvais goût de publier un livre intitulé La France aux français ? Chiche !
Les textes présents dans cette rubrique fournissent quelques échantillons supplémentaires du discours officiel qu’a porté SOS Racisme pendant les "années Boutih". Un discours criminel, en vérité, puisqu’il donne aux pires stéréotypes racistes la caution d’un jeune homme d’origine maghrébine, porte-parole d’une association antiraciste. C’est ainsi, par exemple, que Marine Le Pen, dans l’entre deux tours d’avril 2002, a pu déclarer qu’elle n’était pas raciste, puisqu’elle disait la même chose que Malek Boutih…